Cyber-minimalisme :/

Cyber-mini­ma­lisme est un livre de Karine Mauvilly sor­ti en 2019. Il pro­pose des rai­sons, mais aus­si des méthodes pour réduire la place du numé­rique dans nos vies. Objectif : retrou­ver « du temps, de la liber­té et du bien-être », le tout en limi­tant notre impact éco­lo­gique. Le livre avait l’air bien, mais c’est une décep­tion : il est mau­vais et j’ai besoin d’exor­ci­ser. Cet article résume ce qui va et ce qui ne va pas dans le bouquin.

D’où je parle

Je suis un nerd qui bosse dans la pro­duc­tion de conte­nus et de sites web. Mais je suis aus­si un citoyen enga­gé dans la réduc­tion de mon impact éco­lo­gique, via le zéro déchet, le végé­ta­risme, et le green IT. Je savais que le cyber-mini­ma­lisme ça ne serait pas facile, voire pas jouable, mais j’ai vou­lu creuser.

Après tout, je suis d’ac­cord avec beau­coup de ce que dit Mauvilly. Oui, le numé­rique prend trop de place dans nos vies. Oui, on vit dans un web de m#rde, domi­né par des oli­go­poles qui violent nos liber­tés 657 fois par heure. Oui, ça affecte mon bien être d’être H24 sur Twitter. Et oui, ça détruit la pla­nète plus que ça ne devrait.

Les 4 bons trucs du livre

Commençons par le posi­tif. Ce qu’il y a de bon dans le livre tient en 4 points.

1. Il rap­pelle qu’il n’y a pas de fata­li­té à mettre du numé­rique par­tout. Il y a des tas de choses qu’on peut faire sans numé­rique, et il y a du numé­rique qu’on pour­rait enle­ver de là où il est.

2. Il donne quelques faits issus d’é­tudes qu’on n’a pas for­cé­ment en tête (le nombre de Dunbar entre autres). Souvent ce sont des études en psy­cho­lo­gie et en sciences cog­ni­tives pas spé­ci­fi­que­ment axées sur le numérique.

3. Il indique les gains à limi­ter la place du numé­rique dans nos vies (et qui sont autant de rai­sons d’a­gir). On gagne du temps, de l’ef­fi­ca­ci­té, du bien-être, des liber­tés et un envi­ron­ne­ment pré­ser­vé. Je confirme depuis mon expé­rience per­so. Pour vous en convaincre, vous pou­vez lire le début du livre ou cet article de Nikita Prokopov (en anglais), qui détaille à quel point la tech­no­lo­gie contem­po­raine est fra­gile, mal fou­tue et ne marche pas.

4. Enfin, Karine Mauvilly donne des astuces effi­caces pour limi­ter notre usage du numé­rique. Réduire le nombre d’é­qui­pe­ments qu’on pos­sède, les mettre phy­si­que­ment loin de soi quand on fait autre chose, apprendre à les uti­li­ser dif­fé­rem­ment, etc.

À ce titre les grilles d’a­na­lyse et d’au­to-éva­lua­tion sont l’un des points forts du livre. J’en repro­duis 3 ci-des­sous (cli­quez pour voir en taille réelle). Et ensuite, on voit ce qui ne va pas (c’est le gros morceau).

Où se trouve votre téléphone ?

Dans les situa­tions qui vont être pré­sen­tées ensuite, notez 0, 1, 2 ou 3 selon l’en­droit où se trouve votre télé­phone et selon son mode de sonnerie.

Endroit où se trouve votre télé­phone, notez :

  • 0 s’il est dans une autre pièce, 
  • 1 s’il est dans la même pièce mais hors de portée, 
  • 2 s’il est à por­tée de main 
  • et 3 s’il est sur vous.

Mode de son­ne­rie, notez :

  • 0 si votre télé­phone est éteint, 
  • 1 s’il est en mode avion, 
  • 2 en mode silencieux 
  • et 3 s’il est ouvert (sur vibreur ou sur sonnerie).

Liste des situa­tions à noter (selon les 2 critères) :

  • Quand vous ouvrez les yeux le matin
  • Quand vous pre­nez votre petit déjeuner
  • Quand vous conduisez
  • Quand vous travaillez
  • Quand vous déjeu­nez le midi
  • Quand vous faites un tra­jet à pied
  • Quand vous faites du sport
  • Quand vous êtes chez des amis
  • Quand vous êtes à table en famille
  • Quand vous êtes au lit avant de dormir

Faites le total pour chaque cri­tère (endroit et mode de son­ne­rie), puis addi­tion­nez les deux totaux pour obte­nir un résul­tat de 0 à 60.


Cette semaine, qu’avez-vous fait “grâce au numérique” ?

Avez-vous com­mu­ni­qué avec vos proches ?

  • Passé des appels, répon­du à des appels ?
  • Consulté votre boite mail personnelle ?
  • Répondu à des mes­sages instantanés ?
  • Réagi ou publié sur un réseau social personnel ?

Avez-vous accom­pli des for­ma­li­tés personnelles ?

  • Fait vos comptes ?
  • Fait une démarche administrative ?

Vous êtes-vous infor­mé (hors veille professionnelle) ?

  • Recherché des lieux de vacances ?
  • Recherché un bien immobilier ?
  • Lu des articles de blog, de jour­naux, de réseaux sociaux ?
  • Pris des ren­sei­gne­ments pour votre famille ?

Avez-vous consom­mé via Internet (hors achats pour l’entreprise?)

  • Acheté un pro­duit cultu­rel en ligne ?
  • Fait vos courses ali­men­taires ou ves­ti­men­taires en ligne ?
  • Acheté un bien d’occasion ?
  • Souscrit à un ser­vice en ligne ?

Avez-vous ven­du ou essayé de vendre un ser­vice ou un objet personnel ?

  • Mis en ligne un objet à vendre ?
  • Créé un pro­fil de ven­deur / loueur sur une plateforme ?
  • Répondu à des ache­teurs / loueurs potentiels ?

Avez-vous cher­ché à vous distraire ?

  • Écouté de la musique en streaming ?
  • Visionné une vidéo ?
  • Écouté un pod-cast ?
  • Consulté un site de ren­contres / pari en ligne

Avez-vous… tra­vaillé ?


Choisir ses usages de la Toile

3 grilles d’é­va­lua­tion où l’on indique si :

  • on uti­lise le service
  • on uti­lise le ser­vice à cer­taines conditions
  • on n’u­ti­lise pas

L’autrice a pré-rem­pli ces grilles avec son cas personnel.

Sites proposant l’accès à un contenu

Moteurs de recherche, annuairesJ’utilise à condi­tion de pri­vi­lé­gier un moteur de recherche qui ne pro­file pas (lire chap. 1).
Wikis (sites à éla­bo­ra­tion col­la­bo­ra­tive, type Wikipédia)J’utilise.
Sites infor­ma­tifs (villes, hôtels, marques, musées, associations…)J’utilise à condi­tion qu’il n’existe pas un docu­ment infor­ma­tif impri­mé (bro­chure, flyer).
Plans, iti­né­rairesJ’utilise à condi­tion de me limi­ter au mini­mum. Je pré­fère gar­der de l’au­to­no­mie avec un plan de ville et un atlas routier.
Presse spé­ci­fi­que­ment Internet, blogsJ’utilise.
Versions en ligne des jour­naux papiers, des radios et chaînes de télévisionJe n’u­ti­lise pas. Pourquoi dou­bler l’offre exis­tante ? J’écoute la radio, regarde les grands évé­ne­ments à la télé­vi­sion et achète des jour­naux papiers régulièrement.
Forum de discussionJ’utilise, pour trou­ver une réponse pra­tique à un problème.
Réseaux sociauxJ’utilise à condi­tion d’en avoir deux maxi­mum (lire chap. 3).
Vidéos en streamingJ’utilise à condi­tion d’en uti­li­ser très peu.
Musique en strea­ming sur abonnementJ’utilise, en évi­tant la connexion pro­po­sée par le biais d’un réseau social.
Films en télé­char­ge­ment ou en streamingJ’utilise à condi­tion d’en uti­li­ser peu, car très consom­ma­teur de bande passante.
Jeux en ligne, paris en ligneJe n’u­ti­lise pas

Sites donnant la possibilité de publier un contenu

Blogs et forum de discussionJe n’u­ti­lise pas. J’écris suf­fi­sam­ment pour ne pas m’y remettre sur Internet, mais c’est plu­tôt intéressant.
Réseaux sociauxJ’utilise à condi­tion de le faire avec par­ci­mo­nie. Je ne note rien, n’é­va­lue rien, ne poste aucune pho­to d’enfant.
Forums de discussionJe n’u­ti­lise pas. Pas d’in­ter­ven­tion, tout a déjà été trai­té dans les dis­cus­sions antérieures.
WikisJe n’u­ti­lise pas. Je n’ai jamais eu l’oc­ca­sion de modi­fier un article.

Sites proposant des transactions dématérialisées

Site e‑commerce de com­merces réels et indépendantsJ’utilise uni­que­ment si le maga­sin réel n’est pas acces­sible, ce qui est rare.
Géants de la dis­tri­bu­tion ven­deurs de toutJe n’u­ti­lise pas. Les géants Internet de la dis­tri­bu­tion cassent des mar­chés exis­tants, sans sou­ci de leur impact social ni écologique.
Transactions entre par­ti­cu­liers, avec com­mis­sion systématique.J’utilise à condi­tion que ce soit ponc­tuel, en pri­vi­lé­giant des pla­te­formes créées et gérées dans mon pays.
Transactions entre par­ti­cu­liers, sans com­mis­sion systématique.J’utilise. Achat de biens d’oc­ca­sions, échange de mai­sons, site de covoi­tu­rage libre.

Au secours, Ruwen Ogien !

En ouvrant le livre, je savais que j’y cher­chais d’a­bord des astuces pra­tiques. Des outils à appli­quer et adap­ter dans ma vie quo­ti­dienne. Une ver­sion plus four­nie de ce qu’on trouve déjà dans Sobriété numé­rique de Frédérique Bordage : éteindre sa box le soir, faire durer ses équi­pe­ments, etc.

À la place, Karine Mauvilly pro­pose un mode de vie com­plet et – pro­blème – une concep­tion de la bonne façon de mener sa vie. C’est ce que le phi­lo­sophe Ruwen Ogien appelle une “concep­tion per­son­nelle du bien” (ou de la vie bonne).

L’idée c’est qu’on a tous des façons de vivre dif­fé­rentes et des pré­fé­rences qui ne devraient pas être hié­rar­chi­sées en tant que telles. Si ces façons de vivre ne nuisent pas aux autres, on devrait les accep­ter. Chercher à des­si­ner une et une seule bonne façon de vivre conduit à des débats sans fin, sans inté­rêt et qu’on devrait évi­ter à tout prix.

Le prin­cipe de l’État libé­ral (poli­ti­que­ment), c’est d’as­su­mer ça. L’État doit res­ter neutre vis-à-vis des façons de vivre de cha­cun et n’in­ter­ve­nir que lors­qu’elles conduisent à nuire aux autres. Nuire étant défi­ni de façon assez res­tric­tive.

Si votre truc dans la vie, c’est de tor­tu­rer des gens, c’est non. C’est peut-être votre façon d’être heu­reux, mais on a des rai­sons morales de s’in­ter­po­ser. Si votre truc par contre, c’est de jouer aux jeux vidéos, on n’a pas de rai­son morale de vous dire de pré­fé­rer la lec­ture, la visite des grands musées ou le jardinage.

Le mode de vie cyber-minimalisme

Le zéro déchet et le véga­nisme sont des modes de vie. Ce sont des concep­tions poli­tiques qui s’in­carnent dans une atti­tude de consom­ma­tion et des pra­tiques quo­ti­diennes. De la même façon, le cyber-mini­ma­lisme est la tra­duc­tion de convic­tions qui portent sur l’im­pact per­son­nel, social, éco­lo­gique et poli­tique du numérique.

Pourtant le cyber-mini­ma­lisme de Karine Mauvilly n’en reste pas là. Partout dans le livre pointe une éva­lua­tion mora­li­sa­trice de la façon d’a­gir des autres, indé­pen­dam­ment de la com­po­sante numé­rique. En des­si­nant un monde moins numé­rique, elle trace un mode de vie par­ti­cu­lier avec lequel on n’est pas for­cé­ment d’accord.

Quand Mauvilly explique que les enfants devraient aider à faire la vais­selle après man­ger. Quand elle dit qu’un écran par­ta­gé par foyer per­met de vivre de bons moments fami­liaux. Quand elle pro­pose d’ap­prendre à faire d’un ins­tru­ment de musique pour acqué­rir des com­pé­tences (plu­tôt que d’ap­prendre le JavaScript, hein). Ou quand elle pro­pose de ne regar­der d’é­crans que 3 soirs par semaine, pour faire d’autres acti­vi­tés comme les jeux de société.

En tant que ciné­phile, je suis piqué. Bien sûr que j’ai envie de regar­der des films plus que 3 fois par semaine ! Et je n’ai pas for­cé­ment envie de les voir avec d’autres (ne serait-ce que pour ne pas leur impo­ser du gore ou du muet). Et de toute façon, le ciné­ma exis­tait avant le numé­rique et les écrans personnels !

Le “cyber-mini­ma­lisme” de Mauvilly n’est pas fait pour tout le monde. Il n’est tout sim­ple­ment pas adop­table sans renon­cer à cer­taines acti­vi­tés qu’on est en droit d’ai­mer et de valo­ri­ser, au pro­fit d’autres, dont on ne voit pas pour­quoi on serait for­cé de les appré­cier. C’est un mode de vie excluant, qui ne pro­pose pas une alter­na­tive attrayante à ceux qui n’ont pas envie de chan­ger de loi­sirs ou d’activités.

Une vision idyllique de la famille et de la société

C’est aus­si un mode de vie qui pos­tule une vision idyl­lique de la cel­lule fami­liale. Mauvilly n’en­vi­sage pas qu’une famille puisse être dys­fonc­tion­nelle et oppres­sive. Elle oublie éga­le­ment com­ment le contexte dans lequel on vit (école, tra­vail, etc.) peut être source d’i­so­le­ment et de mal-être.

Le numé­rique est alors un moyen d’é­chap­per à sa situa­tion, d’en­tendre des voix qui ne sont pas repré­sen­tées autour de soi et d’é­chan­ger avec elles. La mise en réseau nous rap­proche de ceux qui nous inté­ressent et nous ressemblent. 

Elle n’est pas sys­té­ma­ti­que­ment à déva­luer par rap­port à nos contacts “hors-ligne”. Il y a des trucs impor­tants que j’ai appris en zonant sur les réseaux sociaux. Des gens cools que j’ai croi­sé en ligne, qui m’ont filé des idées, des coups de main, et avec qui j’ai plus de rela­tions qu’a­vec cer­taines fré­quen­ta­tions “hors ligne” (bisous vous tous).

L’écran per­son­nel est aus­si un moyen d’é­chap­per à une sur­veillance sociale pour déve­lop­per ses propres goûts ou expri­mer des pré­fé­rences (sexuelles notam­ment) qu’on n’a pas for­cé­ment l’en­vie ou les moyens d’afficher.

En pen­sant à tout ça, j’ai un peu la gorge ser­rée en voyant Mauvilly défendre joyeu­se­ment l’in­ter­dic­tion d’a­voir un télé­phone 15 ans ou le fait de regar­der les films en famille. Je ne vois que trop la sur­veillance et le contrôle paren­tal. Je vois mal par contre, le rap­port avec le cyber-minimalisme.

Je soup­çonne que Mauvilly n’a pas une grande pra­tique de la socia­bi­li­té en ligne. À aucun com­ment, elle ne semble prendre en compte l’im­por­tance des liai­sons numé­riques dont Antonio Casilli par­lait dès 2010.

Un biais générationnel patent

Au-delà de ça, la pro­po­si­tion de Mauvilly souffre d’un biais géné­ra­tion­nel très fort. Ce que nous pro­pose l’au­trice, c’est de reve­nir à comme on fai­sait “à son époque”. Ou au moins à l’é­poque juste pré­cé­dent le tout numérique.

Plutôt que Spotify, uti­li­sons des CDs. D’accord, mais pour­quoi des CDs ? Pourquoi pas des cas­settes ? Renonçons à Netflix, OK, mais pour le Blu-Ray ou le DVD ? La VHS ne pour­rait pas faire l’af­faire ? Mauvilly fige la tech­no­lo­gie à celle qu’elle a connu, à ce qui a un jour été la “nor­ma­li­té” pour elle. Son point de réfé­rence est biai­sé : c’est juste un état arbi­traire de la technologie. 

Et cet arbi­traire rend le pro­jet cyber-mini­ma­liste dif­fi­cile à défendre. Les plus jeunes risquent de ne pas adhé­rer à la pro­po­si­tion de Mauvilly. Ils pour­raient d’ailleurs eux-mêmes défendre un mini­ma­lisme qui s’ar­rê­te­rait à “ce qu’ils ont connu”. Oui à la fibre optique et aux smart­phones, mais non à la 5G et aux objets connectés.

De façon com­pré­hen­sible, on ima­gine le mini­ma­lisme par rap­port à son point de départ per­son­nel, sans remettre en ques­tion ce point de départ lui-même. C’est un fonc­tion­ne­ment qu’on retrouve ailleurs : quand on parle de “res­tau­rer” la bio­di­ver­si­té, on pense à celle qu’on a connu jeune (une situa­tion en fait déjà très dégra­dée), pas à la situa­tion de 1870 ou d’a­vant l’ère industrielle.

Du coup, le cyber-mini­ma­lisme est-il vrai­ment mini­mal ? Ou bien reflète-t-il juste l’âge et le rap­port à la tech­no­lo­gie de celui qui le pro­pose ? La façon roman­tique dont l’au­trice pré­sente cer­taines alter­na­tives est un élé­ment de réponse. La nos­tal­gie n’est pas là… mais elle n’est pas loin.

Une accumulation d’objets

Autre point, le cyber-mini­ma­lisme ne cadre pas avec le mini­ma­lisme maté­riel en géné­ral. Karine Mauvilly pro­pose de se rééqui­per. Pour limi­ter l’u­sage du télé­phone et d’ou­tils “à tout faire”, elle invite à retrouver :

  • l’a­gen­da papier
  • le réveil matin (et sa sonnerie)
  • la radio FM
  • le minu­teur de cuisine
  • la cal­cu­la­trice
  • la montre
  • etc.
Voir description détaillée.

Un smart­phone et 9 objets : une montre poi­gnet, un car­net de notes, une hor­loge, un agen­da papier, un réveil, une radio, une cal­cu­lette, un minu­teur et un miroir de poche.

Titre de l’i­mage : L’équation du smart­phone allé­gé. Légende : smart­phone allé­gé = télé­phone por­table + objets qui exter­na­lisent ses fonc­tions pour limi­ter son emprise.

L’idée est de réduire l’emprise et le contact avec son télé­phone, en uti­li­sant d’autres objets (moins sources de dis­trac­tion ou d’u­sages dif­fé­rents). Mais c’est autant d’ob­jets qu’on peut vou­loir éli­mi­ner, jus­te­ment pour sim­pli­fier sa vie, réduire son impact et son encombrement.

Parce que je n’ai pas la place, parce que je fais du zéro déchet, je n’ai pas envie de me rééqui­per alors que mon télé­phone fait déjà tout ça. Avoir une cal­cu­lette qui va prendre la pous­sière 99% du temps avant de finir un jour à la pou­belle, pour­quoi faire ? Et si je me rééquipe, rien n’as­sure que j’u­ti­lise vrai­ment ces objets.

En vrai, il fau­drait une ana­lyse de cycle de vie pour savoir si un smart­phone très uti­li­sé est éco­lo­gi­que­ment mieux qu’un moins uti­li­sé + une foule de petits objets. Mais l’é­cart entre cyber-mini­ma­lisme et mini­ma­lisme maté­riel m’interroge.

Un projet cyber-flou

Plusieurs fois dans l’ou­vrage, je me suis deman­dé si Mauvilly n’a­mal­ga­mait pas un peu vite numé­rique / écrans / vie connec­tée. Le numé­rique n’est pas une affaire d’é­cran (cou­cou l’in­ter­face vocale) ou de connexion Internet (cou­cou les appli­ca­tions locales).

Le mot cyber n’y est peut-être pas pour rien. Invoquant l’é­ty­mo­lo­gie de cyber­né­tique (art de gou­ver­ner, de pilo­ter), Mauvilly pro­pose de rede­ve­nir les pilotes de nos vies, plu­tôt que de les lais­ser gou­ver­ner par d’autres. D’accord.

Mais bilan, on uti­lise un terme peu clair (cyber), mis à toutes les sauces et qui sonne extrê­me­ment daté. Pourtant au centre de la défi­ni­tion du cyber-mini­ma­lisme, le mot “numé­rique” a dis­pa­ru. Parler de “dénu­mé­ri­sa­tion”, de “mini­ma­lisme numé­rique” ou de “sobrié­té numé­rique” aurait été plus explicite.

On risque alors moins de par­tir dans des dia­tribes anti-écrans (peut-être jus­ti­fiées) qui n’ont pas en soi à voir avec le numé­rique. Et on risque moins de mélan­ger la connexion constante au réseau Internet avec l’u­sage de machines numé­riques, pas for­cé­ment d’emblée addic­tives, intru­sives, ou problématiques.

Les 7 principes capitaux

Les 7 prin­cipes mau­villiens du cyber-mini­ma­lisme illus­trent bien ce mélange contestable : 

  1. Avoir le mini­mum d’ob­jets connec­tés, ache­tés d’occasion
  2. Pas de télé­phone por­table avant 15 ans
  3. Refuser de se lais­ser rem­pla­cer par des logiciels
  4. Fournir un mini­mum de données
  5. Vivre sans vie sans life­log­ging
  6. Pratiquer la cyberpolitesse
  7. Ne pas agir seul

On ne sait plus trop si le pro­blème vient des télé­phones, de la connexion, du capi­ta­lisme de sur­veillance, de l’im­po­li­tesse des gens, ou d’un peu tout à la fois. Abordés avec insis­tance, le rejet des GAFAM et la pré­fé­rence pour le logi­ciel libre ne sont pas net­te­ment arti­cu­lés avec le cyber-minimalisme.

Ne peut-on pas être cyber-mini­ma­liste ET choi­sir d’u­ti­li­ser WhatsApp ? Soutenir l’in­verse n’est-il pas extrê­me­ment excluant ? Même si je vois la jus­ti­fi­ca­tion sous-jacente, la légi­ti­mi­té de cette posi­tion me questionne.

Un minimalisme numérique applicable ?

Si le pro­jet “d’a­gran­dir la zone de non numé­rique” dans nos vies doit être main­te­nu, il faut à mon avis s’é­car­ter de la pro­po­si­tion de Karine Mauvilly. En com­men­çant par aban­don­ner le mot “cyber-mini­ma­lisme”.

Un mini­ma­lisme numé­rique appli­cable devrait pou­voir s’a­dap­ter au mode de vie de beau­coup de gens, sans leur deman­der des renon­ce­ments mora­li­sa­teurs ou basés sur des pré­fé­rences arbitraires.

Ce mini­ma­lisme pour­rait être la ver­sion la plus abou­tie et radi­cale d’un spectre dans lequel de nom­breuses per­sonnes se retrouvent. Disons un spectre qui irait de la simple “sobrié­té” (faire moins, faire autre­ment) au mini­ma­lisme (faire sans).

Ce mini­ma­lisme devrait être atti­rant et devrait four­nir plu­sieurs rai­sons fortes de s’y enga­ger, sans qu’on ait l’im­pres­sion d’un renon­ce­ment. Ça doit être un chan­ge­ment d’ha­bi­tudes, pas un aban­don des acti­vi­tés qu’on aime ou font par­tie de notre travail.

Sobriété numérique

En fer­mant le livre de Karine Mauvilly, je n’ai plus ni l’en­vie ni l’am­bi­tion d’al­ler vers le cyber-mini­ma­lisme. Le pro­jet me semble rétro­grade, impra­ti­cable, iso­lant et peu moti­vant. Un peu comme lors­qu’on dit à quel­qu’un de “Quitter Facebook” de but en blanc.

Peut-être que Mauvilly a 40 ans d’a­vance et qu’on s’a­per­ce­vra plus tard qu’elle avait rai­son. Mais en l’é­tat des choses son pro­jet me semble un véri­table repous­soir et démo­ti­vant. Il met par contre bien en lumière l’in­té­rêt du pro­jet de sobrié­té numérique.

Moins radi­cal, plus acces­sible, plus posi­tif, le pro­jet de sobrié­té me semble un meilleur objec­tif. Peut-être qu’en allant au bout de sa logique, on tombe sur le mini­ma­lisme et des choix radi­caux. Mais c’est le bout de la logique, pas son commencement.