Construire une définition philosophique

Construire soi-même une défi­ni­tion d’un concept per­met de le com­prendre, de s’en sou­ve­nir, et de le réuti­li­ser. Comment procède-t-on ?

Article ini­tial 2016, mis à jour juillet 2022.

Parcourir les définitions existantes

On va d’a­bord se for­ger une idée géné­rale de l’u­ni­vers concep­tuel où se situe notre concept. Pour ça, direc­tion les dic­tion­naires. Je dis “dic­tion­naire” pour faire court : c’est l’en­semble des voca­bu­laires, lexiques, ency­clo­pé­dies qui est visé.

  • dic­tion­naire géné­ra­listes
    Ex : Larousse, Wiktionnaire, etc.
  • dic­tion­naires de phi­lo­so­phie
    Ex : Dictionnaire de phi­lo­so­phie Godin
  • dic­tion­naires spé­cia­li­sés (de phi­lo­so­phie ou pas)
    Ex : Dictionnaire d’es­thé­tique, etc.

Piocher des dicos d’une autre langue ou un peu vieillots est une bonne idée. On voit mieux les biais de notre époque, ou ceux de notre espace culturel.

Les sources acquises, on va lire atten­ti­ve­ment une série de défi­ni­tions. L’objectif est de faire un tour d’ho­ri­zon, de sai­sir rapi­de­ment des dif­fé­rences d’ap­proches entre les sources. On se foca­lise sur les définitions :

  1. du concept étu­dié
    Ex : vouloir
  2. de ses appa­ren­tés éty­mo­lo­giques
    Ex : volon­té, volition
  3. de ses syno­nymes et anto­nymes
    Ex : dési­rer, avoie envie, etc.
  4. des mots qu’on dis­tingue mal du concept étudié

On voit d’emblée des points com­muns et des dif­fé­rences. Il faut être atten­tif aux deux. Cinq dicos qui réuti­lisent des termes qua­si-iden­tiques ? La défi­ni­tion doit-être consen­suelle et le choix des mots est cru­cial. Des dicos découpent un terme en 1, 2, 3 ou 4 sens selon l’ou­vrage ? Il y a quelque chose de flottant.

Point impor­tant, cer­taines sources n’ont par­fois pas le mot recher­ché. Ou alors elles fusionnent son entrée avec celui d’un autre (“Fin, fina­li­té”). Les dif­fé­rences d’ap­proche montrent l’im­por­tance accor­dée au concept, sa cen­tra­li­té phi­lo­so­phique, le consen­sus (ou pas) autour de sa définition.

Ce pre­mier moment de par­cours per­met de se fami­lia­ri­ser avec le concept et avec ses sources. On y apprend à la fois quelque chose sur le concept tra­vaillé et sur les sources dont on dis­pose. Garder un œil cri­tique sur ses sources ! S’interroger sur qui les pro­duit, pour qui, dans quel but, avec quel moyens.

Le Dictionnaire de Christian Godin en 1500 pages ne dit pas la même chose que le Dictionnaire de phi­lo­so­phie pour les Nuls. Pourtant Christian Godin est l’au­teur des deux ! Publics dif­fé­rents, contextes dif­fé­rent, défi­ni­tions différentes.

Dans cer­tains cas, il peut aus­si être per­ti­nent de cher­cher une défi­ni­tion légale (en droit natio­nal, euro­péen ou inter­na­tio­nal). Ces défi­ni­tions émergent pour des rai­sons pra­tiques et font l’ob­jet d’un tra­vail minu­tieux. Elles affectent direc­te­ment les pra­tiques pro­fes­sion­nels de cer­tains sec­teurs (ex : “déchet”).

Approfondir la définition cible

Une fois ce tour d’ho­ri­zon pas­sé, on revient sur le terme à défi­nir pour appro­fon­dir sa com­pré­hen­sion. On regarde en particulier : 

  1. com­bien de sens chaque dic­tion­naire identifie
  2. com­ment ces sens sont catégorisés
  3. la nature du sens iden­ti­fié (sub­st., adj.)
  4. si le mot a un sens courant
  5. si cer­tains auteu­rices sont mentionné⋅es
  6. quels mots reviennent à chaque fois
  7. quels mots ne sont que dans un seul dictionnaire
  8. repé­rer des expres­sions associées

Identifier le nombre de sens donne une idée de la poly­sé­mie du mot et des domaines dans les­quels il est uti­li­sé. Cela per­met de sépa­rer net­te­ment des usages qui ne cor­res­pondent pas au même concept. Le mot “éga­li­té” par exemple : il ne désigne pas la même chose selon qu’on parle d’é­ga­li­té mathé­ma­tique (10 = 5 + 5) ou d’é­ga­li­té poli­tique (les hommes sont égaux en droits). Le mot est le même, mais il y a en fait deux concepts indépendants.

La nature du mot a aus­si un impact sur sa com­pré­hen­sion et sa défi­ni­tion. Un même terme peut cor­res­pondre à un sub­stan­tif (un droit indi­vi­duel) ou à un adjec­tif (un angle droit). Il est vital de ne pas confondre ces usages… D’autant qu’ils peuvent eux-mêmes avoir plu­sieurs sens (voir la défi­ni­tion d’objec­tif par ex.).

Ensuite, il faut bien repé­rer ce qui relève du sens cou­rant d’un mot. D’un coté, ça per­met d’é­va­cuer cer­tains sens comme inutiles à notre ana­lyse. De l’autre, cela évite d’ou­blier un sens impor­tant pour notre défi­ni­tion. Si on défi­nit le “temps” par exemple : le sens météo­ro­lo­gique ne sert à rien (le temps qu’il fait), mais le temps comme “durée dis­po­nible” est utile (avoir du temps).

Une fois les sens du mot dégros­sis, on regarde si un⋅e ou plu­sieurs auteu­rices sont mentionné⋅es. Il arrive que la défi­ni­tion d’un concept par un ou une auteu­rice ait fait date et ait influen­cé son époque et les sui­vantes. Il n’est alors pas pos­sible de com­prendre cer­tains textes sans posi­tion­ner ce sens pré­cis par rap­port aux autres.

Enfin, on prête atten­tion aux mots uti­li­sés pour défi­nir cha­cun des sens. Un mot qui revient dans tous les dic­tion­naires est pro­ba­ble­ment cen­tral et non-sub­sti­tuable : il fau­dra le gar­der pour notre défi­ni­tion. Un mot qui n’est uti­li­sé que par un dic­tion­naire est peut-être moins per­ti­nent… ou inver­se­ment très utile, car seul ce dic­tion­naire a repé­ré cette dimen­sion impor­tante de la notion. 

Cette der­nière étape demande beau­coup de dis­cer­ne­ment. Les dic­tion­naires sont obli­gés d’a­voir des défi­ni­tions dif­fé­rentes (évi­ter le pla­giat, se dis­tin­guer de la concur­rence), mais toutes les dif­fé­rences ne sont pas signi­fi­ca­tives. Il faut faire le tri soi-même.

Enfin, on regarde si le mot qu’on cherche à défi­nir s’in­tègre dans des expres­sions toutes faites, et si oui, quel est le sens de ces expres­sions. Un mot n’a pas for­cé­ment le même sens au sein d’une expres­sion… ni la même fré­quence d’u­sage (cer­tains mots n’ont plus aucun usage hors de for­mules toutes faites).

Et j’ai la flemme d’al­ler plus loin pour aujourd’hui.

À VENIR 

  • com­prendre pour­quoi les défi­ni­tions dif­fèrent entre cer­tains dictionnaires, 
  • faire cor­res­pondre entre eux les dif­fé­rents sens expri­més dif­fé­rem­ment dans plu­sieurs dictionnaires,
  • com­prendre la dif­fé­rence entre le concept étu­dié et les concepts proches, 
  • obte­nir une struc­ture mini­male consen­suelle de la définition,
  • jus­ti­fier du choix de cette structure
  • choi­sir les termes de la défi­ni­tion finale (et justifier)