Comment faire gagner les idées d’extrême droite (quand on est de gauche)

Il m’apparaît de plus en plus clair que toutes les per­sonnes de gauche dans les médias ou les réseaux sociaux pour­suivent un objec­tif com­mun : faire gagner l’ex­trême droite, bana­li­ser ses idées, les pro­pa­ger par­tout, tout le temps. Tu ne te sens pas concer­né ? Viens voir (même si tu es pas de gauche en fait).

Depuis plu­sieurs semaines, je filtre des mots clés et je bloque des médias sur Twitter. C’est quelque chose que je n’a­vais jamais vou­lu faire avant. C’est une chose de s’a­bon­ner à des comptes qui nous inté­ressent et de créer un espace infor­ma­tion­nel volon­tai­re­ment défor­mé, c’en est une autre de refu­ser tout contact avec des points de vue divergents.

Malgré le blo­cage, je m’ex­pose à chaque jour à de conte­nus venants de l’ex­trême droite. Pourquoi ? Parce que mes abon­ne­ments de gauche prennent le temps de (cochez plu­sieurs cases) :

  • s’in­di­gner (“il a dit ça”)
  • cri­ti­quer le fond (“il a tort”)
  • com­men­ter la forme (“regar­dons la mise en scène”)
  • mettre en pers­pec­tive (“ça n’est pas nouveau”)
  • tour­ner en ridi­cule (“aha c’est drôle”)

Au lieu de par­ler de visi­bi­li­ser des causes valables mais mori­bondes dans le pay­sage média­tique, poli­tique et dis­cus­sion­nel, je vois chaque jour des gens réagir à la der­nière pro­vo­ca­tion dont le seul objec­tif était de… faire réagir. Pour gagner en visibilité.

Pour lut­ter contre l’ex­trême droite, j’en parle en boucle.

appa­rem­ment tout le monde

Quand on parle d’une rumeur, on aug­mente le nombre de gens qui la connaissent, mais le taux de gens qui y croient reste stable. Plus on en parle, plus il y a des gens qui y croient (en valeur abso­lue). Il y a eu une étude là-dessus.

Plus vous par­lez de l’ex­trême droite, plus il y en a. Plus elle est légi­ti­mée par votre dis­cours, fût-il cri­tique. Et c’est pas un hasard si dans ce billet, je ne cite pas de noms de per­son­na­li­tés ou de médias. Mon pro­pos là, c’est jus­te­ment de dire qu’on devrait la fermer.

Vous ima­gi­nez à quoi ça res­sem­ble­rait si on par­lait des choses bien qu’on veut voir se concré­ti­ser, plu­tôt que de bou­cler sur des trucs sales dont on ne se sent mal rien que de savoir qu’ils existent ?

J’ai pris le par­ti de ne plus par­ler de trucs qui me semblent insi­gni­fiants, odieux, et qui semblent avoir été créés uni­que­ment pour faire par­ler. Je ne par­tage pas, je n’a­borde pas avec mes proches. J’essaie, conne­ment, de les pré­ser­ver, même si moi, pour plein de rai­sons, je vois pas­ser ces histoires.

Doux

À Paris Photo, j’ai croi­sé Smith & Piton, et Bogdan a dit un truc qui m’a fait tiquer. “On cherche à ajou­ter quelque chose de doux”. La dou­ceur… Je réa­lise main­te­nant que c’est pro­ba­ble­ment un terme qui est dans Le Cœur sur la table à plu­sieurs endroits. On en a bien besoin les gens, là, tout de suite.

Ça va mieux, mais ces der­niers mois, j’é­tais écra­sé par la vio­lence. J’étais mal, phy­si­que­ment et psy­cho­lo­gi­que­ment, de la quan­ti­té ahu­ris­sante de vio­lence que j’incorporais à force de… m’in­for­mer pour com­prendre le monde dans lequel on évo­lue. C’est à ce moment-là que j’ai com­men­cé à filtrer.

Structurellement, je sais, les mau­vaises nou­velles vendent. L’agressivité vend. L’odieux, l’in­te­nable, le gros­sier et le gro­tesque, ça engage pour pas cher. Mais, quoi, est-ce qu’on a besoin de relayer toutes les conne­ries d’un espace social par­ti en vrille à droite ? 

Alice Coffin, quand elle dit qu’elle se concentre sur des pro­duc­tions qui ne viennent pas de per­sonnes déjà en situa­tion pri­vi­lé­giée, y’ a pas un truc à creu­ser là ? Je dis pas qu’on arrête de lire des médias de droite, mais déjà si on arrê­tait de com­men­ter, dif­fu­ser, visi­bi­li­ser sans cesse leurs discours.

Je sais plus qui disait que la science-fic­tion dys­to­pique avait créé notre réa­li­té dys­to­pique, qu’il fal­lait pro­duire de la SF posi­tive, dès fois que ça fasse arri­ver un mode dif­fé­rent. On devrait s’y mettre.

En com­men­çant par arrê­ter par par­ler H24 d’i­dées dégueu­lasses qu’on a peur de voir arri­ver au pou­voir, pour par­ler un peu plus des pro­jets moti­vants, des ini­tia­tives belles, des idées qui, si nous on n’en parle pas 7/7, sont pas près d’arriver nulle part.