Je revois Madeleine dans la grande salle des hypos, tout en haut d’Hélène Boucher. À une ou deux rangée devant moi, elle imite un professeur et fait des mimiques. Thomas et Kevin ne sont pas loin. J’entends sa voix, ses intonations. Pour moi c’était ça Madeleine.
Et le mot qui me vient : “vivante”. Madeleine, c’était la fille qui débordait d’énergie et de joie de vivre. Elle était pas juste sympa, chaleureuse, ou drôle. Elle était “pleine de vie”. Et sa mort me met d’autant plus mal.
Après le Bataclan, il y a eu 3 choses difficiles. La première, c’était d’avoir abandonné A. D’avoir quitté la rue sans savoir si elle était morte ou vivante. La seconde, la lettre de E., après des années de silences et de remords. Et, enfin, la mort de Madeleine.
Sa mort qui m’accompagne depuis bientôt 6 mois.
Justice
Je ne me suis jamais senti coupable d’être vivant par rapport aux autres qui sont restés là bas. Je me senti coupable que Madeleine soit morte. Tout ce que j’ai eu de culpabilité était tourné vers elle en particulier. Parce que c’était injuste. Insupportable.
Madeleine meurt. Madeleine dont la vie apportait tellement plus au monde que la mienne. Madeleine qui était joyeuse, sociable, positive. Moi qui survit. Pourquoi faire ? Qu’est ce que ça apporte depuis 5 mois, que ce soit moi, qui soit en vie ? À quoi bon ?
Est-ce que j’ai rendu le monde meilleur en 5 mois ? Significativement ? Est-ce que ma vie est moins merdique ? Est-ce que je déteste moins qui je suis et ce que je fais ? Et si j’arrive pas à faire mieux ? Si j’arrive pas à tirer un truc bien pour les autres de tout ça… À quoi ça aura servi ?
13 avril 2020. L’article s’arrête ici, laissant le plan suivant :
intertitre Pluie
Le jour des obsèques,
Madeleine est morte. J’écouterai Brel autrement. Le jour viendra où je passerai la station sans y penser.