Comment organiser une révolution

Vous visua­li­sez la page 2 d’un article qui résume le livre Blueprint for a Revolution du révo­lu­tion­naire serbe Srdja Popovic. Vous pou­vez retour­ner en page 1 si besoin.

Chapitre 7 : C’est l’unité, idiot !

Les cha­pitres 1 à 6 ont expli­qué ce qu’est l’ac­tion non vio­lente, les cha­pitres 7 à la fin vont insis­ter sur com­ment la mettre en œuvre.

Les divi­sions internes de l’op­po­si­tion font le tra­vail du dic­ta­teur à sa place et contri­buent à le main­te­nir en place. C’est pour­quoi cer­tains mou­ve­ments échouent, comme en Biélorussie. Mais mal­gré son carac­tère déci­sif, l’u­ni­té est très dif­fi­cile à obte­nir.

D’une part parce que le régime va “divi­ser pour mieux régner”. Pour s’u­nir, il faut des coa­li­tions, ce qui sup­pose que les gens se parlent et sur­montent leurs dif­fé­rences. Interdire les ras­sem­ble­ments de plus de 5 per­sonne, comme dans l’Égypte de Moubarak, est donc une bonne idée pour évi­ter ça. D’autre part, tout le monde pense mieux savoir que les autres. Chez des per­sonnes jeunes et brû­lantes comme le sont les acti­vistes, il n’est pas éton­nant qu’on se dispute.

Mais pire, il y a dif­fé­rents types d’u­ni­tés : poli­tique, raciale, sociale, reli­gieuse ou entre orien­ta­tions sexuelles dif­fé­rentes. Ces larges uni­tés stra­té­giques contiennent tou­te­fois des uni­tés tac­tiques plus petites.

D’abord, il y a l’u­ni­té du mes­sage. Il faut un mes­sage clair et ras­sem­bleur, qui montre sur quoi on se foca­lise. Défendre cha­cun des élé­ments de la “vision de demain” est com­plexe, peut divi­ser ou rendre le mou­ve­ment moins lisible. 

Un slo­gan comme “Il est fini” montre l’ob­jec­tif et réunit contre le dic­ta­teur (c’é­tait le slo­gan d’Otpor!). À l’in­verse, en par­lant régu­liè­re­ment d’autre chose que des droits de femmes, les Femen ont per­du l’u­ni­té de leur mes­sage. On sait qu’elles seront pro­ba­ble­ment seins nus, mais pour par­ler de quoi ?

Il faut ensuite conser­ver l’u­ni­té du mou­ve­ment. Une révo­lu­tion doit agré­ger un grand nombre de gens d’ho­ri­zons dif­fé­rents. Sans uni­té, le mou­ve­ment est condam­né à se dis­lo­quer, parce qu’on ne peut pas empê­cher les humains de s’entre-déchi­rer. Les règles de fonc­tion­ne­ment du groupe (consen­sus, etc.) n’empêchent pas l’ap­pa­ri­tion des tensions.

Toucher un public large

L’autre écueil est de ne pas tou­cher tout le monde. On n’ar­rive à recru­ter que dans cer­tains milieux et on n’in­té­resse pas d’autres, alors qu’on a besoin d’eux pour créer un mou­ve­ment glo­bal. C’est l’in­té­rêt de la ligne de par­tage d’Otpor ! : aider à trou­ver les élé­ments qui ras­semblent un maxi­mum de gens.

Comparez deux phrases : “Nous sommes des libé­raux qui veulent pra­tique une idéo­lo­gie” et “Nous sommes un mou­ve­ment qui pensent que les gens qui tra­vaillent dur méritent mieux”. La dis­tance n’est pas for­cé­ment immense. Mais seule l’une de ces phrases peut séduire un grand nombre de per­sonnes diverses.

Popović men­tionne des acti­vistes envi­ron­ne­men­taux amé­ri­cains qui se dégui­saient en ours polaire pour aler­ter sur le cli­mat. Ce dégui­se­ment ne parle pas à un agri­cul­teur de l’Iowa. Pour le sen­si­bi­li­ser, il aurait peut-être fal­lu se dégui­ser en épi de blé rabou­gri par la sécheresse.

Popović aborde ensuite Occupy Wall Street, dont le nom oblige à “occu­per” quelque chose. En chan­geant de nom pour “les 99%”, ils auraient pu faire la même chose en étant plus attrac­tifs et inclu­sifs. Ils auraient aus­si pu invi­ter des célé­bri­tés plus rurales à les sou­te­nir, pas juste s’ap­puyer sur des per­son­na­li­tés qui plai­saient déjà à leur démographie.

L’identité de groupe est élé­ment indis­pen­sable à un mou­ve­ment. Il faut créer les élé­ments de cette iden­ti­té, créer un sen­ti­ment de com­mu­nau­té. Un mou­ve­ment est un orga­nisme vivant, son uni­té doit être pla­ni­fiée et tra­vaillée, sinon il n’y en aura pas.

L’objectif est de créer une orga­ni­sa­tion qui ne laisse per­sonne en arrière et qui tient sur ses valeurs. Tout ce qu’on fait doit faire sen­tir aux gens que votre com­bat est aus­si le leur. Parfois, ça passe par le fait de chan­ter ensemble des choses sur place, de faire se tenir la main à des communautés.

Chapitre 8 : Planifiez votre chemin vers la victoire

Étudier la pla­ni­fi­ca­tion (ou l’ab­sence de pla­ni­fi­ca­tion) d’un mou­ve­ment est une bonne leçon pour les activistes.

Le 1er élé­ment de la pla­ni­fi­ca­tion est le timing. Les gens sont incons­tants, irra­tion­nels et faci­le­ment dis­traits : il faut savoir les sol­li­ci­ter au bon moment. Agir à contre-temps est voué à l’é­chec. Sur ce point, on peut exploi­ter le rythme natu­rel de la vie sociale.

À Belgrade, Otpor ! a uti­li­sé le réveillon du pas­sage à l’an 2000. Une série de concerts étaient pré­vus sur une place le 31 décembre, et une rumeur vivace disait que les Red Hot Chili Peppers y seraient à minuit pour un concert sur­prise. Le soir du 31, la foule est là, enthou­siaste et convain­cue de ce qui va se passer. 

Mais fina­le­ment c’est Otpor ! sur scène. Ils rap­pellent l’op­pres­sion en cours, portent l’es­poir, et appellent à l’ac­tion pour 2000. La foule est stu­pé­faite, mais se met rapi­de­ment à chan­ter et à com­mu­nier. Le mes­sage est pas­sé : cette année, on ren­verse le pou­voir lors des élections.

Identifier l’objectif final

Popović aborde ensuite les leçons de Gene Sharp, un théo­ri­cien de la non-vio­lence, pré­sen­té comme le “Machiavel de la non-vio­lence”, et celles de Robert ‘Bob’ Helvey, un colo­nel reve­nu du Vietnam et conver­ti à la non-violence.

Selon Sharp, la lutte non vio­lente est une pure ques­tion de pou­voir poli­tique. Il faut savoir com­ment s’emparer du pou­voir et en pri­ver les autres : ce n’est pas moins une lutte, mais on uti­lise des moyens et tac­tiques différents.

Helvey insiste lui sur l’ob­jec­tif ultime : il faut savoir ce qu’on veut vrai­ment et voir plus loin que les objec­tifs inter­mé­diaires. Il faut se pro­je­ter là où l’on veut être au bout du che­min (dans 5 ans par exemple).

Faute de ça, on peut choi­sir un mau­vais objec­tif ou rater le sien. Ce qu’est qui s’est pas­sé en Égypte : Moubarak est tom­bé, mais l’ob­jec­tif (la démo­cra­tie) a été manqué.

La planification inversée

La défi­ni­tion d’un objec­tif est cru­ciale pour la pla­ni­fi­ca­tion. Si on ne sait pas où on veut aller, aucun taxi ne nous y amè­ne­ra. Et l’ob­jec­tif per­met de mettre en place une pla­ni­fi­ca­tion à séquence inver­sée. Avec cette méthode, on part d’une situa­tion finale très concrète et pré­cise, et on déroule les étapes qui ont per­mis d’y arriver.

Popović illustre ça en par­tant de l’ob­jec­tif de deve­nir une rock star. Il ima­gine un concert, les membres de son groupe, la salle qui les accueille et le public devant lui. Rapidement, il devient clair qu’il n’i­ma­gine pas n’im­porte quel public : il pense à des adultes, qui viennent écou­ter du rock un mar­di soir plu­vieux dans un club local.

Conclusions opé­ra­tion­nelles. D’abord, il peut igno­rer des pans entiers de la popu­la­tion (les ados, les fans d’autres gens musi­caux) : ils ne sont pas dans la cible. Ensuite, les actions qui ne per­mettent pas de tou­cher sa cible sont une perte de temps. Enfin, le cir­cuit des clubs locaux est cru­cial, puisque c’est là où il veut jouer.

Il va donc mon­ter un groupe avec des amis, lis­ter les clubs qui conviennent (du plus petit au plus grand), et voir quelles sont les condi­tions pra­tiques pour y être la tête d’af­fiche. Puisque cer­tains clubs demandent des garan­ties d’au­dience, il négo­cie avec d’autres musi­ciens aspi­rants de tou­jours aller voir les concerts les uns des autres, pour pou­voir assu­rer une audience quand ils jouent. Il n’est pas encore rock star, mais il s’en approche.

En divi­sant son rêve en plu­sieurs étapes dis­tinctes, il peut prendre en compte les exi­gences logis­tiques de chaque étape. Cette stra­té­gie aug­mente consi­dé­ra­ble­ment les chances d’ar­ri­ver à l’ob­jec­tif… même s’il faut véri­fier à inter­valles régu­liers que l’on par­vient bien à avan­cer vers l’objectif.

Savoir compter ses forces

Autre leçon de pla­ni­fi­ca­tion, savoir comp­ter ses forces. En Birmanie, la junte mili­taire dis­po­sait de 200 000 sol­dats et l’op­po­si­tion d’au­tour de 20 000 com­bat­tants armés dans la jungle. Mais le pays comp­tait 48 mil­lions d’ha­bi­tants. Pour une lutte non vio­lente, ça veut dire 48 mil­lions de per­sonnes mobi­li­sables, à condi­tion de les for­mer à lut­ter sans armes depuis là où elles sont, plu­tôt que d’es­sayer de les envoyer avec un AK-47 dans la jungle. En per­met­tant à tout le monde d’a­gir, on aug­mente la base de sou­tien et l’ac­ti­vi­té contre le régime.

Combiné à la pla­ni­fi­ca­tion à séquence inver­sée, cela donne ceci : les oppo­sants bir­mans ima­ginent des mani­fes­ta­tions de masse contre le régime. Mais ils savent que l’ar­mée va tirer dans la foule. Comment faire ? Et bien si les moines ouvrent la marche, l’ar­mée n’o­se­ra pas tirer. Ou si elle tire, les consé­quences pour le régime seront catas­tro­phiques. L’étape 1 sera donc de recru­ter des moines.

Contrairement à Sharp et Helvey, Popović n’est pas fan des pages d’ins­truc­tion très struc­tu­rées (d’où la forme du livre). Mais il veut ter­mi­ner le cha­pitre sur des conseils pra­tiques clairs.

Distinguer stratégies et tactiques

Avant de s’in­té­res­ser à la pla­ni­fi­ca­tion inver­sée, au timing, etc. il faut dis­tin­guer 3 grandes caté­go­ries : la stra­té­gie glo­bale, la stra­té­gie, et la tac­tique. Et il va illus­trer avec le Seigneur des anneaux.

Stratégie glo­bale. Selon Sharp, ce sont “les idées géné­rales qui per­mettent de coor­don­ner et diri­ger toutes les res­sources dis­po­nibles et néces­saires (éco­no­miques, humaines, morales, poli­tiques, orga­ni­sa­tion­nelles, etc.) d’une nation ou d’un groupe en vue d’at­teindre les objec­tifs” dans un conflit. La stra­té­gie s’ap­puie sur des consi­dé­ra­tions concernant :

  • la jus­tesse de la cause défendue
  • les influences sus­cep­tibles de s’exer­cer sur la situation
  • le choix de la tech­nique d’ac­tion à employer
  • la manière d’at­teindre les objec­tifs recherchés
  • les consé­quences à long terme de la lutte menée

Appliqué au Seigneur des Anneaux main­te­nant. L’anneau unique doit être détruit :

  • Est-ce une cause juste ? Oui, sinon la Comté sera détruite
  • Ce qui influence la situa­tion ? Sauron et ses sbires
  • La tech­nique à uti­li­ser ? Un truc sans trop d’é­pées, car on est petit et faible (des hob­bits quoi)
  • Comment atteindre l’ob­jec­tif ? En trou­vant le che­min du Mordor et jetant l’an­neau dans la mon­tagne du Destin
  • Conséquence ? La paix dans le monde et pour soi

Stratégie. Toujours selon Sharp, il s’a­git de “déter­mi­ner la meilleure manière d’at­teindre les objec­tifs visés lors d’un conflit. […] La stra­té­gie consiste à se deman­der s’il faut com­battre, quand, et de quelle manière le faire avec le maxi­mum d’ef­fi­ca­ci­té”. Elle per­met de déter­mi­ner la dis­tri­bu­tion, l’a­dap­ta­tion et l’u­ti­li­sa­tion des moyens dont on dis­pose pour atteindre les objectifs.

Appliqué au Seigneur des Anneaux : une fois la stra­té­gie glo­bale en place, le plus effi­cace est de s’al­lier avec des gens par­ti­cu­liè­re­ment doués en conflit. On va donc voir les elfes. Et là on éva­lue à nou­veau la situa­tion pour dis­tri­buer les moyens : c’est-à-dire choi­sir les meilleurs alliés disponibles.

Tactique. Il s’a­git d’un plan d’ac­tion très limi­té que l’on met en place à un moment pré­cis. Exemple : le col du Caradhras est sur­veillé par Saruman ? On passe par les mines de la Moria ! Boromir est mort ? On s’ap­puie sur son frère Faramir.

Contrairement à la stra­té­gie, la pla­ni­fi­ca­tion tac­tique est sou­vent immé­diate et peut-être modi­fiée constam­ment. Elle sup­pose une com­pré­hen­sion aiguë du ter­rain et de une approche ima­gi­na­tive pour uti­li­ser au mieux les ressources.

La stra­té­gie et la tac­tique sont deux atti­tudes dif­fé­rentes qui cor­res­pondent en géné­ral à deux pro­fils de per­sonnes. Il est rare d’a­voir à la fois de bons stra­tèges et de bons tac­ti­ciens dans son mou­ve­ment, et il est encore plus rare qu’une seule per­sonne soit les deux à la fois. 

Le plus sou­vent on confond stra­té­gie et tac­tique, comme l’a fait Occupy Wall Street. Le mou­ve­ment est nom­mé à par­tir d’une tac­tique, l’oc­cu­pa­tion, au lieu de ren­voyer à l’ob­jec­tif ou l’u­ni­té du groupe.

Maintenir la dynamique

Enfin, si la pla­ni­fi­ca­tion inver­sée et une bonne pla­ni­fi­ca­tion résolvent cer­tains pro­blèmes, il faut gar­der à l’es­prit que la dyna­mique du mou­ve­ment compte. La 1re par­tie d’un com­bat c’est construire, la 2e par­tie c’est main­te­nir.

Pour Popović, si Otpor ! a réus­si, c’est parce qu’ils ont tou­jours su com­ment conti­nuer à jouer offen­sif en ampli­fiant sys­té­ma­ti­que­ment son action. Ils ont trai­té la révo­lu­tion comme un film d’ac­tion, où il faut tou­jours faire plus cool, plus grand et sur­tout ne pas las­ser le public. La dyna­mique est quelque chose de vivant : un évé­ne­ment peut la lan­cer, un autre peut la faire retomber.

Chapitre 9 : Les démons de la violence

La vio­lence est une menace directe : elle coûte de vies humaines et signi­fie en géné­ral la mort du mou­ve­ment et l’é­chec des causes soutenues. 

Mais Popović admet que les armes sont “cools” et qu’être armé change les gens pour une quel­conque rai­son. Il recon­naît aus­si que la vio­lence est par­fois inévi­table (comme face à l’ar­mée nazie).

Son objec­tion prin­ci­pale est que la lutte vio­lente ne marche pas. Elle est beau­coup moins effi­cace que la résis­tance non violente.

La violence est moins efficace

Après étude de 320 conflits entre 1900 et 2006, des cher­cheuses amé­ri­caines ont conclu que les conflits non vio­lents ont 2 fois plus de chance de suc­cès (53% vs 26% pour la lutte armée). Ils ral­lient aus­si plus de monde, là où la lutte vio­lente pla­fonne à ~50 000 participants. 

5 ans après la fin du conflit, il y a 40% de chances que le pays soit encore une démo­cra­tie si l’on est pas­sé par la non-vio­lence, contre 5% sinon. Le risque de retour de la guerre civile passe de 28% à 43% si l’on uti­lise la vio­lence pour ter­mi­ner le conflit.

Pire, la vio­lence peut ren­for­cer le pou­voir violent, en jouant sur l’i­den­ti­té grou­pale et le tri­ba­lisme. Quand l’OTAN a bom­bar­dé la Serbie, même des membres d’Otpor ! se sont sur­pris à sou­te­nir Milosevic face à l’Occident. Quand le groupe est en dan­ger, on se res­serre autour du chef, fût-il un tyran. La vio­lence fait peur et on cherche un lea­der fort pour nous protéger.

Un mou­ve­ment non violent cherche à conver­tir les autres à sa cause : les gens vont mener vos com­bats pour vous. On tire les piliers du pou­voir vers soi pour les ral­lier, plu­tôt que de les abattre. Ce genre de mou­ve­ment doit sus­ci­ter la sym­pa­thie et don­ner envie de le rejoindre par son éner­gie et son enthousiasme. 

Quand un mou­ve­ment comme celui de la place Tahrir en Egypte ren­verse le pou­voir, on voit des gens sou­riants, sans armes. On est faci­le­ment de leur côté. Quand un petit groupe armé fait tom­ber le pou­voir, c’est une autre histoire.

La non-vio­lence est aus­si supé­rieure car elle trace une ligne évi­dente entre les bons et les méchants (c’est la 2e rai­son de Popovic). Entre deux groupes armés qui s’af­frontent, où sont les bons ? qui se défend, qui attaque ? Difficile à dire au 1er coup d’œil. Mais entre un groupe armé et une masse non-vio­lente, la réponse va de soi. Martin Luther King disait que ses enne­mis auraient pré­fé­ré affron­ter un petit groupe armé plu­tôt que des masses réso­lues et organisées.

Maintenir la non-violence

Pour conser­ver ce gain, il faut main­te­nir la non-vio­lence dans ses rangs. Une infime poi­gnée de cré­tins vio­lents feront tou­jours la une des médias. Une répu­ta­tion ter­nie réduit ensuite la cré­di­bi­li­té et l’at­trac­ti­vi­té, par­fois au point de cas­ser la dyna­mique. Comment évi­ter ça ?

Premièrement, en inté­grant la non-vio­lence dans l’i­déo­lo­gie de son mou­ve­ment et en l’en­sei­gnant à ses membres. Beaucoup de gens ne connaissent que la vio­lence pour résoudre les conflits. Ils ignorent sin­cè­re­ment qui étaient Martin Luther King ou Nelson Mandela.

Deuxièmement, il faut for­mer ses membres à repé­rer les sources de fric­tion. Les confron­ta­tions arrivent sou­vent lors­qu’une logique “Vous vs eux” (les forces de l’ordre par ex.) se met en place. De chaque côté, cer­tains attendent une étin­celle pour uti­li­ser la vio­lence. Face à cela, il faut apprendre à ses membres com­ment réagir aux pro­vo­ca­tions et com­ment res­ter non violent face aux humiliations.

Otpor ! for­mait ses par­ti­sans à enton­ner des chants en l’hon­neur de la police après leurs arres­ta­tions. À titre pré­ven­tif, ils met­taient les jolies filles au 1er rang pour faire hési­ter les poli­ciers (sic). En sup­port, divers ins­tru­ments de musique jouaient fort et les gens dan­saient, pour rap­pe­ler qu’ils n’é­taient pas là pour mena­cer la police. Et, bien que Popovic n’in­siste pas des­sus, il y avait un ser­vice d’ordre pour iso­ler les fau­teurs de troubles.

Troisième étape, il faut défendre son mou­ve­ment contre les pro­vo­ca­tions. Il faut éta­blir une sépa­ra­tion claire entre son mou­ve­ment et les groupes toxiques qui viennent pour la vio­lence. Lors de Occupy, les pho­tos des Black Blocs tour­naient sur les réseaux sociaux pour que les gens puissent les iden­ti­fier et s’en dissocier.

À l’in­té­rieur, la dis­ci­pline non vio­lente garde le mou­ve­ment paci­fique. À l’ex­té­rieur, elle montre aux autres qu’on est bon lea­der. Cela aug­mente les chances d’at­ti­rer des res­pon­sables du régime oppres­seur, même de haut niveau. C’est ce qui s’é­tait pas­sé en Chine en 1989 lors des mani­fes­ta­tions de la place Tian’anmen.

Avec l’u­ni­té et la pla­ni­fi­ca­tion, la dis­ci­pline non vio­lente fait par­tie de la sainte tri­ni­té de la lutte non vio­lente. Mais ils ne suf­fisent pas à garan­tir le suc­cès du mouvement.

Chapitre 10 : Finissez ce que vous avez commencé

Un mou­ve­ment peut échouer et rater son objec­tif (final ou pas) même après une vic­toire appa­rem­ment impor­tante. Il y a plu­sieurs erreurs à éviter :

1) Crier vic­toire trop tôt. C’est ce qui s’est pas­sé en Égypte, où la chute du dic­ta­teur n’a pas ame­né la démo­cra­tie. Les acti­vistes ont réus­si à faire tom­ber Moubarak, mais d’autres forces mieux orga­ni­sées ont récu­pé­ré le pou­voir à leur place. Le mou­ve­ment a confon­du la chute du dic­ta­teur avec l’ob­jec­tif final, et n’a pas assu­ré un sui­vi et un main­tien de la mobilisation.

2) Ne pas recon­naître sa vic­toire. En 1989, le mou­ve­ment de la place Tian’anmen avait au départ des exi­gences rela­ti­ve­ment rai­son­nables et fai­sait sérieu­se­ment peur au pou­voir chi­nois. Le gou­ver­ne­ment a accep­té leurs demandes et pro­po­sé des conces­sions. Mais forts de leur réus­site, les acti­vistes ont reje­té ces avan­cées et ont deman­dé encore plus, ne vou­lant rien d’autre que la démo­cra­tie. Faute d’a­voir recon­nu et accep­té une vic­toire d’é­tape, sur laquelle il pou­vait capi­ta­li­ser, le mou­ve­ment a fon­cé vers la vic­toire finale et a échoué.

3) Relâcher la pres­sion après une vic­toire cru­ciale. En Ukraine, la Révo­lu­tion orange de 2004 n’a pas fait les erreurs de timings ci-des­sus. Mais faute de main­te­nir son uni­té après la vic­toire contre le diri­geant pro-russe, le mou­ve­ment s’est fis­su­ré, per­met­tant aux anciens diri­geants de reve­nir au pouvoir.

En Serbie, Otpor ! a com­pris que la chute de Milosevic n’é­tait pas suf­fi­sante. Ses par­ti­sans et l’ap­pa­reil légis­la­tif répres­sif res­taient pré­sents. Otpor ! a main­te­nu l’ac­tion et réorien­té sa com­mu­ni­ca­tion sur “Nous vous sur­veillons”. Empêcher un retour du pou­voir déchu et conso­li­der les ins­ti­tu­tions sont un tra­vail moins sexy et moins visible, mais il est essen­tiel d’as­su­rer ce suivi.

Quand on a acquis les fon­da­men­taux (défi­nir la cause, trou­ver les sym­boles, iden­ti­fier les piliers du pou­voir, retour­ner l’oppression contre elle-même), faire le bou­lot d’ac­ti­viste revient à savoir quand décla­rer vic­toire et pas­ser à l’ob­jec­tif sui­vant. Avoir des bonnes idées et des beaux dis­cours ne suf­fit pas.

Popovic met éga­le­ment en garde contre l’i­déa­li­sa­tion des nou­velles élites. La cor­rup­tion et l’a­bus de pou­voir peuvent aus­si venir de ceux qui ont ren­ver­sé le pou­voir pré­cé­dent. Une fois en place, on peut trou­ver que les méthodes ou la situa­tion de notre pré­dé­ces­seur sont confortables.

Chapitre 11 : Il fallait que ça soit vous

La cava­le­rie ne vien­dra pas vous sau­ver. Personne de meilleur que vous ne va arri­ver et résoudre vos pro­blèmes. Il faut que ça soit vous. Et vous serez seul.

C’est à vous de trou­ver com­ment appli­quer les prin­cipes de ce livre à votre situa­tion. Personne ne peut le faire à votre place. Personne ne connaît le ter­rain et votre com­mu­nau­té comme ceux qui le pra­tiquent, comme vous.

Agir uti­le­ment, for­ger l’u­ni­té, pla­ni­fier, main­te­nir la non-vio­lence : c’est à vous de trou­ver votre for­mule en res­tant enthou­siaste et créa­tif (2 élé­ments cru­ciaux). Les chan­ge­ments ne sont pas pro­duits par des gens excep­tion­nels, juste des gens, des hobbits.

Tout revient à la com­mu­nau­té, aux gens. Les idées de ce livre sont un cadre pra­tique, mais ne sont rien sans la déter­mi­na­tion de chan­ger les choses et la convic­tion que c’est possible.

Avant de se dire au revoir

Popovic ne compte pas ter­mi­ner sur des encou­ra­ge­ments opti­mistes. Il rap­pelle quelques éléments.

La chance compte. On peut échouer mal­gré son tra­vail ou réus­sir sans s’y attendre. Tout ce qui peut aller mal ira mal (loi de Murphy). Pour évi­ter ça, deux choses à faire. 1. Être méti­cu­leux et ne rien lais­ser au hasard : il faut bos­ser. 2. Apprendre à accep­ter les revers comme des inci­dents de par­cours inhé­rent à l’action.

Vous ne pou­vez pas réus­sir seul. Participer à chan­ger les choses, c’est prendre des risques et ren­con­trer une oppo­si­tion déter­mi­née. Vous aurez besoin de par­ta­ger vos peurs, vos frus­tra­tions, vos joies. L’activisme est un sport d’équipe.

La diver­si­fi­ca­tion des pro­fils compte. Allez cher­cher les gens qui cor­res­pondent à vos besoins. Faites-vous des potes des gens dont vous avez besoin (des artistes, des codeurs, des jour­na­listes : ça dépend de vos pro­jets et de vos objectifs).

Les prin­cipes de ce livre ne sont pas des outils pour une cam­pagne limi­tée. Ce sont des consignes à suivre pour tout son enga­ge­ment civique et social. Ça donne des méthodes, mais aus­si le cou­rage d’agir. 

Vous pou­vez chan­ger les choses. Même si on semble tous convain­cus que seule l’é­lite et les puis­sants peuvent chan­ger le monde, c’est faux. Des gens humbles et faibles peuvent réus­sir beau­coup, avec un cou­rage et une action intel­li­gente. Ce sont eux qui amènent un chan­ge­ment durable.

Vous ren­con­tre­rez tou­jours des gens qui doutent qu’une per­sonne seule puisse faire la dif­fé­rence. Que ce soient ceux qui s’en remettent à des orga­ni­sa­tions puis­santes, à des lea­ders cha­ris­ma­tiques, ou ceux qui voient des com­plots et des mani­pu­la­tions par­tout. Au fond, ces gens-là ne disent rien d’autre que : “Je ne pense pas que je puisse chan­ger les choses”. 

À noter que Popovic men­tionne ici spé­ci­fi­que­ment ceux qui accusent son orga­ni­sa­tion (Canvas) d’être à la botte des États-Unis et de George Soros.

Il achève le livre en don­nant son e‑mail et en rap­pe­lant le Seigneur des Anneaux. Si vous échouez, vous serez l’un des rares hob­bits à être sor­ti de la Comté pour essayer de faire ce qui s’im­pose. Il faut bien que quel­qu’un amène l’Anneau au Mordor. Et ça pour­rait par­fai­te­ment être vous.

Pages : 1 2