Cet article est une fiche de lecture du livre Faire justice d’Elsa Deck Marsault (éditions La fabrique, 2023). Le livre aborde les pratiques punitives dans les milieux féministes et queer, et plus généralement à gauche. Il propose des pistes pour penser une justice transformatrice, dans laquelle le conflit est une opportunité pour améliorer le collectif et les relations sociales.
L’ouvrage part de l’expérience de l’autrice dans les milieux féministes et queer et se focalise sur la prise en charge des violences sexistes. Mais le propos qu’il déroule vaut aussi pour d’autres milieux militants à gauche. Quand appeler la police n’est pas une option, les pratiques de justice communautaires se développent, mais à quel prix ?
Enfin, le livre aborde l’influence du néolibéralisme et du capitalisme dans notre rapport aux conflits, dans la façon dont on les gère, et surtout dont on les fuit. Selon l’autrice, le militantisme contemporain est imprégné par ces courants, même chez celles et ceux qui les rejettent.
Table des matières
À propos de ce résumé
Je ne résume pas la 1re section du livre (“Dans la mêlée”), qui me semble correspondre à une simple introduction. Je ne résume pas non plus la dernière section (“Pour une justice transformatrice”) : je peine à synthétiser son propos de façon intéressante. Et aussi j’ai déjà résumé quatre chapitres sur mon temps libre : je fatigue.
Chapitre 2 : épuisement militant et moralisme progressiste
Un militantisme fragmenté et miné
Les militantes et militants de gauche sont fragmentés en de très nombreux collectifs. Cette situation s’explique en partie par notre incapacité à faire face à la conflictualité, aux divergences d’opinion, aux ruptures et à la nouveauté. Il est devenu compliqué de créer des ponts et des solidarités étendues entre nous. Et ça, alors qu’on en a besoin pour faire face à la crise climatique, à l’extrême droite et à la droite néolibérale.
Selon Elsa Deck Marsault, il y a des vases communicants entre l’impunité des dominants et l’extrême niveau de rigueur au sein des milieux militants de gauche. Notre impuissance face aux injustices massives que nous constatons partout nous pousse à rechercher une action efficace près de nous. On va essayer d’agir sur les militant·es de nos communautés… Mais la rigueur qu’on développe nous ralentit et nous divise dans nos luttes.
Il y a moralisme progressiste fait d’interdits individuels et d’injonctions, et qui se focalise sur les individus. Il remplace en quelque sorte un projet militant fédérateur. Un projet qui nous amènerait vers un futur enviable, et qui nous manque actuellement. On se focalise sur les individus et leurs comportements parce qu’on a l’impression qu’on n’a aucune prise sur les causes, sur les structures d’oppressions.
Notre façon d’aborder les oppressions binarise les choses (féministes versus anti-féministes, racistes versus anti-racistes, etc.) et se résume au fond à scinder les “bons” et les “mauvais”. On passe d’une revendication de justice sociale à la une politique identitaire, où ce qui importe est la reconnaissance de son identité et de sa différence.
C’est une position fataliste et passive, tournée vers les institutions. Elle occulte notre capacité à agir et efface la violence dont nous sommes aussi capables. On se dit que “à force”, les dominants vont bien finir par voir l’injustice qu’on subit, et qu’ils nous accorderont des choses.
Un néolibéralisme latent qui nourrit l’inaction
Ce moralisme progressiste décale l’action “politique” du côté du langage et du symbolique. La politique devient une sorte de développement personnel, avec des célébrités (militantisme d’influence)… Et ça conduit à une position paradoxale.
On affirme que les structures sociales qui nous conditionnent sont indépassables : dans une société raciste, une personne sera toujours raciste. En même temps, on nous ordonne de nous déconstruire individuellement, tout en sachant qu’on ne pourra jamais le faire assez. D’un côté, on a une position où l’individu est construit par les structures sociales ; de l’autre, une position typiquement néolibérale, où l’individu est tout puissant.
Ce paradoxe se double d’un refus de faire de la pédagogie et de l’accompagnement. Les personnes de bonne foi (qui veulent s’améliorer) se retrouvent isolées, et la place accordée au débat et à l’introspection diminue. Au lieu de s’interroger sur ce qu’on pense, soi, on assimile un catéchisme rigide1. On milite les uns à côté des autres, pas ensemble. Cet isolement est un produit du néolibéralisme, mais il contribue à le protéger.
Par moralisme, on exerce contre les autres militant·es une violence qui relève d’un véritable système punitif. Cela conduit à un climat anxiogène : peur de l’erreur, crainte des réactions agressives ou d’être ostracisé·e. On en arrive à bloquer l’action individuelle et collective. Le conflit et les désaccords sont enterrés, au lieu d’alimenter un mouvement politique, quelque chose qui bouge et va de l’avant.
Chapitre 3 : Surenchère punitive
Un ostracisme organisé et contagieux
Le recours à la police est rejeté dans certains espaces sociaux. Il y est admis que l’intervention de la police va ajouter des problèmes, et on préfère éviter. Les violences subies dans ces espaces sont alors gérées en huis clos, et peuvent donner lieu à des excès.
Alors que ces espaces militants se présentent comme des lieux safe (sûrs), de repli, où l’on peut être en sûreté vis-à-vis d’autres violences, il peut aussi s’y exercer des violences systémiques. Des individus servent de boucs émissaires et subissent des violences “cathartiques”, qui participent à évacuer la frustration du groupe faces aux violences extérieures et aux échecs militants.
Il y a des pratiques de harcèlement collectif qui se manifestent notamment par l’ostracisation (cancelling). On refuse d’interagir et d’écouter la personne ostracisée, on l’exclut des lieux communautaires. Tout ça, sans prendre en compte les conséquences pour la personne et la violence du procédé.
Dans le cas de l’exclusion d’un milieu queer, ça revient à forcer la personne à rester dans la société hétéro-patriarcale, en la privant des ressources sociales (ami·es, partenaires sexuels et sentimentaux) et financières (réseau pro, embauches). Cet ostracisme constitue une violence psychologique difficile à percevoir de l’extérieur.
C’est aussi un phénomène contagieux. Celleux qui ne l’appliquent pas sont à leur tour victimes d’ostracisme. Le groupe attend que chaque membre soit intransigeant et se dissocie de la personne ostracisée, quel que soit leur lien initial (amis, famille, etc.). On demande d’être aussi intransigeant avec nos proches qu’avec des inconnu·es, au lieu d’essayer d’avoir plus d’empathie pour tout le monde.
Un harcèlement actif et violent
Ce harcèlement peut passer par le relais d’informations non vérifiées, ou floues, sur des situations qu’on ne connaît pas – et dont on minore certains aspects importants. Cela peut aller jusqu’à vouloir faire justice soi-même, avec des raids pour ravager l’appart d’une personne ou des agressions physiques.
L’ouvrage donne l’exemple2 d’un homme bipolaire qui se sépare d’une personne non-binaire. L’homme va être harcelé au nom de son traitement supposé injuste d’une personne queer. Le fait qu’il soit bipolaire est passé à la trappe par ses harceleuses. Dans un contexte anti-validiste, cet aspect n’aurait peut-être pas été invisibilisé.
Dans ces processus de “justice”, on voit souvent des tiers qui prétendent agir au nom d’une victime, mais qui remplacent (voire silencent) sa voix. On ne s’interroge pas assez sur la motivation de ces tiers à prendre en charge ces situations. Cela aboutit à déposséder les protagonistes du conflit et de leur histoire, au profit d’une sorte de procès populaire.
Elsa Deck Marsault note le renversement opéré depuis les années 70. À l’époque, des féministes demandaient des procès pour les violeurs, mais s’opposaient à ce qu’ils aient une peine à la fin. À leurs yeux, punir un individu violeur n’allait pas changer la société. Aujourd’hui, on voit plutôt des peines sans procès.
Ces tiers vont parfois verser dans la pure vengeance. Au départ, leur demande est limitée : la personne harcelée doit reconnaître les faits, présenter des excuses. Mais si elle s’exécute, le harcèlement s’amplifie – avec des demandes sans aucune proportion avec les faits reprochés, ni considération pour les droits humains. Il y a l’idée que “rien n’est abusif quand on s’en prend à une personne abusive”. On est dans un processus de déshumanisation de l’autre.
Une violence délétère et non assumée
Quand on parle de légitime défense, il y a deux critères importants : la proportionnalité de la réponse et sa temporalité (immédiate). Ni l’une ni l’autre n’est respectée dans ces tentatives de “justice”. On exclut sans limite de temps, de lieu ou de contexte. L’autrice rappelle que l’ostracisme est beaucoup plus dur pour une personne queer.
Privées du soutien de la communauté, exclues des cercles amicaux et des réseaux qui aident à trouver du travail ou un logement, ces personnes sont particulièrement isolées et vulnérables. Elles choisissent parfois de déménager, mais ça n’empêche pas les rumeurs de circuler, vu la taille limitée de la communauté queer.
Les personnes qui commettent ces harcèlements refusent souvent d’admettre leur propre violence et ses conséquences. Elles sont violentes envers des personnes qui ont mal agi et n’ont pas pris leurs responsabilités, mais elles-mêmes ne veulent pas prendre leurs responsabilités. De plus, on passe sous silence le fait que commettre des violences a des conséquences psychologiques négatives sur celles et ceux qui les commettent.
Parmi les méthodes d’action, la dénonciation publique nominative (call out) s’est imposée. Mais elle a été étendue à tout sans réfléchir et sert de mesure de base, alors qu’elle était au départ un ultime recours. Face à un pouvoir politique, culturel ou économique protégé de toute répercussion, la dénonciation publique a un sens. C’est un moyen de rompre l’impunité.
Pourtant, on l’utilise désormais contre des personnes qui n’ont aucun pouvoir, et même de façon ludique ou initiatique (“mon 1er call out”). Ce détournement de l’outil est aussi délétère parce qu’il mobilise l’attention et la participation de beaucoup de monde (relais du call out), pour un objectif final peu clair et comme résultat le harcèlement.
Chapitre 4 : Dynamiques collectives
Comment des collectifs progressistes en arrivent-ils là ? Elsa Deck Marsault explique qu’il y a un rapport de dépendance qui se crée entre l’individu et le collectif où il se sent bien, qui donne sens à des souffrances qu’il a subies. Cette dépendance peut favoriser le développement d’une emprise du groupe sur la personne.
Ça explique pourquoi certaines personnes se donnent à fond pour des collectifs qui ne leur rendent pas ou qui leur font du mal. Elles partagent le point de vue du groupe, y compris lorsque ce point de vue va contre leur intérêt individuel. La sanction qu’on leur impose est perçue comme justifiée.
Au-delà de l’implication émotionnelle, sociale, etc., il y a une dimension matérielle à prendre en compte. Dans un collectif de type “habitat en groupe”, il y des enjeux comme “garder son domicile” ou “ne pas être viré de la collocation”. Il peut y avoir des conflits d’intérêt dan le collectif3.
Face à un conflit, la réponse par l’exclusion est la plus fréquente que l’autrice ait rencontrée, mais elle la trouve très contre-productive. L’exclusion peut être indispensable, mais elle devrait être limitée dans le temps et dans l’espace. Exclure prive le collectif d’une occasion de se transformer. Cela empêche de garder un lien avec la personne exclue (et de garder un œil sur elle). L’exclusion dissout le problème à court terme, mais le dysfonctionnement à l’origine du conflit et les problèmes latents ne sont pas traités.
Le néolibéralisme a influencé les luttes progressistes. Le féminisme des années 70 était en lutte à la fois contre les violences sexistes et contre des systèmes patriarcaux, coloniaux et capitalistes. Le féminisme actuel est beaucoup plus en attente de l’État : il s’appuie sur la police et le système pénal.
Le désir de liberté collective semble s’être effacé derrière une aspiration à l’émancipation individuelle. On cherche la reconnaissance de son identité et de ses souffrances, pas à affronter les causes structurelles de l’oppression. Dans ce contexte, les pratiques punitives permettent de regagner du pouvoir. L’État et les institutions ne sont plus les seules à appliquer les sanctions : la société civile elle-même s’y met. La sanction sociale et les moyens de contrôle sont alors plus ancrés que jamais dans la société.
Chapitre 5 : Faire justice
La justice punitive décrite plus haut est une justice intracommunautaire, c’est-à-dire un “ensemble de réponses collectives et individuelles concrètes qui désignent un agissement comme non acceptable” (p.89). La notion renvoie pour Elsa Deck Marsault à une justice descriptive (non prescriptive) et à une justice de terrain (un ensemble de réponses au sein de d’une communauté).
Elle est différente de la justice transformatrice, parce que cette dernière porte un projet politique. La justice transformatrice vise à transformer la société et ses membres. Elle part du présupposé que le conflit est une opportunité de changement positive pour toustes. Elle veut faire plus que simplement résoudre une situation de violence particulière.
Elsa Deck Marsault s’intéresse aux pratiques non punitives. Elle voit dans la gestion des conflits et de la violence une façon de rendre les rapports interindividuels et sociaux plus égalitaires. À l’inverse, le capitalisme, le colonialisme et la justice institutionnelle structurent les choses pour affaiblir des pans entiers de la population.
Il ne s’agit pas d’abolir la violence : la violence est inhérente à nos sociétés et à nos relations. Mais on peut atteindre un seuil de violence acceptable, où tout le monde de la même manière, sans discriminations.
Deux justices incompatibles
La justice intracommunautaire “abolitionniste” et non punitive est une piste importante, mais elle est incompatible avec l’usage d’une procédure judiciaire ou pénale. On ne peut pas avoir les deux en parallèle : les attentes et les mécanismes de ces deux justices sont en contradiction.
Chaque fois que l’autrice a tenté de faire coexister ces deux justices ensemble, ça s’est soldé par un échec. Un exemple : la justice transformatrice va faire réfléchir sur les alternatives à la punition. Mais si l’on porte plainte, on entre automatiquement dans une logique punitive.
Dans un cas, on décide de punir ou non, et des punitions adaptées. Dans l’autre, la punition est programmée et appliquée par des tiers, quels que soient les besoins et attentes des protagonistes du conflit. Pour l’autrice, les associations militantes subissent aujourd’hui un retour de bâton pour avoir usé des outils de la justice punitive.
Se réapproprier le conflit
L’État et les institutions ont dépossédé la société de la gestion des conflits. Ils ont organisé leur monopole et se sont imposés comme intermédiaires incontournables. Nous sommes devenus “pénalo-dépendant·es” et avons perdu les savoir-faire pour gérer les conflits sans système pénal.
Cela profite à des acteurs qui génèrent des milliards d’euros chaque année grâce aux conflits : avocats, vendeurs d’armes pour la police, complexe industrialo-carcéral. Et les politiques ne sont pas en reste : le monopole sur la gestion des conflits améliore le contrôle des populations.
Cette centralisation et cette dé-communautarisation de la gestion des conflits provient en fait du capitalisme. Le capitalisme dépersonnalise la vie sociale : on ne connaît les gens que par leur rôle social (métier par exemple) et on évolue autour d’inconnus interchangeables, pour lesquels on ne peut pas éprouver facilement d’empathie.
Les réseaux sociaux illustrent bien ce phénomène. Les personnes y sont réduites à un profil et à une série de traces numériques (publications, interactions). On ignore la plupart du contexte des personnes, et on s’appuie sur beaucoup de projections. Quand un conflit éclate, on n’a pas les moyens de comprendre le comportement et ou les motivations de l’autre.
Cela pousse à se débarrasser du conflit, soit par la fuite, soit en le déléguant à d’autres (police, avocat·es, juges). À l’inverse, quand il s’agit de nos proches et du quotidien, on gère les conflits sans recours extérieur et on témoigne de nos capacités à le faire.
L’intérêt des crises
Le conflit n’est pas forcément un mauvais moment à passer en attendant que ça se calme. C’est un dysfonctionnement qui peut produire de la rupture et de la nouveauté. Il révèle les tensions (conflits latents), les normes implicites et les rapports de pouvoir au sein d’un collectif.
L’autrice explique qu’un collectif passe en général par 3 étapes. La lune de miel d’abord, lorsque le collectif se crée autour de valeurs communes et qu’un “nous” se constitue. La sortie de lune de miel se fait lorsque les membres réalisent que le collectif n’est pas si homogène qu’ils et elles l’imaginaient. Des tensions et des dissensions apparaissent. Si le collectif survit à cette 2e étape, arrive un moment d’acceptation et de maturation. On apprend à coexister malgré les désaccords et à reconnaître l’altérité inhérente à tout groupe.
Le conflit est inhérent à tout collectif, mais on peut l’affronter de plusieurs façons. Si on polarise les problèmes sur quelques personnes, on peut obtenir un apaisement rapide, [mais au prix qu’on a vu plus haut]. Si l’on prend le temps de travailler les normes du groupe et ses dysfonctionnements, on obtient une solution plus pérenne.
Les conflits et les émotions
Se réapproprier les conflits demande de reprendre le contrôle de nos émotions et de nos récits. Il faut travailler notre rapport à nos émotions pour réussir à abolir le système pénal. Ce système nous dicte le scénario de nos conflits : il nous dit quoi en penser, ce qu’on peut en attendre (punition, rédemption), ce qu’il est acceptable de ressentir et d’exprimer. Il appauvrit nos options.
La diversité de nos émotions et de nos besoins après un fait de violence n’est pas pris en compte par le système pénal. Les faits et leur caractérisation juridique passent devant les répercussions psychologiques pour les protagonistes. Nos arguments et nos ressentis n’ont de poids que dans la mesure où ils correspondent aux attentes de la justice institutionnelle.
Il y a plusieurs raisons de se passer de professionnel·les du conflit. Mais la principale est ce qu’on peut faire mieux. Nous avons les ressources et la créativité pour prendre en charge ces conflits nous-mêmes, de façon collective et non punitive. Cela suppose de mettre en commun nos savoirs et nos expériences sur les conflits, et de renforcer nos capacités à débattre et à communiquer. Cela permet au passage de renforcer nos liens sociaux et notre intégrité personnelle.
Les limites de la justice communautaire
J’arrête ici le résumé de l’œuvre pour insérer une critique qui semble particulièrement visible à ce niveau du texte. Comme dit plus haut, je ne résumerai pas le dernier chapitre.
Si la gestion du conflit est communautaire, on voit mal comment prendre en charge les conflits avec des gens de passage, qui n’appartiennent pas à la communauté. Que faire aussi des conflits entre des gens provenant de communautés différentes ? Ou quand les personnes appartiennent à plusieurs communautés à la fois4 ?
L’intérêt d’une justice extra-communautaire, c’est précisément de fournir un cadre commun pour gérer des conflits entre des personnes très différentes, et qui n’ont peut-être aucune motivation à gérer le conflit, puisqu’elles ne partagent rien (ni lieu de vie, ni valeurs ou normes). C’est le sens même du libéralisme politique d’avoir proposé un cadre se voulant neutre, pour permettre à des visions du monde diverses de cohabiter.
On peut aussi ne pas vouloir appartenir à une communauté, ou ne pas vouloir gérer les conflits du tout (avec ou sans intermédiaire). Si le capitalisme développe la dépersonnalisation des rapports sociaux, il ne faut exclure qu’il y ait un goût pour ça : pour l’anonymat et l’invisibilité, pour être juste une facette de soi auprès de certaines personnes, et juste une autre ailleurs, sans jamais être forcé à la cohérence.
À l’opposé, le projet d’Elsa Deck Marsault suppose un intérêt et un goût pour la communauté. Il suppose une capacité et un goût pour s’investir, pour améliorer les choses. Quitte à être trop pessimiste, j’ai peur que certains et certaines apprécient la position passive, le rôle de spectacteur·ice, et même de voir les choses brûler.
Notes
- C’est moi qui le dit comme ça, c’est pas dans le texte. ↩︎
- Exemple fictif. Pour des raisons de confidentialité, les exemples de harcèlement du livre sont des constructions à partir de plusieurs faits réels. ↩︎
- Je comprends ça en deux sens. D’une, les membres d’un groupe peuvent avoir des intérêts qui entrent objectivement en conflit. De deux, certains membres peuvent avoir intérêt à orienter la résolution d’un conflit d’une façon plus qu’une autre, en raison de leur intérêt propre dans la situation. ↩︎
- Exemple : les protagonistes du conflit évoluent dans plusieurs communautés (locales, thématiques) où iels peuvent se croiser. Quelle communauté prend en charge le conflit ? ↩︎