Recyclage : le grand enfumage

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À qui la faute ?

Les résultats insatisfaisants ne sont pas pleinement imputables aux citoyens (qu'on imagine, au choix : incivils, désintéressés, défiants, peu enclins à changer d'habitude). Les choix d'organisation et de communication autour du tri et de la collecte influent grandement sur le geste de tri.

Bacs non-harmonisés, fréquence de la collecte des bacs, lieux d'implantation des points d'apport volontaire, signalétiques, absence de tri dans l'espace public, etc. Ces éléments ont un impact, et le citoyen-usager a peu de prises sur eux.

[Illustration personnelle. J'habite à la limite de deux communes. Dans l'une, les bacs bleus sont pour le tout venant. Dans l'autre, ils sont pour le recyclage. Même si une harmonisation nationale est prévue, on aura quand même laissé prospérer une situation absurde et inefficace, durant des années.]

Au-delà des collectivités locales, les filières REP ont une responsabilité particulière puisqu'elles financent voire organisent la chaîne de tri et de collecte. Or le financement de la collecte est jugé insuffisant par les opérateurs de collecte eux-mêmes.

Dans le même temps, certains éco-organismes ont été épinglés par la Cour des comptes pour les hauts salaires de leurs dirigeants (Citeo, en 2014 et 2016). Ces sociétés brassent des sommes importantes (jusqu'à des dizaines de M€) et la loi prévoit qu'elles soient à but non lucratif. Malgré cela, elle la non lucrativité n'est pas inscrite dans leurs statuts.

Finalement, la responsabilité "élargie" des producteurs n'est pas si élargie. En 2018, les metteurs sur le marché ont financé la gestion des déchets à titre de 1,2 Md€. Le coût total de la gestion des déchets s'élevait alors à 20 Md€, dont +14 Md€ pris sur le budget des collectivités locales. C'est donc la société dans son ensemble qui paie pour les choix d'une minorité d'acteurs, qui eux en tirent un profit clair.

Au-delà des déchets ménagers, Flore Berlingen rappelle que les entreprises sont encore loin de toutes mettre ne place le tri, malgré leurs obligations légales (décret 5 flux). Elle invite également à comparer le coût annuel des déchets pour les collectivités (>14 Md€) au budget 2020 du Ministère de la Transition écologie : 13,2Md€.

Une communication biaisée

La communication sur le geste de tri est un facteur clé de performance. Une mauvaise compréhension des consignes peut décourager de trier. Pourtant les éco-organismes ne sont pas toujours exemplaires.

Citeo s'est opposé à la suppression du point vert, un symbole célèbre mais très mal compris, que les gens interprètent à tort comme un signe de recyclabilité. Pire, Citeo l'associe à l'acte de tri, ce qui entretient la confusion. [Voir l'image plus bas].

Sur les emballages, on trouve depuis quelques années une injonction peu claire, voire contradictoire : "pensez au tri / emballage à jeter". Le simple fait d'ajouter cette signalétique fait toucher un bonus au metteur sur le marché, même si l'emballage n'est pas du tout recyclable.

Injonction en question, telle que lisible sur les emballages. Description infra.
Ici, il faut comprendre que le produit possède une boite en carton (à trier pour recyclage) et un sachet plastique (non recyclable, à jeter avec le tout venant). Le symbole rond "Point vert" signifie que l'entreprise a payé son éco-contribution. Il n'y a rien à voir avec la recyclabilité ou non du produit.

Cette signalétique peut être encore plus perturbante sur d'autres produits. Elle peut afficher "Pensez au tri !" sur des produits non recyclables, et donc indiquer "À jeter". En creux, elle sépare "trier" et "jeter", comme si jeter un emballage recyclable n'allait pas produire un déchet.

Inscription présente sur les emballages, divisée en 3 zones (une grande, deux petites). Grande zone, avec le logo Point Vert : "Pensez au tri ! Ensemble, réduisons l'impact environnemental des emballages". Deuxième zone, en dessous : "Sachet plastique : à jeter". Troisième zone, à coté de la précédente : "Boîte carton : à recycler". Enfin, sous les 3 zones: "Consigne nationale, peut varier localement > www.ConsigneDeTri.fr


Dans l'espace public, certaines campagnes de promotion du recyclage s'apparentent à de la publicité pour les marques à l'origine des déchets plastiques. Difficile pour Citeo d'évoquer un emballage sale, abîmé et polluant l'environnement… alors même que cet emballage est crucial dans la promotion des marques qui financent l'éco-organisme.

Publicité Citeo n°1 : On voit une bouteille de Salvetat avec le logo Vittel. Message principal : "Des bouteilles de Vittel peuvent devenir une bouteille de Salvétat. Vous triez, nous recyclons". Message secondaire : "Les bouteilles en plastique PET sont 100% recyclables. Triées et recyclées, elles peuvent servir à fabriquer de nouvelles bouteilles. Découvrez comment sur vousTriezNousRecyclons.com".

Publicité Citéo n°2 : On voit 6 bouteilles en plastique dont les étiquettes ont été interverties. La bouteille de Pepsi porte l'étiquette Fanta, et ainsi de suite. On reconnaît les marque Cristalline, Evian, Pepsi, Salvétat, Fanta et Oasis. Message principal : "Vous triez, nous recyclons". Message secondaire identique à la publicité n°1.


[Dans la campagne supra, on ne voit que les marques. On montre la bouteille pleine, propre, prête à être achetée... Le tout joue une connaissance fine des marques par les consommateurs. À l'inverse, les campagnes de Citeo qui mettent avant l'aspect "déchet" font systématiquement disparaître les marques. Les déchets qu'on y voit sont irréels : ils ont été jetés par quelqu'un (le consommateur), mais produits par personne. Le contraste est saisissant avec les véritables déchets, qui sont marqués par le logo de leurs producteurs et leur familiarité pour le consommateur.]

Les conflits d'intérêts au sein des filières REP s'illustrent aussi par leurs liens avec des lobbies qui défendent les intérêts des metteurs sur le marché. Chargé d'améliorer le tri et la prévention des déchets, Citeo s'est associé aux lobbies du plastique à usage unique en 2018 pour demander à la Commission Européenne de réduire l'impact de la directive Single-use Plastics (SUP). L'eco-organisme a aussi équipé ses adhérents d'un kit de communication pour faire face aux critiques de Cash Investigation.

Censé encourager la réduction des déchets, Citeo a défendu le plastique à usage unique auprès de l'Europe, en association avec les lobbies du plastique.

Ce mélange d'injonctions contradictoires et d'autopromotion n'est pas l'apanage des filières REP. Certaines campagnes de "sensibilisation" menées directement par les entreprises font de même… Quand l'entreprise ne fait carrément pas un don défiscalisé à une structure associative qu'elle contrôle indirectement.

Un système de recyclage occidental dépendant

On a vu les limites opérationnelles du recyclage en France, mais les pays proches sont-ils plus performants ? Là où il existe une consigne pour recyclage (bouteilles, canettes), le taux de collecte est plus important mais uniquement pour ces produits, qui ont une forte valeur intrinsèque. De façon générale, les meilleurs élèves du recyclage en Europe n'atteignent même pas 60% de recyclage.

Pour clore la question de la responsabilité des producteurs, Flore Berlingen rappelle que sous couvert de recyclage, les pays occidentaux exportent des déchets plastiques, des déchets électroniques, des textiles, notamment en Asie. Supposément recyclables, ces déchets y sont plus difficiles à tracer et conduisent souvent à des pollutions (décharges ou brûlages sauvages) qui nuisent aux populations locales.

Fin 2017, la décision chinoise de fermer ses frontières aux déchets de mauvaise qualité fin 2017, a conduit à une baisse de 99,1% de ses importations de plastique à recycler. On a alors vu la dépendance de certains pays par rapport à l'exportation. Certaines villes des États-Unis ont simplement stoppé la collecte des recyclables. Il a fallu trouver des solutions de secours : incinération, mais aussi souvent export dans d'autres pays (Malaisie, Thaïlande, Indonésie).

2. Le mythe du recyclage à l'infini

Fuites et imperfections du recyclage

Admettons qu'on résolve tous les obstacles opérationnels vus précédemment et que tous les déchets soient parfaitement triés. Dans ce scénario idéal, une économie circulaire fondée sur le recyclage n'est toujours pas viable, pour trois raisons :

  1. L'usage dispersif des ressources les rend impossibles à récupérer (et donc à recycler). Les métaux utilisés dans le maquillage, les peintures ou les alliages ne sont pas récupérables. Sur 100 MT de métaux produits chaque année, 22 MT sont dispersés, et 15 MT disséminées sous forme de gaz.
  2. Les additifs limitent l'usage de la matière recyclée. On ne peut pas enlever la couleur, ce qui rend le matériau recyclé coloré et moins passe partout. Certains additifs peuvent aussi poser des questions sanitaires (usage alimentaire du plastique).
  3. Les cycles de recyclage induisent des pertes de matière et une baisse de qualité progressive du matériau. Il faut rajouter de la matière vierge pour compenser. Parler de "décyclage" ou de "sous-cyclage" serait plus correct.

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