Jeudi. Quai de l’horloge à nouveau. Plus tôt dans la journée, A. et mon apprenions que nos affaires étaient disponibles. Nous arrivons dans l’heure ou l’heure et demi.
Il fait déjà nuit.
Comme la veille, il faut traverser une petite cour, passer un préau, tourner à gauche, puis monter une volée de marches. Scotché à la porte en verre, un imprimé annonce “Vestiaire Bataclan”.
À l’intérieur, tout a rétréci. Le grand hall qui nous accueillait hier a été scindé en deux. De notre côté de la séparation, tout ce qu’on voudrait ne pas voir.
À gauche, des piles et des piles de cartons sont collées au mur. Elles montent haut, elle s’étendent sur une bonne largeur. Au jugé, pas moins de 40 cartons. Probablement plus. 60 ? 80 ? Sur certains, je lis “Sacs”.
Devant 4 officiers se partagent 2 tables isolées par une séparation. Plus près, des chaises pour attendre. Il n’y a personne, mais on a prévu du monde. L’ampleur de l’événement justifie.
À droite enfin, un spectacle d’horreur. Des porte-manteaux. Les grands. Ceux qu’on voit dans les magasins de fringues, dans les événements… Ou dans les vestiaires…
Tous les gens du Bataclan sont avec nous dans la pièce. Ceux qui viendront les chercher, ceux dont on ne verra que les proches, ils sont là. Leurs vêtements sont si nombreux… 200 ? 350 ? Plus ?
Je suis avec eux dans cette pièce, mais je ne suis plus au Bataclan… Je suis à Auschwitz. Devant ces vitrines de valises, de prothèses, de cheveux. Je contemple ce hall morbide, ébahi / atterré / stupéfait.
En rouvrant mon blog 5 après, je découvre que cet article n’a jamais été terminé. En “attente de relecture” depuis le 9 janvier 2016, il finit sur ces notes programmatiques :
Section
On s’assied devant 2 officiers, à gauche de la séparation. Avec nos tickets de vestiaire, ça va aller vite. Le flic semble soulagé.
P
On était chargés (laptop)
Les affaires qui nous manquent
Le mode temporaire
Ce qui suit à été rajouté le 13 avril 2020 pour finaliser et publier cet article.
Lunettes
On s’assied devant 2 officiers, à gauche de la séparation. Avec nos tickets de vestiaire, ça va aller vite. Le flic semble soulagé.
On amène nos affaires et je récupère ma bandoulière Eastpack grise et mon manteau orange. Il y a tout la dedans : les papiers, les téléphones, la clé avec les mots de passe, mais surtout les clés.
Pour rentrer chez nous, il a fallu casser la fenêtre de la salle de bain. On ne le sait pas encore, mais en rentrant par là, on a fragilisé le carrelage. Il finira par casser et on mettra bien un an à le faire réparer.
Le flic demande s’il y a des objets qu’on a laissé sur place. Mes lunettes. De petites Ray-ban de vue à verres ronds, que j’avais pour idée de garder au minimum 10 ans (et c’est pas passé loin).
On me prévient que les lunettes, beaucoup sont brisées, irrécupérables et n’ont pas été conservées ici. Mais ça coûte rien d’essayer. L’officier rapporte une enveloppe dans laquelle il y a 2–3 paires qui pourraient être les miennes.
Mauvaise pioche.
Je pense aux gens dont c’est les lunettes. Pas sûr qu’ils soient en vie. Pas sûr que ce soient eux qui les récupèrent.
Chargés
On a désormais 2 sacs et 2 manteaux chacun, la nuit semble encore plus sombre, c’est lourd. Je crois me souvenir qu’on appelle ma mère, et je ne sais pas si on finit chez mes parents plutôt que chez nous.
On va pouvoir sortir du mode temporaire. Reprendre nos sacs et manteaux quotidiens, retrouver nos vrais numéros de téléphone. S’apercevoir des appels manqués, des textos inquiets. Y répondre.
Enfiler à nouveau la panoplie de nos habitudes.
Le sac gris et le manteau orange sont usés. Je n’ai qu’à tourner la tête pour les voir. Avec eux dans l’armoire, la chemise bleue semble être celle que je portais le 13 novembre.