Les hommes coûtent cher. Par leurs comportements agressifs et violents, par leur mépris des risques et des lois, les hommes sont à l’origine de l’écrasante majorité ces comportements asociaux.
Une part gigantesque de la dépense publique (police, justice, hôpitaux, etc.) et privée (assurance, etc.) est consacrée à gérer les conséquences de ce que font les hommes.
La société paie le coût (financier, matériel et humain) d’actions dont les hommes sont massivement les auteurs, et qui nuisent à tous. Pourtant, ce caractère genré des comportements asociaux n’est pas interrogé.
Selon Lucile Peytavin, le coût s’estimerait à 95,2 milliards d’euros chaque année, juste pour la France. Une somme énorme, qui pourrait être allouée à autre chose si les hommes se comportaient autrement.
Le livre Le coût de la virilité détaille l’ampleur des différences entre les comportements homme / femmes, explore ses causes, et explique le calcul de l’autrice pour aboutir à son estimation.
État des lieux
Le constat est ahurissant. OK, on sait, les hommes, c’est plus de 90% des violences sexuelles (97%), des viols (99%), des violences dans les couples (96%). Mais cette asymétrie se retrouve dans tous les comportements asociaux.
La criminalité, en bref, c’est les hommes. Il faut aller chercher la fraude sur les chèques (63,5% des mis en cause) ou le vol à l’étalage (65%) pour trouver des infractions où les femmes sont un peu plus mises en cause.
Pour tout le reste les auteurs sont des hommes, avec des chiffres qui méritent qu’on s’y arrête. Pourquoi les hommes représentent-ils 75% des mis en cause pour injure ? 78% des mis en cause pour menaces ?
Qu’est-ce qui peut justifier que 99% des pyromanes soient des hommes ? Que les cambriolages, les vols de véhicules, les homicides, les auteurs d’accidents mortels, soient dans l’écrasante majorité des hommes ?
Catégorie d’infraction | % d’hommes mis en cause |
---|---|
Viols | 99 |
Incendies volontaires | 99 |
Violences sexuelles | 97 |
Violences au sein du couple | 96 |
Vols avec arme | 95 |
Vols de véhicule | 95 |
Vols d’accessoires et dans les véhicules | 95 |
Infractions sur les stupéfiants | 93 |
Vols violents sans arme | 92 |
Conducteurs contrôlés positifs aux stupéfiants dans les accidents de la route mortels | 92 |
Cambriolages | 91 |
Infractions liées à l’alcool ayant entraîné des accidents de la route mortels | 91 |
Destructions – dégradations | 89,5 |
Atteintes à l’autorité de l’État | 87 |
Homicides volontaires | 86 |
Coups et violences volontaires | 84 |
Auteurs présumés d’accidents de la route mortels | 84 |
Menaces | 78 |
Vols sans violence | 77 |
Injures | 75 |
Traite ou exploitation d’être humains | 75 |
Escroqueries – abus de confiance | 68 |
Vols à l’étalage | 65 |
Fraude sur les chèques | 63,5 |
Le constat a quelque chose de vertigineux. À chaque fois que vous entendez parler d’une infraction ou d’un comportement asocial, vous pouvez parier que c’est un mec qui l’a commis. C’est plus sûr que de parier sur le sport, les gens.
Et ça veut dire que des pans entiers de la société, les gens à l’intérieur, leurs salaires, les infrastructures, leurs process de travail, leur matos, tout ça n’existe que pour gérer les ennuis causés par des mecs.
C’est facile de se dire que l’industrie du porno existe principalement à cause des mecs. C’est moins évident de se dire que le Ministère de la Justice entier existe massivement pour la même population.
Lucile Peytavin fait 2 choses dans son livre : explorer les causes de ce constat, et proposer un chiffrage en euros de tout ce que ça nous coûte, à l’échelle de la France.
Remarque : l’autrice s’appuie sur des chiffres officiels de la délinquance, ce qui fait qu’on peut toujours contester la représentativité de ces chiffres. C’est un point que je n’ai pas vu évoqué (ou alors sans trop d’insistance) dans le livre.
Si ça se trouve, les femmes ne sont pas moins autrices de comportements asociaux : elles se font juste moins prendre (peu probable). Ou bien elles agissent avec une intensité moindre, qui fait que leurs actions restent à la porte du système de décompte (complètement probable).
Mais soyons clairs : Lucile Peytavin ne conteste pas que les femmes puissent avoir et aient des comportements asociaux. Elle dit juste qu’il y a une asymétrie saisissante et trop peu remarquée.
Comment en est-on arrivé là ?
L’auteure explore plusieurs hypothèses pour expliquer l’écart entre les hommes et les femmes : différences biologiques, testostérone, fonctionnement du cerveau. Sans surprise, ce n’est pas ça.
Mais c’est une qualité du livre : au lieu de passer directement au chiffrage, Lucile Peytavin fait un long détour sur les causes possibles des comportements asociaux des hommes. Cela rend le livre accessible à tous, et pas seulement ceux qui s’intéressent déjà un peu au féminisme.
Le passage sur la préhistoire et l’apparition des inégalités au néolithique est d’ailleurs vraiment passionnant. Il complète cet entretien de Marylène Patou-Mathis autour des clichés sur l inégalité hommes-femmes à la préhistoire.
Mais je digresse.
La vraie raison du comportement des hommes, c’est une socialisation et une éducation différentes. La société apprend aux hommes à être violents, à ne pas respecter les règles, à n’écouter ni ses émotions ni celles des autres, à prendre des risques pour soi et pour les autres. On leur apprend à être “viril”, un concept qui n’a pas d’équivalent féminin.
En même temps qu’on prétend enseigner aux garçons des principes démocratiques (égalité, fraternité, parité), on valorise chez eux la domination des autres, la force et le manque d’empathie (p. 171). Cette socialisation est très précoce et il est donc très difficile d’étudier les garçons et les filles avant qu’elle intervienne.
Les pays du Nord de l’Europe ont tenté de donner une éducation “neutre” aux enfants pour contrebalancer ça. Le bilan est négatif : si certains indicateurs vont mieux dans ces pays, les violences restent très importantes, voire plus qu’ailleurs.
D’où la suggestion de l’autrice : n’éduquons pas de façon neutre, éduquons les hommes comme des femmes. L’avantage, c’est qu’on a déjà testé ce que ça donne ! La moitié de l’humanité est déjà éduquée ainsi, et ça donne plutôt de bons résultats.
Chiffrer les dégâts
Lucile Peytavin est très claire : son estimation du coût de la virilité est imprécise et limitée. L’objectif est de donner un chiffre global et d’inviter d’autres personnes à réaliser des études plus précises. Elle présente néanmoins sa méthodologie, et les limites de celle-ci.
Pour évaluer le coût de la virilité, je mesurerai les dépenses publiques allouées à la prévention, à la condamnation et aux compensations des dommages collatéraux des violences et comportements à risque spécifiquement pour chaque sexe, afin d’en déduire le différentiel entre les hommes et les femmes. Ce différentiel correspond au montant imputable à la culture de la virilité.
p. 115
Cela pose deux difficultés. D’une part, l’information sur le sexe des personnes mises en cause n’est pas toujours précisée. Les données de la Justice et autres peuvent indiquer l’âge, la catégorie sociale, l’origine, mais le critère du sexe est rarement mobilisé.
D’autre part, prendre en compte l’étendue des dommages de la “chaîne de violences” est souvent difficile. Il y a une sous-estimation de certaines catégories d’infractions, parce qu’elles ne sont pas déclarées (violences physiques notamment). Mais même pour les violences déclarées :
Il est particulièrement difficile d’évaluer, et donc d’estimer, les conséquences que peut entraîner un acte de violence sur les plans psychologique, économique, administratif, etc. Sans parler des répercussions sur l’entourage des victimes.
p. 116
Au-delà du coût des politiques publiques, il faut ajouter ceux liés aux dégâts matériels, les pertes de productivité, les traumatismes physiques et psychologiques. C’est pourquoi Lucile Peytavin s’appuie sur la “valeur de la vie statistique” définie par l’OCDE.
C’est une notion qui sert à évaluer le coût pour la société d’un événement dramatique. Par exemple, une personne tuée, c’est un coût d’environ 3,2 millions d’euros pour la société. Parce que c’est une personne qui ne va plus produire et consommer pendant X années, du fait qu’elle soit… morte.
Que faire de l’argent ?
La culture de la virilité coûte environ 95,2 milliards d’euros (Md€) par an à la France. C’est plus d’un tiers des recettes perçues chaque année par l’État (250 Md€). C’est plus que ce qu’a rapporté l’impôt sur le revenu en 2019 (70,4 Md€). Selon l’estimation, c’est beaucoup plus ou presque autant que la fraude fiscale (entre 25 et 100 Md€).
Avec ces 95,2 milliards par an on peut financer à peu près tout ce dont la société a besoin, sans devoir saigner l’État à grands coups de “réformes structurelles” et de destruction du service public.
Éradiquer la pauvreté ? Facile. C’est “seulement” 7 milliards d’euros par an. Financer un revenu universel ? Éponger le déficit du système de retraites ? Financer la transition écologique ? Avec ce qu’on économise quand on n’a pas à gérer les conséquences des actions des mecs, on peut faire presque tout ce qu’on veut.
Tableau n°1 : dépenses de l’État
Dépenses en milliards (Md) d’euros, réparties en 3 pôles :
- Défense et sécurité : 9 Md
- dont forces de l’ordre : 8,6 Md
- dont services d’incendies et de secours : 0,4 Md
- Justice : 7 Md
- hors administration pénitentiaire : 3,5 Md
- dont administration pénitentiaire : 3,5 Md
- Santé : 3 Md
Total tableau n°1 : 18,3 milliards d’euros.
Tableau n°2 : coût humain et matériel pour l’État
Coût matériel et humain pour l’État, en milliards d’euros, selon la méthodologie VVS (valeur d’une vie statistique) :
Coût pour l’État | Total |
---|---|
Homicides et tentatives d’homicide | 2,4 |
Coups et violence volontaires | 18 |
Violences conjugales | 3,3 |
Maltraitance des enfants | 8,4 |
Crimes et délits sexuels (hors famille) | 17,8 |
Atteintes à la sûreté de l’État (attentats du 13 novembre 2015) | 2,2 |
Vols | 3,7 |
Insécurité routière | 13,3 |
Trafic de stupéfiant | 7,5 |
Traite humaine (prostitution) | 0,3 |
À noter que l’insécurité routière (13,3 Md) se répartit en 7,5 Md au titre de la mortalité et 5,8 Md au titre des dégâts matériels.
Total tableau n°2 : 76,9 milliards d’euros.
Total tableau n°1 + tableau n°2 = 95,2 milliards d’euros.
Un problème mondial
Si l’analyse de l’autrice se limite à la France, elle reconnaît que le problème est largement mondial. Il se retrouve dans tous les pays et dans leurs relations entre eux. La conception viriliste des relations internationales se paie en guerres, en dominations et en colonisation.
Ce coût économique et humain désastreux se redouble d’un coût écologique. Le lien entre valeurs viriles et non respect de l’environnement est en effet largement documenté. On pense, entre autres, au concept de “pétro-masculinité” proposé par Cara Dagget.
Face à cela, Lucile Peytavin propose deux leviers : la science et l’éducation. La science : il faut admettre que la criminalité est massivement le fait des hommes, et intégrer le critère du sexe dans les études sur le sujet. Elle invite à créer des programmes de recherche pour mieux quantifier le lien entre délinquance et virilité.
L’éducation : puisque la violence est le résultat d’une éducation et d’une socialisation masculine particulière, il faut éduquer les hommes autrement. Et si ni l’éducation traditionnelle ni l’éducation neutre ne marchent, pourquoi ne pas tester d’éduquer les garçons comme des filles ? Provoc’, mais pas tant que ça.
Parce qu’ultimement, payer le coût de la virilité n’est pas une fatalité.
Ah, et aussi
Si ce billet vous a plu, n’hésitez pas à lire le livre de Lucile Peytavin (wouhou, idée de folie). C’est quand même plus complet que ce résumé 😉 Vous pouvez aussi jeter un œil à : ce billet de Bon pote, sur le fait que les trolls et les haineux sur Internet soient (surprise !) toujours des hommes.
Et puisqu’on parle du coût des choses, je vous indique que ce billet m’a coûté : 17,50€ (achat du livre), environ 5–6h de lecture et facile 5–6h d’écriture. Et pour info, les contenus en liens externes sont tous des ajouts de ma part et ne sont pas mentionnés dans le livre.
Une réponse à “Le coût de la virilité”
@updates une autre lecture du livre (féministe matérialiste)
https://www.youtube.com/watch?v=Vk0ndxKfujE