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Chapitre 7 : C’est l’unité, idiot !
Les chapitres 1 à 6 ont expliqué ce qu’est l’action non violente, les chapitres 7 à la fin vont insister sur comment la mettre en œuvre.
Les divisions internes de l’opposition font le travail du dictateur à sa place et contribuent à le maintenir en place. C’est pourquoi certains mouvements échouent, comme en Biélorussie. Mais malgré son caractère décisif, l’unité est très difficile à obtenir.
D’une part parce que le régime va “diviser pour mieux régner”. Pour s’unir, il faut des coalitions, ce qui suppose que les gens se parlent et surmontent leurs différences. Interdire les rassemblements de plus de 5 personne, comme dans l’Égypte de Moubarak, est donc une bonne idée pour éviter ça. D’autre part, tout le monde pense mieux savoir que les autres. Chez des personnes jeunes et brûlantes comme le sont les activistes, il n’est pas étonnant qu’on se dispute.
Mais pire, il y a différents types d’unités : politique, raciale, sociale, religieuse ou entre orientations sexuelles différentes. Ces larges unités stratégiques contiennent toutefois des unités tactiques plus petites.
D’abord, il y a l’unité du message. Il faut un message clair et rassembleur, qui montre sur quoi on se focalise. Défendre chacun des éléments de la “vision de demain” est complexe, peut diviser ou rendre le mouvement moins lisible.
Un slogan comme “Il est fini” montre l’objectif et réunit contre le dictateur (c’était le slogan d’Otpor!). À l’inverse, en parlant régulièrement d’autre chose que des droits de femmes, les Femen ont perdu l’unité de leur message. On sait qu’elles seront probablement seins nus, mais pour parler de quoi ?
Il faut ensuite conserver l’unité du mouvement. Une révolution doit agréger un grand nombre de gens d’horizons différents. Sans unité, le mouvement est condamné à se disloquer, parce qu’on ne peut pas empêcher les humains de s’entre-déchirer. Les règles de fonctionnement du groupe (consensus, etc.) n’empêchent pas l’apparition des tensions.
Toucher un public large
L’autre écueil est de ne pas toucher tout le monde. On n’arrive à recruter que dans certains milieux et on n’intéresse pas d’autres, alors qu’on a besoin d’eux pour créer un mouvement global. C’est l’intérêt de la ligne de partage d’Otpor ! : aider à trouver les éléments qui rassemblent un maximum de gens.
Comparez deux phrases : “Nous sommes des libéraux qui veulent pratique une idéologie” et “Nous sommes un mouvement qui pensent que les gens qui travaillent dur méritent mieux”. La distance n’est pas forcément immense. Mais seule l’une de ces phrases peut séduire un grand nombre de personnes diverses.
Popović mentionne des activistes environnementaux américains qui se déguisaient en ours polaire pour alerter sur le climat. Ce déguisement ne parle pas à un agriculteur de l’Iowa. Pour le sensibiliser, il aurait peut-être fallu se déguiser en épi de blé rabougri par la sécheresse.
Popović aborde ensuite Occupy Wall Street, dont le nom oblige à “occuper” quelque chose. En changeant de nom pour “les 99%”, ils auraient pu faire la même chose en étant plus attractifs et inclusifs. Ils auraient aussi pu inviter des célébrités plus rurales à les soutenir, pas juste s’appuyer sur des personnalités qui plaisaient déjà à leur démographie.
L’identité de groupe est élément indispensable à un mouvement. Il faut créer les éléments de cette identité, créer un sentiment de communauté. Un mouvement est un organisme vivant, son unité doit être planifiée et travaillée, sinon il n’y en aura pas.
L’objectif est de créer une organisation qui ne laisse personne en arrière et qui tient sur ses valeurs. Tout ce qu’on fait doit faire sentir aux gens que votre combat est aussi le leur. Parfois, ça passe par le fait de chanter ensemble des choses sur place, de faire se tenir la main à des communautés.
Chapitre 8 : Planifiez votre chemin vers la victoire
Étudier la planification (ou l’absence de planification) d’un mouvement est une bonne leçon pour les activistes.
Le 1er élément de la planification est le timing. Les gens sont inconstants, irrationnels et facilement distraits : il faut savoir les solliciter au bon moment. Agir à contre-temps est voué à l’échec. Sur ce point, on peut exploiter le rythme naturel de la vie sociale.
À Belgrade, Otpor ! a utilisé le réveillon du passage à l’an 2000. Une série de concerts étaient prévus sur une place le 31 décembre, et une rumeur vivace disait que les Red Hot Chili Peppers y seraient à minuit pour un concert surprise. Le soir du 31, la foule est là, enthousiaste et convaincue de ce qui va se passer.
Mais finalement c’est Otpor ! sur scène. Ils rappellent l’oppression en cours, portent l’espoir, et appellent à l’action pour 2000. La foule est stupéfaite, mais se met rapidement à chanter et à communier. Le message est passé : cette année, on renverse le pouvoir lors des élections.
Identifier l’objectif final
Popović aborde ensuite les leçons de Gene Sharp, un théoricien de la non-violence, présenté comme le “Machiavel de la non-violence”, et celles de Robert ‘Bob’ Helvey, un colonel revenu du Vietnam et converti à la non-violence.
Selon Sharp, la lutte non violente est une pure question de pouvoir politique. Il faut savoir comment s’emparer du pouvoir et en priver les autres : ce n’est pas moins une lutte, mais on utilise des moyens et tactiques différents.
Helvey insiste lui sur l’objectif ultime : il faut savoir ce qu’on veut vraiment et voir plus loin que les objectifs intermédiaires. Il faut se projeter là où l’on veut être au bout du chemin (dans 5 ans par exemple).
Faute de ça, on peut choisir un mauvais objectif ou rater le sien. Ce qu’est qui s’est passé en Égypte : Moubarak est tombé, mais l’objectif (la démocratie) a été manqué.
La planification inversée
La définition d’un objectif est cruciale pour la planification. Si on ne sait pas où on veut aller, aucun taxi ne nous y amènera. Et l’objectif permet de mettre en place une planification à séquence inversée. Avec cette méthode, on part d’une situation finale très concrète et précise, et on déroule les étapes qui ont permis d’y arriver.
Popović illustre ça en partant de l’objectif de devenir une rock star. Il imagine un concert, les membres de son groupe, la salle qui les accueille et le public devant lui. Rapidement, il devient clair qu’il n’imagine pas n’importe quel public : il pense à des adultes, qui viennent écouter du rock un mardi soir pluvieux dans un club local.
Conclusions opérationnelles. D’abord, il peut ignorer des pans entiers de la population (les ados, les fans d’autres gens musicaux) : ils ne sont pas dans la cible. Ensuite, les actions qui ne permettent pas de toucher sa cible sont une perte de temps. Enfin, le circuit des clubs locaux est crucial, puisque c’est là où il veut jouer.
Il va donc monter un groupe avec des amis, lister les clubs qui conviennent (du plus petit au plus grand), et voir quelles sont les conditions pratiques pour y être la tête d’affiche. Puisque certains clubs demandent des garanties d’audience, il négocie avec d’autres musiciens aspirants de toujours aller voir les concerts les uns des autres, pour pouvoir assurer une audience quand ils jouent. Il n’est pas encore rock star, mais il s’en approche.
En divisant son rêve en plusieurs étapes distinctes, il peut prendre en compte les exigences logistiques de chaque étape. Cette stratégie augmente considérablement les chances d’arriver à l’objectif… même s’il faut vérifier à intervalles réguliers que l’on parvient bien à avancer vers l’objectif.
Savoir compter ses forces
Autre leçon de planification, savoir compter ses forces. En Birmanie, la junte militaire disposait de 200 000 soldats et l’opposition d’autour de 20 000 combattants armés dans la jungle. Mais le pays comptait 48 millions d’habitants. Pour une lutte non violente, ça veut dire 48 millions de personnes mobilisables, à condition de les former à lutter sans armes depuis là où elles sont, plutôt que d’essayer de les envoyer avec un AK-47 dans la jungle. En permettant à tout le monde d’agir, on augmente la base de soutien et l’activité contre le régime.
Combiné à la planification à séquence inversée, cela donne ceci : les opposants birmans imaginent des manifestations de masse contre le régime. Mais ils savent que l’armée va tirer dans la foule. Comment faire ? Et bien si les moines ouvrent la marche, l’armée n’osera pas tirer. Ou si elle tire, les conséquences pour le régime seront catastrophiques. L’étape 1 sera donc de recruter des moines.
Contrairement à Sharp et Helvey, Popović n’est pas fan des pages d’instruction très structurées (d’où la forme du livre). Mais il veut terminer le chapitre sur des conseils pratiques clairs.
Distinguer stratégies et tactiques
Avant de s’intéresser à la planification inversée, au timing, etc. il faut distinguer 3 grandes catégories : la stratégie globale, la stratégie, et la tactique. Et il va illustrer avec le Seigneur des anneaux.
Stratégie globale. Selon Sharp, ce sont “les idées générales qui permettent de coordonner et diriger toutes les ressources disponibles et nécessaires (économiques, humaines, morales, politiques, organisationnelles, etc.) d’une nation ou d’un groupe en vue d’atteindre les objectifs” dans un conflit. La stratégie s’appuie sur des considérations concernant :
- la justesse de la cause défendue
- les influences susceptibles de s’exercer sur la situation
- le choix de la technique d’action à employer
- la manière d’atteindre les objectifs recherchés
- les conséquences à long terme de la lutte menée
Appliqué au Seigneur des Anneaux maintenant. L’anneau unique doit être détruit :
- Est-ce une cause juste ? Oui, sinon la Comté sera détruite
- Ce qui influence la situation ? Sauron et ses sbires
- La technique à utiliser ? Un truc sans trop d’épées, car on est petit et faible (des hobbits quoi)
- Comment atteindre l’objectif ? En trouvant le chemin du Mordor et jetant l’anneau dans la montagne du Destin
- Conséquence ? La paix dans le monde et pour soi
Stratégie. Toujours selon Sharp, il s’agit de “déterminer la meilleure manière d’atteindre les objectifs visés lors d’un conflit. […] La stratégie consiste à se demander s’il faut combattre, quand, et de quelle manière le faire avec le maximum d’efficacité”. Elle permet de déterminer la distribution, l’adaptation et l’utilisation des moyens dont on dispose pour atteindre les objectifs.
Appliqué au Seigneur des Anneaux : une fois la stratégie globale en place, le plus efficace est de s’allier avec des gens particulièrement doués en conflit. On va donc voir les elfes. Et là on évalue à nouveau la situation pour distribuer les moyens : c’est-à-dire choisir les meilleurs alliés disponibles.
Tactique. Il s’agit d’un plan d’action très limité que l’on met en place à un moment précis. Exemple : le col du Caradhras est surveillé par Saruman ? On passe par les mines de la Moria ! Boromir est mort ? On s’appuie sur son frère Faramir.
Contrairement à la stratégie, la planification tactique est souvent immédiate et peut-être modifiée constamment. Elle suppose une compréhension aiguë du terrain et de une approche imaginative pour utiliser au mieux les ressources.
La stratégie et la tactique sont deux attitudes différentes qui correspondent en général à deux profils de personnes. Il est rare d’avoir à la fois de bons stratèges et de bons tacticiens dans son mouvement, et il est encore plus rare qu’une seule personne soit les deux à la fois.
Le plus souvent on confond stratégie et tactique, comme l’a fait Occupy Wall Street. Le mouvement est nommé à partir d’une tactique, l’occupation, au lieu de renvoyer à l’objectif ou l’unité du groupe.
Maintenir la dynamique
Enfin, si la planification inversée et une bonne planification résolvent certains problèmes, il faut garder à l’esprit que la dynamique du mouvement compte. La 1re partie d’un combat c’est construire, la 2e partie c’est maintenir.
Pour Popović, si Otpor ! a réussi, c’est parce qu’ils ont toujours su comment continuer à jouer offensif en amplifiant systématiquement son action. Ils ont traité la révolution comme un film d’action, où il faut toujours faire plus cool, plus grand et surtout ne pas lasser le public. La dynamique est quelque chose de vivant : un événement peut la lancer, un autre peut la faire retomber.
Chapitre 9 : Les démons de la violence
La violence est une menace directe : elle coûte de vies humaines et signifie en général la mort du mouvement et l’échec des causes soutenues.
Mais Popović admet que les armes sont “cools” et qu’être armé change les gens pour une quelconque raison. Il reconnaît aussi que la violence est parfois inévitable (comme face à l’armée nazie).
Son objection principale est que la lutte violente ne marche pas. Elle est beaucoup moins efficace que la résistance non violente.
La violence est moins efficace
Après étude de 320 conflits entre 1900 et 2006, des chercheuses américaines ont conclu que les conflits non violents ont 2 fois plus de chance de succès (53% vs 26% pour la lutte armée). Ils rallient aussi plus de monde, là où la lutte violente plafonne à ~50 000 participants.
5 ans après la fin du conflit, il y a 40% de chances que le pays soit encore une démocratie si l’on est passé par la non-violence, contre 5% sinon. Le risque de retour de la guerre civile passe de 28% à 43% si l’on utilise la violence pour terminer le conflit.
Pire, la violence peut renforcer le pouvoir violent, en jouant sur l’identité groupale et le tribalisme. Quand l’OTAN a bombardé la Serbie, même des membres d’Otpor ! se sont surpris à soutenir Milosevic face à l’Occident. Quand le groupe est en danger, on se resserre autour du chef, fût-il un tyran. La violence fait peur et on cherche un leader fort pour nous protéger.
Un mouvement non violent cherche à convertir les autres à sa cause : les gens vont mener vos combats pour vous. On tire les piliers du pouvoir vers soi pour les rallier, plutôt que de les abattre. Ce genre de mouvement doit susciter la sympathie et donner envie de le rejoindre par son énergie et son enthousiasme.
Quand un mouvement comme celui de la place Tahrir en Egypte renverse le pouvoir, on voit des gens souriants, sans armes. On est facilement de leur côté. Quand un petit groupe armé fait tomber le pouvoir, c’est une autre histoire.
La non-violence est aussi supérieure car elle trace une ligne évidente entre les bons et les méchants (c’est la 2e raison de Popovic). Entre deux groupes armés qui s’affrontent, où sont les bons ? qui se défend, qui attaque ? Difficile à dire au 1er coup d’œil. Mais entre un groupe armé et une masse non-violente, la réponse va de soi. Martin Luther King disait que ses ennemis auraient préféré affronter un petit groupe armé plutôt que des masses résolues et organisées.
Maintenir la non-violence
Pour conserver ce gain, il faut maintenir la non-violence dans ses rangs. Une infime poignée de crétins violents feront toujours la une des médias. Une réputation ternie réduit ensuite la crédibilité et l’attractivité, parfois au point de casser la dynamique. Comment éviter ça ?
Premièrement, en intégrant la non-violence dans l’idéologie de son mouvement et en l’enseignant à ses membres. Beaucoup de gens ne connaissent que la violence pour résoudre les conflits. Ils ignorent sincèrement qui étaient Martin Luther King ou Nelson Mandela.
Deuxièmement, il faut former ses membres à repérer les sources de friction. Les confrontations arrivent souvent lorsqu’une logique “Vous vs eux” (les forces de l’ordre par ex.) se met en place. De chaque côté, certains attendent une étincelle pour utiliser la violence. Face à cela, il faut apprendre à ses membres comment réagir aux provocations et comment rester non violent face aux humiliations.
Otpor ! formait ses partisans à entonner des chants en l’honneur de la police après leurs arrestations. À titre préventif, ils mettaient les jolies filles au 1er rang pour faire hésiter les policiers (sic). En support, divers instruments de musique jouaient fort et les gens dansaient, pour rappeler qu’ils n’étaient pas là pour menacer la police. Et, bien que Popovic n’insiste pas dessus, il y avait un service d’ordre pour isoler les fauteurs de troubles.
Troisième étape, il faut défendre son mouvement contre les provocations. Il faut établir une séparation claire entre son mouvement et les groupes toxiques qui viennent pour la violence. Lors de Occupy, les photos des Black Blocs tournaient sur les réseaux sociaux pour que les gens puissent les identifier et s’en dissocier.
À l’intérieur, la discipline non violente garde le mouvement pacifique. À l’extérieur, elle montre aux autres qu’on est bon leader. Cela augmente les chances d’attirer des responsables du régime oppresseur, même de haut niveau. C’est ce qui s’était passé en Chine en 1989 lors des manifestations de la place Tian’anmen.
Avec l’unité et la planification, la discipline non violente fait partie de la sainte trinité de la lutte non violente. Mais ils ne suffisent pas à garantir le succès du mouvement.
Chapitre 10 : Finissez ce que vous avez commencé
Un mouvement peut échouer et rater son objectif (final ou pas) même après une victoire apparemment importante. Il y a plusieurs erreurs à éviter :
1) Crier victoire trop tôt. C’est ce qui s’est passé en Égypte, où la chute du dictateur n’a pas amené la démocratie. Les activistes ont réussi à faire tomber Moubarak, mais d’autres forces mieux organisées ont récupéré le pouvoir à leur place. Le mouvement a confondu la chute du dictateur avec l’objectif final, et n’a pas assuré un suivi et un maintien de la mobilisation.
2) Ne pas reconnaître sa victoire. En 1989, le mouvement de la place Tian’anmen avait au départ des exigences relativement raisonnables et faisait sérieusement peur au pouvoir chinois. Le gouvernement a accepté leurs demandes et proposé des concessions. Mais forts de leur réussite, les activistes ont rejeté ces avancées et ont demandé encore plus, ne voulant rien d’autre que la démocratie. Faute d’avoir reconnu et accepté une victoire d’étape, sur laquelle il pouvait capitaliser, le mouvement a foncé vers la victoire finale et a échoué.
3) Relâcher la pression après une victoire cruciale. En Ukraine, la Révolution orange de 2004 n’a pas fait les erreurs de timings ci-dessus. Mais faute de maintenir son unité après la victoire contre le dirigeant pro-russe, le mouvement s’est fissuré, permettant aux anciens dirigeants de revenir au pouvoir.
En Serbie, Otpor ! a compris que la chute de Milosevic n’était pas suffisante. Ses partisans et l’appareil législatif répressif restaient présents. Otpor ! a maintenu l’action et réorienté sa communication sur “Nous vous surveillons”. Empêcher un retour du pouvoir déchu et consolider les institutions sont un travail moins sexy et moins visible, mais il est essentiel d’assurer ce suivi.
Quand on a acquis les fondamentaux (définir la cause, trouver les symboles, identifier les piliers du pouvoir, retourner l’oppression contre elle-même), faire le boulot d’activiste revient à savoir quand déclarer victoire et passer à l’objectif suivant. Avoir des bonnes idées et des beaux discours ne suffit pas.
Popovic met également en garde contre l’idéalisation des nouvelles élites. La corruption et l’abus de pouvoir peuvent aussi venir de ceux qui ont renversé le pouvoir précédent. Une fois en place, on peut trouver que les méthodes ou la situation de notre prédécesseur sont confortables.
Chapitre 11 : Il fallait que ça soit vous
La cavalerie ne viendra pas vous sauver. Personne de meilleur que vous ne va arriver et résoudre vos problèmes. Il faut que ça soit vous. Et vous serez seul.
C’est à vous de trouver comment appliquer les principes de ce livre à votre situation. Personne ne peut le faire à votre place. Personne ne connaît le terrain et votre communauté comme ceux qui le pratiquent, comme vous.
Agir utilement, forger l’unité, planifier, maintenir la non-violence : c’est à vous de trouver votre formule en restant enthousiaste et créatif (2 éléments cruciaux). Les changements ne sont pas produits par des gens exceptionnels, juste des gens, des hobbits.
Tout revient à la communauté, aux gens. Les idées de ce livre sont un cadre pratique, mais ne sont rien sans la détermination de changer les choses et la conviction que c’est possible.
Avant de se dire au revoir
Popovic ne compte pas terminer sur des encouragements optimistes. Il rappelle quelques éléments.
La chance compte. On peut échouer malgré son travail ou réussir sans s’y attendre. Tout ce qui peut aller mal ira mal (loi de Murphy). Pour éviter ça, deux choses à faire. 1. Être méticuleux et ne rien laisser au hasard : il faut bosser. 2. Apprendre à accepter les revers comme des incidents de parcours inhérent à l’action.
Vous ne pouvez pas réussir seul. Participer à changer les choses, c’est prendre des risques et rencontrer une opposition déterminée. Vous aurez besoin de partager vos peurs, vos frustrations, vos joies. L’activisme est un sport d’équipe.
La diversification des profils compte. Allez chercher les gens qui correspondent à vos besoins. Faites-vous des potes des gens dont vous avez besoin (des artistes, des codeurs, des journalistes : ça dépend de vos projets et de vos objectifs).
Les principes de ce livre ne sont pas des outils pour une campagne limitée. Ce sont des consignes à suivre pour tout son engagement civique et social. Ça donne des méthodes, mais aussi le courage d’agir.
Vous pouvez changer les choses. Même si on semble tous convaincus que seule l’élite et les puissants peuvent changer le monde, c’est faux. Des gens humbles et faibles peuvent réussir beaucoup, avec un courage et une action intelligente. Ce sont eux qui amènent un changement durable.
Vous rencontrerez toujours des gens qui doutent qu’une personne seule puisse faire la différence. Que ce soient ceux qui s’en remettent à des organisations puissantes, à des leaders charismatiques, ou ceux qui voient des complots et des manipulations partout. Au fond, ces gens-là ne disent rien d’autre que : “Je ne pense pas que je puisse changer les choses”.
À noter que Popovic mentionne ici spécifiquement ceux qui accusent son organisation (Canvas) d’être à la botte des États-Unis et de George Soros.
Il achève le livre en donnant son e‑mail et en rappelant le Seigneur des Anneaux. Si vous échouez, vous serez l’un des rares hobbits à être sorti de la Comté pour essayer de faire ce qui s’impose. Il faut bien que quelqu’un amène l’Anneau au Mordor. Et ça pourrait parfaitement être vous.