Souvent ridiculisés, les petits gestes militants peuvent avoir un impact réel pour changer la norme sociale. Un point de vue qui suppose de réfléchir à ce qui compte comme “petit” geste et sur le type d’impact qu’on veut prioriser.
Dans les milieux militants, on aime bien critiquer les “petits gestes”. Vous savez, ces actions individuelles du quotidien, comme bien trier ses déchets ou avoir son tote bag pour éviter les sacs plastique. On adore dénigrer leur impact, avec un soupçon de mépris pour les idiots et idiotes qui s’épuisent à les faire. Le vrai problème, c’est {insérer une cause systémique}. Mettre en avant des petits gestes sert à culpabiliser des victimes et à orienter leurs efforts vers des fausses solutions.
Soyons clairs, j’en pense pas moins. Et pourtant, je pense qu’on peut sauver les petits gestes. Pas parce qu’ils seraient efficaces pour la cause. Parce qu’ils sont efficaces à changer la norme sociale. C’est tout le sujet : quand on parle d’impact, à quoi on pense ? Si c’est l’impact climat, biodiversité, etc. presque personne n’a la main pour agir, sauf des acteurs écocidaires. Si on parle de l’impact sur ce qui est normal, courant, accepté dans la société, alors les petits gestes ont un sens.
En tant que militant zéro gaspillage, je prends souvent des croissants à la boulangerie dans un sac en tissu réutilisable. D’un point de vue impact gaz à effet de serre : balec. Je pourrais arrêter le faire pour les 60 prochaines années sans que ça soit signifiant. Et de toute façon, je ne le fais même pas tout le temps.
Mais dans chaque boulangerie où je vais, je suis peut-être la première personne à demander d’être servi dans du réutilisable. Pour les commerçant·es et les client·es qui sont là, ça montre que ce comportement existe. Ça prépare le terrain pour d’autres personnes qui voudraient faire pareil. Ça banalise le truc. Ce qui m’intéresse, c’est l’effet sur les autres, pas sur le climat.
Des effets incertains et invisibles
Mais cet effet, il se voit pas. Je serai pas là pour voir un déclic chez la personne, ni demain ni plus tard. Peut-être que ça sera juste un de ces événements insignifiants, un truc qui s’accumule, et qui, un jour, produit du concret. Peut-être que ça ne servira juste à rien. Mais qu’est-ce que j’en sais ?
Pendant longtemps, j’ai été le gars qui pense que le féminisme était un débat d’arrière-garde. Franchement, je voyais pas l’actualité du truc. Mais je me suis pas réveillé un matin en ayant compris que j’étais grave con. En fait, j’ai croisé la copine d’un pote, et elle se déclarait féministe. Et puis j’ai eu une collègue qui faisait pareil. Dans les gens qui suivait mon blog, y’avait une meuf qui parlait du sujet.
Bref, il était arrivé dans mon environnement social, même très éloigné. C’était un truc possible, incarné par des gens autour de moi. J’étais prêt à écouter, parce que plusieurs meufs avaient juste fait le geste insignifiant d’affirmer leur avis. De dire que le sujet existait pour elles et qu’elles n’en avaient pas rien à foutre. L’accumulation d’actions minimes anti-climatiques change la norme sociale. Ça claque pas comme un blocage d’usine. Mais on peut faire les deux.
Individuel et collectif
J’étais à l’AG d’une asso hier. Lors d’un atelier, on discute “actions individuelles versus actions collectives”. Rapidement, Guillaume et moi on pointe qu’on arrive pas à faire une différence nette. Quand on vit en société (#OnVitDansUneSociété), presque tout ce qui nous arrive s’appuie sur l’action des autres, et tout ce qu’on fait affecte les autres d’une certaine façon.
Quand on défend la consigne pour réemploi, est-ce qu’on défend un truc collectif ? Un projet d’investissement, de création d’infrastructures, de réseaux professionnels ? Ou est-ce qu’on défend un truc individuel : des personnes qui ramènent chacune leurs bouteilles en verre au supermarché ? On peut dire la même chose pour des tas de causes.
Les “petits gestes”, on voit où ils commencent, on sait pas où ils terminent. C’est facile de se foutre de la gueule des gens qui les font naïvement. Et on a raison de critiquer ceux qui les défendent pour échapper à leurs responsabilités. Mais on devrait pas cracher sur leur impact pour changer la norme. On serait surpris de voir tout ce qui arrive par effet d’exposition, par accumulation de gestes infiniment petits.