Souris

Les chats, c’est connu, ont un sens inné du timing. Prenons celui devant moi. Nommons le A. (mon chat est très pudique et son nom ne sau­rait se dévoi­ler sur les Internets). Il est minuit cinq un jour de semaine quand A. débarque du jar­din l’œil fier et la bouche frétillante.

Cris.

Ma copine vient de voir A. et son air réjoui. Son ravis­se­ment à elle est tout modé­ré. La bouche qui fré­tille n’est pas vide. Une longue queue bien vivante en dépasse. Et il n’est pas ques­tion que A. le chat conti­nue de man­ger une sou­ris sous notre toit. Sous notre toit végé­ta­rien qui plus est.

Ni une, ni deux, A. recrache la sou­ris et finit enfer­mé dans le salon. Histoire ne pas se sen­tir seul, I. le chat et H. la chatte l’ac­com­pagnent dans le péri­mètre de sûre­té. S. la sou­ris nous remer­cie, mais pas vivement.

Où elle est ?

Ah putain elle peut être n’im­porte où. Je peux mettre mes chaus­sures ? – Plus tard ! C’est pas le moment. – J’aimerais bien… – Aide ! Maintenant ! Guillaume & A. (A. la copine, pas A. le chat) cherchent la sou­ris. Minuit plus 15.

Tu vois sous le lit ? – Non. – Prends le télé­phone-torche. Tu vois main­te­nant ? – Rien, fau­drait sou­le­ver le mate­las (ils sou­lèvent tant bien que mal l’é­pais mate­las mou en fibres bio­lo­giques). Ah bordel.

On va jamais y arriver.

Une crise de couple plus tard. C’est bon, je la vois. Elle est cachée entre le pied de la mez­za­nine et le mur. Faut juste pas qu’elle monte sur la mez­za­nine, sinon on est cuit.

Ils essaient d’at­tra­per la sou­ris. Je tiens la lampe, A. tient le tor­chon, la sou­ris tient le mur. Ah, la conne elle remonte. Cris, engueu­lade, dis­pa­ra­tion du rongeur.

Faites qu’elle soit pas pas­sée par le trou sous le plancher.

Ils sou­lèvent le mate­las du lit et l’en­tre­posent au sol dans le salon. Suit une ges­ti­cu­la­tion vaine pour déga­ger le som­mier. Des lampes IKEA échappent de peu à un des­tin funeste.

Si elle est sous le plan­cher, c’est fini. On la ver­ra jamais. Et on peut lais­ser les chats sor­tir. – Mais on peut pas lais­ser les chats enfer­més. – Et on peut pas col­ma­ter le trou du plan­cher. C’est bien trop large. (Ils désespèrent).

!!!

Elle est là ! Dans le salon. Entre le mur et le déshu­mi­di­fi­ca­teur. Avec le mate­las à coté, les chaises qui bloquent tout, le panier à linge, ça va pas être facile. Essayons de lui blo­quer le che­min sans qu’elle aille se cacher der­rière la machine à laver.

Bon, elle est der­rière la machine. On fait quoi ? Je sug­gère un bar­rage de gros scotch pour for­cer la bête à suivre un che­min défi­ni. On m’ex­plique que je ne com­prend rien ni aux sou­ris, ni au scotch. Le bar­rage est construit.

Tu la vois ? – Nan, c’est sombre et je vois mal. – Et là ? – Je vois tou­jours mal et c’est tou­jours sombre. – Mais tu vois rien ! – C’est ce que je dis ! – Je bouge la machine, elle est où ?

À droite.

À gauche.

À droite à nou­veau. Non, main­te­nant elle revient sous la machine. Gauche. Droite. Droite encore. (Ils construisent un piège à par­tir d’une boîte de mouchoir).

Elle est dans la boîte ? – Non. Elle s’ap­proche. – Elle y est ? – Je sais pas, je vois mal et c’est sombre… Ah ! Elle y est ! (A. tente de prendre la boîte). Elle n’y est plus. Elle passe par des­sus le scotch.

La sou­ris est désor­mais sous le fri­go. Il faut déga­ger l’in­té­grale des livres de cui­sine et des usten­siles sto­ckés des­sus pour le dépla­cer. Il est minuit plus tard.

Colmate le des­sous de porte ! Si elle passe sous la porte où sont enfer­mé les chats ça va être un car­nage. À ce stade nos héros sont fati­gués. Le mate­las est tou­jours au milieu du salon. Les chaises sont dans tous les sens.

Ils enferment la bête dans une boite de mou­choir, scel­lée par un livre.

Si je te donne la boite, t’es trop fati­guée et tu va la lâcher ? – En gros, oui. – Donc je sors pour libé­rer la sou­ris. – C’est ça. Mais je t’ac­com­pagne. Comme ça je vais t’ou­vrir les portes.

Ils sortent sous la pluie bat­tante. Je suis en chaus­settes, il est 1h 15 du matin, je tiens une boite de mou­choir, une sou­ris, et un livre de cui­sine. Je bosse demain.

On la relâche pas à coté de la maison !

Ils marchent 30 mètres plus loin. Le sol est trem­pé. Il fait noir. Toujours en chaus­settes, j’é­crase un escar­got par mégarde. Joie. – Là c’est bien ? – C’est un peu près non ? Et si elle reve­nait ? – Là ça me parait aller. Ou alors là, devant à 5m, ça le fait aussi.

Changement de plan ! Je sais où aller ! Ils reviennent sur leurs pas et marchent 60 mètres dans la direc­tion oppo­sée. – Ici ça sera bien. Dans le jar­din de cette mai­son ça devrait le faire.

Je pose la boîte au sol et secoue un peu. La sou­ris peine à vou­loir sor­tir. Finalement, elle s’é­chappe. Nous sommes libé­rés et les chats vont bien­tôt l’être.

Il est 1h 30, et il faut remettre le mate­las, le fri­go, la machine avant d’al­ler se cou­cher. La joie d’a­voir des chats. La joie d’a­voir des sou­ris. La joie d’être végétarien.