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Les impasses du recyclage du plastique
La dégradation est particulièrement problématique pour le plastique. Et ce alors, que seuls 9% des 8,3 MT de plastique fabriqués de 1950 à 2015 ont été recyclés.
Le plastique le plus facile à recycler est le polyéthylène téréphtalate (PET) transparent, qu'on trouve dans les bouteilles. Il se dégrade dès le 1er recyclage, notamment au niveau de sa transparence. Il faut plusieurs bouteilles de PET vierge (ou d'excellente qualité) pour fabriquer une seule bouteille 100% en PET recyclé.
En pratique, la matière recyclée ne constitue qu'une partie de l'emballage. Sa qualité plus faible impose un apport massif de matière vierge. Les 6 plus gros producteurs de boissons au monde n'intègrent en moyenne que 6,6% de PET recyclé à leurs bouteilles.
En France, 50 % des plastiques mis sur le marché ne peuvent pas être recyclés.
On est très loin des discours marketing du 100% recyclé et du bottle-to-bottle (qui suggère qu'une bouteille redevient une bouteille). L'objectif de Danone d'ici 2025 est d'intégrer 50% de PET recyclé dans toutes ses bouteilles, celui de Nestlé n'est qu'à 35%.
Et on ne parle là que de la résine qui se recycle le mieux, pour l'emballage dont le potentiel de recyclage est le plus élevé. Pour les autres emballages et les autres matériaux, l'ambition est plus faible.
En France, Citeo admet que 25% des plastiques mis sur le marché ne sont pas recyclables "pour l'instant"… et que 25% ne sont purement et simplement "sans solution de recyclage".
Les faux espoirs du recyclage chimique
Le recyclage actuellement pratiqué est mécanique : on broie, on refond, on pulvérise le plastique. Face aux limites de ces procédés, on prédit l'arrivée des recyclages chimiques, qui décomposeraient le plastique. Avec ces méthodes, on pourrait notamment séparer les polymères des plastiques des additifs utilisés ou bien dépolymériser pour revenir aux briques de base du matériau.
Mais malgré les promesses et la recherche, le recyclage chimique reste largement au stade de de l'expérimentation. Obstacles techniques, coûts d'exploitation, investissements lourds et potentiellement polluant : passer à l'échelle industrielme n'est pas gagné. Flore Berlingen rappelle que la recherche sur le recyclage chimique a commencé il y a 70 ans (dans les années 50) et n'a toujours pas permis de mettre au point un procédé chimique efficace et écologique.
Du point de vue de l'impact environnemental, le recyclage chimique ne fait pas forcément mieux que le recyclage mécanique. Et pour les plastiques impossibles à recycler mécaniquement, Berlingen invite à prendre du recul. Veut-on investir dans les solutions de substitution au jetable, ou dans le recyclage chimique ?
Après 70 ans de recherches, on n'a toujours pas de procédé de recyclage chimique déployable à grande échelle. Face à la crise d'aujourd'hui, le recyclage propose toujours une réponse "demain".
Ce recyclage pose aussi une question de capacité et de timing. Alors qu'on consomme +1 MT d'emballage plastique / an en France, la start-up la plus optimiste (Carbios) exploite seulement 2 usines d'une capacité de 7 tonnes / an. Elle espère ouvrir une usine de 20 tonnes en 2021.
Au bout du compte, parier sur le recyclage du plastique semble hasardeux. Il y a trop de plastiques, trop de types différents de plastiques, et trop peu de débouchés finaux pour le matériau recyclé. Tout recycler est illusoire. Alors que les enjeux environnementaux se jouent aujourd'hui, le recyclage efficace et suffisant est toujours repoussé à demain.
L'impact environnemental du recyclage
Si on s'intéresse au verre ou au métal, la dégradation du matériau et les pertes sont moindres au cours des cycles de recyclage. Mais on ne peut toujours pas parler de recyclage à l'infini.
La mauvaise qualité du tri, des assemblages ou des alliages amoindrit les possibilités et la qualité du recyclage. Après 3 ans à collecter des canettes d'aluminium pour recyclage, la start-up La Boucle Verte a découvert qu'aucune n'avait été recyclée, car les balles d'aluminium provenant des centres de tri français étaient inexploitables.
D'ailleurs, même en théorie, une canette n'est pas 100% recyclable. Une canette n'est pas 100% métallique : elle contient une fine couche de plastique à l'intérieur et du vernis à l'extérieur. Et une fois fondue, une portion du métal disparaît de toute façon ("perte au feu").
Vidéo en anglais. Le haut d'une canette de Coca Cola vide, attaché à un film en plastique souple. Pour obtenir ce résultat, on enlève la peinture d'une canette et on la trempe dans du débouche canalisations (sauf la partie supérieure). L'aluminium va réagir avec l'alkaline du débouche canalisations.
En 2h, l'aluminium disparaît et révèle un film plastique qui maintient le Coca à l'intérieur. Il évite que la boisson prenne un goût métallique. En vidant le Coca, on obtient le résultat montré en début de vidéo : une canette vide avec un film plastique.
Au-delà de ces aspects, l'impact environnemental du recyclage est largement sous-estimé. On oublie que recycler mobilise des quantités non négligeables d'énergie (1000°C pour fondre du verre) et d'eau (plusieurs lavages des plastiques).
Cette dépense de ressources n'est jamais remise en cause par les défenseurs du recyclage. Ils comparent la production de matière recyclée à celle de matière vierge et vantent (à raison) le caractère plus économe du recyclage en eau, énergie, et matériau.
Mais ce n'est pas la bonne perspective. Il faut s'interroger sur la pertinence à produire la matière recyclée, et comparer le recyclage avec la non-production de cette matière. [Ce qui doit être mis en balance, c'est la fabrication de verre neuf, le recyclage du verre, et la consigne du verre pour réemploi par exemple. Avons-nous réellement besoin de briser du verre pour le refondre ?]
La croissance de l'extraction des ressources
Enfin, le scénario du recyclage à l'infini induit à croire que notre besoin en ressources vierge diminue et que le recyclage progresse. En réalité, l'extraction de matière vierge augmente et l'industrie plastique connaît une croissance importante, largement fondée sur la matière vierge.
La production mondiale annuelle de plastique a augmenté de 45% entre 2005 et 2015. Elle devrait être multipliée par 4 d'ici 2050. De façon générale, l'extraction des ressources progresse 2 à 3 fois plus rapidement que le recyclage. La mauvaise qualité initiale des produits et l'absence de solutions pour leur fin de vie entretient l'économie linéaire.
Il faut interroger ce qu'on veut produire : certains objets jetables ne devraient pas exister. Les fabriquer recyclables ou à partir de matériau recyclé n'est pas la question.
Le recyclage n'apporte qu'une réponse très partielle à la surconsommation et la surproduction de déchets. Il mobilise beaucoup de ressources et d'énergies, mais ne constitue pas un débouché suffisant pour nos déchets. Les discours du 100% recyclage sont trompeurs, même s'ils sont très ancrés dans l'esprit des consommateurs.
Pendant longtemps Flore Berlingen a tenté de faire passer le message "Le recyclage est indispensable, mais il ne suffira pas". Elle trouve maintenant ce message trop faible. En se focalisant sur le recyclage, on a cessé de s'interroger sur la pertinence de ce qui était produit. Certains objets ne devraient même pas exister, qu'ils soient en matériau vierge ou recyclé.
La politique du tout-recyclage n'est pas juste insuffisante : elle devenue néfaste d'un point de vue social et environnemental.
3. Quand le recyclage entretient la surconsommation
Les promesses du recyclage sont instrumentalisées pour alimenter le greenwashing et retarder des réglementations ambitieuses sur la réduction des déchets. Mais plus profondément, le recyclage est la clé de voûte d'un système de distribution fondé sur le conditionnement à usage unique. Le recyclage n'appartient pas à l'économie circulaire : son modèle économique reproduit celui de l'économie linéaire.