Il y a des pensées qui flottent pendant des années. Jamais et toujours là, elles passent dans l’esprit, et, dès fois, on les attrape. J’encre ce billet pour fixer deux d’entre elles, à l’instant où elles achèvent de disparaître de ma mémoire. Elles sont aussi ridicules que glauques, mais les voilà.
Sneakers. J’aime pas les chaussures de villes. Elles déterminent ce que tu feras de ta journée. En les mettant, tu prends la décision, dès le matin, de ne plus courir, sauter, monter sur des trucs ou faire des grands mouvements bizarroïdes. Pendant longtemps, cette idée revenait à moi. Comme une justification du fait de porter des sneakers. Avec des sneakers, tu es tout terrain. Tu peux faire ce que tu veux, si ça te passe par la tête.
Who’s alive, who’s dead ? Dans une scolarité, on rencontre plein de gens. Avec le temps qui passe, certains vont mourir. Vont mourir plus tôt que prévu. Au sortir de la fac, peut-être que certaines de tes connaissances de collège ou lycée sont déjà mortes. Tu sais pas. Un accident, une maladie, ça peut être n’importe quoi. Alors dès fois, je me demandais : de tous les gens dont je me souviens de l’école, est-ce qu’il y en a qui sont morts ? Qui ?
Ces deux pensées triviales s’effacent chaque jour un peu plus. Elles ont cessé leur éternel retour. La cause est facile à trouver. Elles ont joué leur rôle. Elles ont eu leur réponse. Je n’en ai plus besoin. Ou peut-être qu’elles évoquent maintenant une autre réalité, douloureuse, qui rend leur présence moins utile et l’oubli agréable.
La première, quand il a fallut courir hors du Bataclan. Et j’ai pensé (plus tard), que j’aurais pas aimé avoir des talons ce jour là. J’ai songé à la fille, à droite derrière moi, avec son sac à ses pieds pendant le concert. Le truc à perdre ses affaires et se casser la gueule dans un mouvement de foule. Même sans fusillade. J’espère qu’elle va bien. Que son nom n’est pas sur une plaque.
La seconde, parce que je sais qui est mort. Une réponse suffit : ma curiosité morbide est rassasiée. Et j’aurais tellement préféré qu’il en soit autrement. Le psy a dit que les choses étaient “consolidées”. Ça veut dire qu’elle n’évolueront plus, ou à la marge, ou doucement. En tout cas l’événement est passé. Pour le restant de mes jours, je vais vivre avec ça. La blessure cicatrise, mais la cicatrice reste.
On est le dimanche 13 novembre 2016. Je pleure devant une plaque de marbre. En partant, je touche le nom de Madeleine.