Note sur Zéro Déchet de Béa Johnson

J’ai récem­ment lu le début et la conclu­sion de Zéro Déchet de Béa Johnson (2013). J’étais à la recherche de la défi­ni­tion ori­gi­nelle des 5 R du zéro déchet, puisque c’est Johnson qui les a for­mu­lés1. Quelques élé­ments qui m’ont marqué.

La radicalité est déjà là

Béa Johnson parle beau­coup d’emballages et d’ac­tion indi­vi­duelles, mais les prin­cipes qu’elle pose sont for­mu­lés dans toute leur radi­ca­li­té. Elle ne dit pas “Refusez les embal­lages”, elle dit bien “Refuser ce dont vous n’a­vez pas besoin”. Elle s’in­siste pas tel­le­ment sur l’in­tros­pec­tion et l’a­na­lyse de ses besoins, mais le prin­cipe est posé.

Les 5R sont for­mu­lés en réfé­rence à des besoins, pas à des élé­ments par­ti­cu­liers. Les exemples qu’elle donne ne sont pas radi­caux, mais on peut reprendre les mêmes mots que Johnson et aller très très loin (c’est basi­que­ment mon pro­jet). Il y a un écart entre ce qu’on peut lire et déve­lop­per à par­tir de son texte, et ce sur quoi elle insiste, elle.

Des angles morts devenus évidents

Le livre date de 2013, et les anec­dotes qu’elles racontent d’en­core avant2 : il y a des angles morts qui sont deve­nus évi­dents depuis. Par exemple, quand elle raconte avoir pris l’a­vion pour aller rece­voir un prix aux États-Unis, mais que ce qui l’embête c’est d’a­voir accep­té un sac pro­mo­tion­nel de la part de l’en­tre­prise qui l’a­vait invitée.

L’impact du numé­rique aus­si est com­plè­te­ment invi­sible à l’é­poque. Johnson parle de l’im­pact du papier, du fait qu’on puisse lui repro­cher de publier un livre (plu­tôt qu’un livre numé­rique). On sait main­te­nant que l’im­pact du numé­rique et sa com­plexi­té sont impor­tants, et que le débat “papier ou sup­port numé­rique” n’est pas tran­ché aus­si facilement.

Une dimension politique ambiguë

Béa Johnson est l’ar­ché­type de ce qu’on ima­gine quand on pense que le zéro déchet n’est pas poli­tique. Une meuf blanche pri­vi­lé­giée, qui s’oc­cupe sur­tout de son foyer. Mais dès le début y’a une dimen­sion poli­tique dans son pro­pos. Elle a bien conscience que l’ob­jec­tif c’est de chan­ger la socié­té, d’ar­ri­ver à une socié­té zéro déchet. Sans infra­struc­ture, le zéro déchet ne peut pas pas­ser à l’échelle.

Et en même temps, sa vision poli­tique est très déce­vante. Elle explique que c’est “notre” res­pon­sa­bi­li­té délire un gou­ver­ne­ment qui prend au sérieux l’é­co­lo­gie. Elle n’é­voque que très peu la dimen­sion col­lec­tive de la poli­tique. Johnson raconte ses aven­tures de super-maman zéro déchet, pas du tout celle d’un groupe de citoyens et citoyennes motivées.

Ses enfants et son mari son à l’ar­rière-plan de son récit, et on a l’im­pres­sion qu’elle porte seule la charge éco­lo­gique du foyer. On sent vrai­ment une vision indi­vi­dua­liste libé­rale, aveugle à beau­coup d’op­pres­sions systémiques.

La traduction du titre pose problème

Après, c’est pos­si­ble­ment lié au titre du blog de Béa Johnson, qui donne ensuite son titre au livre. Il s’ap­pelle Zero Waste Home (Maison zéro déchet) : le focus est d’emblée mis sur la mai­son et sur le per­son­nel. La tra­duc­tion fran­çaise n’a pas aidé le mou­ve­ment : en sup­pri­mant le terme “mai­son” du titre, on donne l’im­pres­sion que le zéro déchet n’est qu’une his­toire domestique.

Les efforts réa­li­sés à Zero Waste France pour repo­li­ti­ser le zéro déchet à par­tir de 2020 naissent peut-être aus­si de ce défaut ori­gi­nel dans la tra­duc­tion du livre qui a incar­né le mou­ve­ment. Au pas­sage, je réa­lise que la Maison du Zéro Déchet titre peut-être ce nom du titre ori­gi­nel du livre de Johnson.

Un profil psychologique pas anodin

Béa Johnson le recon­naît d’elle-même, elle a ver­sé dans une forme d’extrémisme. Elle évoque avec recul et humour le moment où elle tente de rem­pla­cer le PQ par de la mousse cher­chée dans les bois. Mais mal­gré son recul, je m’in­ter­roge quand même sur son pro­fil psychologique.

L’énergie phy­sique et men­tale qu’elle a englou­ti dans la réa­li­sa­tion d’une mai­son abso­lu­ment zéro déchet (à la fin elle pro­duit 1L de déchet par an avec toute sa famille) doit être invrai­sem­blable. Les seules per­sonnes que je connais capables de faire ça sont des per­sonnes obses­sion­nelles ou bien sur le spectre, avec un inté­rêt spécifique.

Les limites de mon propos

Voilà ce qui m’a mar­qué en lisant juste l’in­tro, le cha­pitre sur les 5R, et la conclu­sion du livre. Peut-être qu’elle dit d’autres trucs dans le cœur du livre qui irait contre mes impressions.

Ça m’a aus­si confron­té à une forme de sexisme crasse de ma part. J’avais tou­jours vu Béa Johnson comme un cli­ché de zéro déchet infra-poli­tique ; et avec une dose de mépris, j’a­vais pas pris la peine de la lire.

La véri­té, c’est que son texte est beau­coup plus actuel et per­ti­nent que ce à quoi je m’at­ten­dais. Y’a des trucs qui ont mal vieilli, qui poli­ti­que­ment ne vont pas, mais y’a une bonne matière de base.

Notes

  1. Johnson est cré­di­tée pour les 5R, même si d’autres for­mules exis­taient avant. Son apport est d’a­jou­ter le R de “Refuser”. On retrouve cet apport dès fin 2009 (où elle ne cite que 4R) et début 2010 (où elle déve­loppe le R de Refuser). La pre­mière for­mu­la­tion com­plète des 5R sur son blog semble dater de 2011. ↩︎
  2. Le 23 décembre 2009 dans son 1er billet de blog, Béa Johnson dit avoir com­men­cé à réduire ses déchets depuis “12 mois”. Sauf si elle se plante de façon déli­rante, ce qu’elle raconte date donc d’entre 2008 et 2013. ↩︎

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