Intégrer les savoirs féministes suppose d’associer une image négative au fait d’être un homme (cf. Être “allié des féministes”, Yeun Lagadeuc-Ygouf), et les hommes cisgenres qui veulent intégrer ces savoirs se retrouvent dans une situation délicate. Ils peuvent accepter qu’ils font partie d’une classe de dominants et en tirent des avantages injustes, fondés sur l’oppression des femmes. Mais c’est difficile et pas agréable.
Ils peuvent aussi essayer une stratégie d’esquive (ou de fuite). Il est tentant pour un mec de gauche de prétendre qu’il est un homme “différent”, ou qu’il n’est carrément pas un “homme”. Ça va de celui qui se dit “déconstruit” (le terme a mal vieilli, hein) à celui qui s’interroge sur sa transidentité (genderfluid, enby, femme trans, etc.). Tout est bon pour essayer de s’extraire du groupe des oppresseurs, quitte à se mentir à soi-même. Il ne manque qu’à prétendre qu’on n’est pas “un” mais plusieurs (et pas toustes des hommes bien sûr) et ça sera parfait.
Je repense à ça en sortant du livre d’Eni-Eddo Lodge (Le racisme est un problème de blancs) et de l’épisode 94 des Couilles sur la Table sur les hommes trans comme transfuges de sexe. Quand on assimile les savoirs féministes en tant qu’homme cishet, il y a une “porte de sortie” pour préserver son estime de soi, tout en ne faisant rien de concret pour aider.
Les savoirs antiracistes semblent beaucoup plus exigeants. Une fois que tu admets que tu bénéficies d’un privilège blanc, prétendre que t’es pas blanc c’est plus difficile (aller, tu peux être à moitié-libanais – la réf est à partir de 3:59 min dans la vidéo). Pour la race sociale, la stratégie d’esquive qu’on voit dans le féminisme marche clairement moins bien (c’est-à-dire pas).
Du coup les réactions de colère, de déni (“Je ne vois pas les couleurs”, on sait que tu parles pas de handicap, hein), de gêne, de pleurs (oui), tout ce que raconte Eni Eddo-Lodge s’exprime peut-être d’autant plus fort qu’il n’y a pas d’échappatoire une fois qu’on a assimilé ces savoirs. On peut faire semblant d’être moins un homme cishet et profiter du patriarcat en sirotant. La domination blanche par contre, faut la revendiquer, la mettre sous le tapis ou la combattre.