#J’avais prévu d’écrire la suite de ma nuit après le Bataclan. Je ne sais plus désormais si c’est vraiment utile. Pas dans la forme du récit précédent en tout cas. À la place, je vais plutôt noter, pour moi et pour mémoire, ce qui m’aura marqué pendant et autour de cette affreuse soirée.
Le sang sur les fringues
Chez mes parents. J’ai prévenu Sylvie, A. est en sûreté. Mais la nuit commence juste et dehors la fusillade continue. Agité, je traverse l’appart de long en large en évitant la pièce télé. Cuisine. Entrée. Couloir. Devant la salle de bain, quelque chose arrête mon regard.
À l’intérieur, le miroir a reflété une tâche rouge sur ma chemise bleu clair. Je me colle à la glace du couloir pour examiner. Du sang. Une giclée a touché mon omoplate, laissant une trace verticale d’au moins 20 centimètres. Aussi vite qu’instinctivement, je jette la chemise au sol et m’écarte. Peut être en criant.
Je fuis le couloir.
Plus tard. À force de boire, je finis au toilettes. Vu mon état, je préfère m’asseoir. Pour la première fois depuis un moment, mon regard pointe vers le bas. Je hurle. Sur l’extérieur, ma basket gauche est tâchée de sang.
Je remonte mon fut’ et bondis hors de la pièce. Dans la foulée, je comprends qu’il y en a aussi sur mon jean, dont la couleur foncée masquait jusqu’ici les traces de sang. Une tâche au genou gauche et une plus haut, plus grande, sur la cuisse.
L’instant d’après, me voilà sans fut’ ni chaussures, sur la première chaise de la cuisine, et pas très bien.
Parce qu’avoir le sang d’autres gens sur soi, ça ne laisse pas très bien. Ça crée un lien étrange entre toi et les inconnus qui l’ont versé. Ça matérialise, si besoin était, l’horreur de ce qui leur est arrivé. Tu te demandes s’ils sont morts. S’ils sont juste blessés. Qui ils étaient.
Je peux le dire maintenant, en écrivant ces lignes : vu le lieu, vu le moment, il y a peu de chances que les gens dont tu portais le sang sur tes fringues soient encore en vie. Fais-toi à l’idée, Guillaume.
Bientôt la pluie lavera les dernières traces sur tes baskets.
Ça ne fera revenir personne.
La chance
J’ai beaucoup repensé à l’éclaboussure de mon épaule. Sur l’instant, dans la fosse, j’avais senti quelque chose. “Comme une balle en caoutchouc” dans le dos. Ça ne pouvait pas être réel. Je venais d’être touché par un truc, mais ça semblait rien.
En fait, je venais d’avoir du bol. Beaucoup de bol. Parce que si ça avait giclé sur moi, ça n’était pas passé loin. Et pas loin, ça aurait aussi bien pu être ma copine. Je me pose encore parfois la question : “C’était comment, derrière moi?”.
Quand je me suis levé pour courir, je me suis pas retourné. Est-ce que c’était des gens morts ? Des gens qui ont pu s’enfuir eux aussi ? Est-ce que c’est passé à un mètre ? À deux ? À quelques centimètres ?
Je ne saurai pas.
#À suivre, Après (2)