Ce billet résume Propaganda : Comment manipuler l’opinion en démocratie (1928), d’Edward Bernays. Il intègre ma prise de note et mes réflexions au fil du texte.
Pionnier des relations publiques, Edward Bernays a (entre autres) participé à diffuser le tabagisme chez les femmes, inspiré Joseph Goebbels et facilité le coup d’État organisé par la CIA au Guatemala en 1954. À la fois praticien et théoricien de la propagande (un terme qu’il voulait réhabiliter), Bernays a été fortement inspiré par Sigmund Freud (son oncle) et Walter Lippmann.
Avertissement : je mets l’article à jour au fur et à mesure que j’avance dans le livre. C’est donc pas fini. Je sais, blogging de qualité.
Chapitre 1 : Organiser le chaos
Le livre démarre par “La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des messages joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible.”.
Une infime fraction d’hommes gouvernent la population et modèle son comportement et ses idées. Selon Bernays, cette situation est la conséquence “logique” de l’organisation en société démocratique. Les chefs invisibles sont nécessaires au bon fonctionnement de la vie collective (“bien réglée”, “bien huilée”).
Si on en croit la théorie chacun peut voter pour qui il veut, se faire son opinion sur tout, et choisir les produits au meilleur prix du marché. En réalité, l’abondance des candidats, des sujets et des produits rend cela impraticable. Il y a un besoin de simplification, pour éviter la confusion.
Le gouvernement invisible sert à opérer cette simplification. Les candidats disponibles sont limités par les partis. Les sujets d’intérêt public sont restreints par les dirigeants et les médias, et divers [influenceurs] nous disent quoi penser de ces sujets.
La propagande est l’outil qui permet de réduire les choix et de diriger l’attention de la société, au prix d’un effort immense et permanent. Il pourrait avoir d’autres moyens, mais c’est la méthode que “nous” avons choisie, et la société l’accepte volontairement.
Focus. On peut noter que Bernays utilise volontiers “nous” quand il parle de la société ou du public : “nous acceptons”, “nous nous conformons”, “nous avons opté” (pour la propagande), “nous arranger”.
Mais la généralité de ce “nous” n’est pas évidente. Bernays parle d’abord de la société américaine (“notre constitution”) et son propos pourrait être historique (“le gouvernement invisible a surgi”).
Dans mon résumé, j’ai choisi d’abstraire son propos à la société démocratique en général, mais c’est très contestable. Bernays peut très bien avoir à l’esprit la société américaine de son temps, et pas plus.
La société actuelle est extrêmement diverse : il y a profusion de collectifs par intérêt, par opinion ou par profession ; profusion de publications, de congrès et de conventions, d’organisations déclarées et encore plus d’organisations informelles.
Tous ces groupes se recoupent, car chaque membre appartient à plusieurs cercles et diffuse ses pratiques et idées au sein de chacun. Bernays voit là une “structure invisible” qui lie inextricablement les groupes entre eux. Vouloir une société qui fonctionne autrement est illusoire.
Focus. Il faut s’arrêter là-dessus, car Bernays dit 2 choses contradictoires dans le même paragraphe. Selon lui, cette structure invisible est un mécanisme trouvé par la démocratie pour “organiser son esprit de groupe et simplifier sa pensée collective”.
Si on prend ça au sérieux, il faut comprendre que les groupes dont parle Bernays ne sont pas n’importe lesquels. Il s’agit des groupes par intérêt, qui se créent dans une société démocratique via les moyens de communications, et vont au-delà du groupe par proximité géographique. C’est un point qu’il a abordé un peu avant.
Mais si Bernays parle réellement de ces groupes situés dans un espace politique et dans l’Histoire, comment peut-il dire que la “structure invisible ” dont il parle vaut de tout temps et en tous lieux.
Il termine le chapitre par l’objectif du livre : “expliquer la structure du mécanisme de contrôle de l’opinion publique [et] montrer comment elle est manipulée” par des porteurs d’intérêts. Dans le même temps, il cherchera à montrer la place de la “nouvelle propagande” dans le système démocratique moderne à donner un aperçu de l’évolution de son “code moral”
Chapitre 2 : La nouvelle propagande
Pour Bernays, la révolution industrielle a fait perdre aux rois leurs pouvoirs et les a transmis à l’aristocratie, puis à la bourgeoisie. Le suffrage universel et l’instruction publique menacent maintenant de donner ce pouvoir aux masses.
Face à cela, la minorité a découvert qu’elle pouvait modeler l’opinion et influencer la majorité, afin de servir ses intérêts propres. Il s’agit d’une pratique “inévitable”, qui intervient “nécessairement” dans tout ce qui a de l’importance au plan social.
Bernays voit dans la propagande l’organe exécutif du gouvernement invisible et regrette que le terme soit si mal connoté. Comme “toute chose ici-bas”, la propagande n’est ni bonne ni mal en soi. C’est le mérite de cause qu’elle sert et la justesse de l’information qu’elle publie qui détermine si elle est un bien ou un mal.
Focus. C’est l’argument classique sur la neutralité de la technique : c’est l’usage qui fait le mal, pas l’objet. Si on reste aux généralités, un couteau semble neutre. Mais concrètement, un couteau de combat militaire n’est pas un objet neutre : il a une intention d’usage, un contexte de production, des caractères spécifiques qui font qu’il n’est pas fabriqué pour couper les carottes.
Bachelard disait que les objets techniques sont de la théorie réifiée : ils n’existent que par une théorie qu’ils incarnent (un accélérateur à particules existe parce qu’on pense qu’il y a des particules). On peut peut-être réappliquer ça à la soi-disant neutralité de la propagande.
Propagande vient au départ de “propager”, et en particulier propager la foi, une doctrine ou un système. Selon le dictionnaire, c’est devenu depuis “[Un] effort systématique visant à obtenir le soutient du grand public pour une opinion ou une ligne d’action”.
Bernays cite alors longuement un texte sur le “beau mot ancien” de propagande. Conçue comme un moyen de diffuser la vérité, la propagande est une action légitime, voire noble. Elle n’est mauvaise que lorsqu’on l’utilise pour propager à dessein des mensonges ou nuire au bien public.
Focus. Bernays lui-même parle de “mérite” et de “justesse”, mais pas de vérité. Il parle d’une propagande qui sert les intérêts et le point de vue d’une minorité, pas la vérité. Avec cette longue citation, il met à l’esprit des notions et une vision de la propagande bien moins relativiste que ce qu’il défend lui-même. Sur le relativisme de Bernays, voir la Préface du livre.
Vient enfin une définition de la propagande en son nom propre :
La propagande moderne désigne un effort cohérent et de longue haleine pour susciter ou infléchir des événements dans l’objectif d’influence les rapports du grand public avec une entreprise, une idée, ou un groupe. […] La propagande est universelle et permanente […] Elle revient à enrégimenter l’opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats.
La propagande est utilisée car elle est efficace et inévitable. L’organisation sociale actuelle fait que tout projet d’envergure doit être approuvé par l’opinion publique, et la propagande permet d’obtenir l’assentiment des masses.
La nouvelle propagande
Bernays explique alors que la propagande a évolué ces 20 dernières années, et qu’on peut parler d’une “nouvelle propagande”. Cette nouvelle technique prend en compte “l’anatomie de la société”, avec ses formations collectives imbriquées et leurs allégeances diverses. Cette nouvelle propagande comprend qu’en agissant à un endroit précis, on peut provoquer les conséquences voulues ailleurs dans la société. Et ce de façon aussi automatique qu’indirecte.
L’auteur cite l’exemple de l’industrie du velours américaine. Acculée à la faillite parce que le velours était passé de mode, l’industrie n’arrive pas à relancer l’intérêt pour son produit. Elle va élaborer une stratégie gagnante, mais largement invisible.
Elle met en place un intermédiaire qu’elle finance : à savoir un département de mode spécialisé dans le velours. Cet intermédiaire va contacter des couturiers parisiens et fabricants français pour s’informer sur ce qu’ils font, les inciter à utiliser du velours et les aider à le faire. La situation est complètement fabriquée : on va faire utiliser du velours à de grands couturiers influents, pour qu’il y ait du velours dans leurs catalogues. Une fois les catalogue sortis, on les montre à des Américaines influentes, qui vont porter du velours parce que c’est la mode venue de Paris. Les rédacteurs de magazines de mode se retrouvent face à une situation objective, dont ils sont condamnés à parler. Ce faisant, le grand public se met au fait de la mode du velours. La demande reprend, au bénéfice de l’industrie du velours.
Mais la propagande peut aussi jouer un rôle politique. Il ne suffit pas que des millions de gens veuillent une réforme pour qu’elle ait lieu. Il faut l’exprimer d’une façon qui force le législateur à la réaliser. Consciemment ou non, on fait de la propagande.
Les “minorités intelligentes” nous soumettent à leur propagande en permanence, et leurs intérêts égoïstes se conjuguent avec l’intérêt public pour permettre le progrès et le développement des États-Unis. Grâces à de “brillants cerveaux”, ces groupes peuvent nous faire penser ce qu’ils veulent sur un sujet donné.
On commence à voir les éléments du système dans lequel pense Bernays. On a des individus, des institutions politiques et une opinion publique. Une société pensée comme un organisme, avec des groupes et des agents plus ou moins influents, mais tous intriqués. Il y a une majorité et des minorités.
Il est un peu étonnant qu’on ait des concepts aussi lourdauds (majorité, opinion publique), qui s’articulent avec des descriptions fines des phénomènes. Il est aussi notable qu’alors que la propagande est massivement au service d’acteurs de pouvoir, on n’en parle presque pas. Les institutions publiques ne sont pas décrites, le pouvoir économique non plus, et il n’est presque pas présenté comme un pouvoir.
Il y a des gens malins qui ont l’intelligence et le besoin d’utiliser la propagande. Et on fait comme s’il y n’y avait pour eux aucun autre moyen d’action (argent, corruption, violence, etc.). Ce qui se tient, si on considère que l’assentiment des masses est un besoin critique.
Mais l’assentiment des masses est-il encore inévitable en démocratie ? Et y a‑t-il encore des masses dans un contexte numérique ? Le gouvernement Macron gouverne sans l’assentiment du peuple, et il s’en revendique.
Mise à jour : Bon finalement je chronique pas plus que ça e livre. Parce que ce mec est vraiment trop ennuyeux à lire.