Après (1)

#J’avais pré­vu d’é­crire la suite de ma nuit après le Bataclan. Je ne sais plus désor­mais si c’est vrai­ment utile. Pas dans la forme du récit pré­cé­dent en tout cas. À la place, je vais plu­tôt noter, pour moi et pour mémoire, ce qui m’au­ra mar­qué pen­dant et autour de cette affreuse soirée.

Le sang sur les fringues

Chez mes parents. J’ai pré­ve­nu Sylvie, A. est en sûre­té. Mais la nuit com­mence juste et dehors la fusillade conti­nue. Agité, je tra­verse l’ap­part de long en large en évi­tant la pièce télé. Cuisine. Entrée. Couloir. Devant la salle de bain, quelque chose arrête mon regard.

À l’in­té­rieur, le miroir a reflé­té une tâche rouge sur ma che­mise bleu clair. Je me colle à la glace du cou­loir pour exa­mi­ner. Du sang. Une giclée a tou­ché mon omo­plate, lais­sant une trace ver­ti­cale d’au moins 20 cen­ti­mètres. Aussi vite qu’ins­tinc­ti­ve­ment, je jette la che­mise au sol et m’é­carte. Peut être en criant.

Je fuis le couloir.

Plus tard. À force de boire, je finis au toi­lettes. Vu mon état, je pré­fère m’as­seoir. Pour la pre­mière fois depuis un moment, mon regard pointe vers le bas. Je hurle. Sur l’ex­té­rieur, ma bas­ket gauche est tâchée de sang.

Je remonte mon fut’ et bon­dis hors de la pièce. Dans la fou­lée, je com­prends qu’il y en a aus­si sur mon jean, dont la cou­leur fon­cée mas­quait jus­qu’i­ci les traces de sang. Une tâche au genou gauche et une plus haut, plus grande, sur la cuisse.

L’instant d’a­près, me voi­là sans fut’ ni chaus­sures, sur la pre­mière chaise de la cui­sine, et pas très bien.

Parce qu’a­voir le sang d’autres gens sur soi, ça ne laisse pas très bien. Ça crée un lien étrange entre toi et les incon­nus qui l’ont ver­sé. Ça maté­ria­lise, si besoin était, l’hor­reur de ce qui leur est arri­vé. Tu te demandes s’ils sont morts. S’ils sont juste bles­sés. Qui ils étaient.

Je peux le dire main­te­nant, en écri­vant ces lignes : vu le lieu, vu le moment, il y a peu de chances que les gens dont tu por­tais le sang sur tes fringues soient encore en vie. Fais-toi à l’i­dée, Guillaume.

Bientôt la pluie lave­ra les der­nières traces sur tes baskets.

Ça ne fera reve­nir personne.

La chance

J’ai beau­coup repen­sé à l’é­cla­bous­sure de mon épaule. Sur l’ins­tant, dans la fosse, j’a­vais sen­ti quelque chose. “Comme une balle en caou­tchouc” dans le dos. Ça ne pou­vait pas être réel. Je venais d’être tou­ché par un truc, mais ça sem­blait rien.

En fait, je venais d’a­voir du bol. Beaucoup de bol. Parce que si ça avait giclé sur moi, ça n’é­tait pas pas­sé loin. Et pas loin, ça aurait aus­si bien pu être ma copine. Je me pose encore par­fois la ques­tion : “C’était com­ment, der­rière moi?”.

Quand je me suis levé pour cou­rir, je me suis pas retour­né. Est-ce que c’é­tait des gens morts ? Des gens qui ont pu s’en­fuir eux aus­si ? Est-ce que c’est pas­sé à un mètre ? À deux ? À quelques centimètres ?

Je ne sau­rai pas.

#À suivre, Après (2)