5 mois

C’est long 5 mois. Mais ça va mieux. Je le sais, parce que je ne pense plus à Madeleine. Plus tous les jours. Plus anor­ma­le­ment sou­vent. Madeleine est morte. Et le mot qui me vient : “injus­tice”.

J’ai vou­lu écrire. Un billet pour Madeleine, sur mes sou­ve­nirs d’elle et com­ment sa mort m’a­vait affec­té. Raconter ce mar­di soir plu­vieux au Père Lachaise, la nuit tom­bée, les larmes. Mon malaise et ma culpabilité.

J’ai pas réus­si. Mais 5 mois plus tard, ça va mieux. Je repense aux atten­tats presque tous les jours. Mais ça va mieux. Les week-ends sont courts, mais plus faciles.

Je grince moins des dents. Et mes échecs quo­ti­diens ne me ren­voient plus d’emblée au fait que j’ai évi­té la mort. Je foire des trucs, comme tout le monde. Mais je n’en­tends pas de suite “C’est pour ça que t’es en vie ? Pour faire ça ?”.

Je ne pense plus dans l’ins­tant : “Pourquoi Madeleine et pas moi ?”. Et cette com­pa­rai­son, de l’in­té­rêt de ma propre vie par rap­port à la sienne. Tout ce que je n’ar­rive pas à faire. Tout ce qu’elle aurait fait de mieux.

Guillaume

D. me dit que Madeleine était la copine de Guillaume, l’autre Guillaume. Ou alors quelque chose comme ça. Je ne veux pas être sûr. Une part de moi refuse d’in­té­grer l’info.

On a tous pris cher ce soir là. Je ne connais que des gens qui connaissent des gens qui y étaient. Mon père me parle de 7 mil­lions de per­sonnes tou­chées indirectement.

Mais si vrai­ment c’é­tait ça. Je dis quoi à Guillaume ? Est-ce que je lui dis seule­ment quelque chose ? Moi, qui, pour aucune rai­son, sur encore en vie alors qu’elle pas ?

À ce stade le lec­teur s’in­ter­roge sur la signi­fi­ca­tion idio­syn­cra­sique que l’au­teur semble don­ner au terme “Aller mieux”.

Après le Bataclan, il y a eu 3 choses dif­fi­ciles. La pre­mière, d’avoir aban­don­né A. D’avoir quit­té la rue sans savoir si elle était morte ou vivante. La seconde, la lettre de E., après des années de silences et de remords. Et, enfin, la mort de Madeleine.

A. est toute proche. J’écrirai à E. bien­tôt. Madeleine… J’ai l’im­pres­sion d’a­voir vécu avec elle pen­dant 5 mois. Et D. qui bosse sur les fan­tômes… Étrange sensation.

Absurdité

D’autant qu’au fond, il y a un truc de stu­pide et ridi­cule dans tout ça. Parce qu’on ne peut pas dire que je fré­quen­tais Madeleine. C’était une cama­rade de pré­pa. D’il y a 10 ans. Et sa mort me trouble à ce point.

Parce qu’elle est morte dans les 50 mètres autour de là où j’é­tais. Parce que j’ai peut-être vu son corps ou enjam­bé son cadavre. Parce que j’ai appris le dia­mètre des impacts de balle.

Le 13 novembre, des types sont venus nous tuer. C’est une phrase bizarre à écrire. Mais le nous est cir­cons­tan­ciel : ils venaient tuer “les gens qui étaient là”.

Moi, A., Madeleine. Et 89 autres noms qu’on peut lire Place de la République. L’imprimé sur la base de la sta­tue dit “Assassinés”.

Alors ça va mieux, oui. Mais pas encore “bien”.