J’ai reçu l’ordonnance de mise en accusation, ou OMA. AKA le doc qui rappelle les faits et explique pourquoi les prévenus font face à la justice. En tant que partie civile, j’y ai droit.
C’est un document assez étrange. Déjà, il arrive sur DVD. Ensuite, il fait à peine 8 Mo, pour 4–5 fichiers. Quand on pense qu’un DVD peut stocker entre 600 Mo et 4,5 Go, alerte gaspillage.
Ensuite, il est plein de données personnelles. La justice en a besoin et les parties y ont accès. Il y a les noms des prévenus, leurs et lieux de naissances. Et puis les adresses postales des parties civiles.
J’y découvre ma différence d’âge avec les organisateurs des attentats, et le fait qu’une part de la famille de Madeleine habite littéralement à coté de chez moi.
De chez mes parents. De là où je suis rentré ce soir là. À 97 m sur la gauche, dans la rue sur laquelle donne ma chambre d’ado, sur le trottoir de la laverie, au niveau du dépanneur. Là.
Vous allez en prépa. Vous rencontrez des gens. Des années après, vos destins se recroisent dans une fusillade. Et pour l’autre, ça s’arrête là. Bien plus tard encore, vous découvrez que vous étiez voisins.
Cinq ans que je me pose des questions sur la famille de Madeleine, que j’hésite à la contacter. C’était là. J’y suis encore passé il y a 2 semaines. Mon quartier. Mon bloc.
Maison
Et puis il y a le contenu de l’OMA. La description de ce qui s’est passé le 13 novembre, de ce qui s’est passé avant, et après à Bruxelles. Tous les faits suffisamment solides et prouvés pour qu’on puisse envoyer des gens devant la justice à leur regard.
Rien de ce que ne lirai dans la presse ne sera plus précis ou plus sûr. Et lire l’OMA, en un sens, c’est lire mon histoire. Retracer la chaîne des événements qui en ont fait ce qu’elle est.
C’est quelque chose entre la lecture du code source et celle d’une préquelle qui endosse le point de vue d’un autre personnage.
Mais c’est pas pour ça que j’écris ce billet.
Quelque part entre juin et maintenant, j’ai commencé ce billet. Plus aucune idée de pourquoi. Entre temps, le monde a changé.
J’ai finalement abandonné l’idée de contacter la famille de Madeleine. J’en ressens plus le besoin. J’ai lu très partiellement l’OMA. Là encore, je peux en lire des bouts, par moment, sans en faire une lecture suivie. J’ai déjà plein de trucs sur ma pile de lecture, et c’est pas franchement le plus enrichissant.
Avec un certain attrait morbide, j’ai notamment consulté les parcours des accusés et des assassins. Mettre des noms sur ces types. Comprendre qui faisait quoi. Qui était où.
Un des points que je retiens, c’est que tous étaient déjà des meurtriers bien avant nos attentats. On parle de gens partis en Syrie pour faire la guerre. Et pour cette mission précise, ils ont dû prêter allégeance en assassinant quelqu’un devant caméra.
L’autre point, c’est que A. et moi, on a eu de la chance. Plus que ce que je pensais. Dans l’OMA, il y a la répartition des morts, par zone du Bataclan. La fosse est divisée en 3 zones et au milieu, là où on était, il n’y a presque pas eu de victimes.
Enfin c’est ce que je me dis. Avec ce léger doute, inquiétant. Peut-être que j’étais plus à l’intersection de la zone de gauche et de celle du milieu. Peut-être que c’est passé plus près que ce que je veux bien admettre.
Suffisamment près pour que du sang éclabousse le dos de ma chemise quand des balles ont tué des gens sur ma gauche. Suffisamment loin pour que A. soit en vie, que ça n’ait pas été son sang.
Reportage
Un reportage sur les attentats de 2015 sur C8, déjà commencé. Free est en PLS et on a lancé la TNT. J’avais jamais compris où était l’Hyper Cacher et c’est ce qui passe à l’écran. Je laisse, même si C8 quoi.
Ça continue vers le 13 Novembre. J’entends mes battements de cœur. C’est ridicule, le reportage utilise Google Earth pour localiser les lieux. On voit la nouvelle place de la Nation et la devanture jaune du Petit Cambodge, qui semblait quand même assez récente quand on y a mangé il y a quelques mois.
On est là, blottis l’un contre l’autre, à regarder un pas franchement bon documentaire sur le canap’ un samedi soir. La vie normale quoi.
Ça va bien.
Un peu dégoûté de pas croiser Bogdan au “vernissage” de l’expo photo pour les 5 ans des attentats. Genre on devait aller à Tien Hiang et on reconfine quoi. Pas super à l’idée de ne pas être sur place le 13 prochain. Des problèmes ordinaires quoi.
Des trucs de gens qui vont bien.