Les chatbots IA fournissent une réponse personnalisée aux problèmes uniques des internautes. Ils promettent un service que personne ne peut produire à coût équivalent, malgré une qualité déplorable et une promesse illusoire.
J’aime pas vraiment l’IA générative. En fait, j’ai même constitué une base de liens pour faire le tour de ses défauts et documenter ses résultats navrants. Mais je pense qu’il y a des bonnes raisons que les chatbots IA comme ChatGPT aient un succès durable. Parce qu’ils proposent un service médiocre, mais que personne d’humain ne peut reproduire au coût proposé.
Quand les gens font une requête sur un moteur de recherche, ils ne cherchent pas des informations. Ils veulent résoudre un problème qui se pose à eux, qui les concerne dans leur situation unique. Je ne veux pas “apprendre à percer du béton à la perceuse” : je veux fixer mon étagère dans ma chambre. Aucun contenu produit à l’avance ne peut satisfaire ce besoin précis.
Pour résoudre un problème unique, il faut interroger la personne, lui faire préciser sa demande, ses attentes, son contexte. Ça prend du temps, des efforts, de la disponibilité, voire de l’argent. C’est le travail d’écoute, quand un proche parle de ses émotions ; c’est le travail des pros, qui analysent vos besoins avant un devis. Les chatbots IA promettent de faire ça gratuitement, sans effort, avec une disponibilité et une réponse immédiate.
Les limites du contenu générique
Un contenu déjà fait est forcément générique. Il suppose un effort cognitif pour l’appliquer à sa propre situation. Quand j’écris des tutoriels de philo, je sais que je ne serai pas là pour aider l’élève qui va le lire. Il ou elle devra se débrouiller seul⋅e pour adapter mes instructions à son contexte.
Mon contenu répond à la question “Comment faire en général”. L’internaute veut une réponse à “Comment je fais dans mon cas précis”. Un chatbot donne l’impression qu’il répond à sa question précise et lui fournit une réponse taillée sur mesure.
Le chatbot est là, interactif, prêt à répondre à la moindre nouvelle question. Alors que moi, auteur de contenu, je suis loin. À supposer qu’une personne ait l’idée de me contacter, rien ne dit que je vais répondre, ou répondre à temps pour son problème.
C’est à la fois narcissique et confortable. Le chatbot répond à ma demande unique, il me parle à moi et il répond quand j’en ai besoin, sans juger, sans attendre, sans dire non. Il fournit une solution personnalisée à ma problématique personnelle et unique. Pourquoi vouloir autre chose ?
Service contre contenus
Les chatbots IA proposent d’abord un service, pas un contenu. C’est un service d’accompagnement personnalisé à la résolution des problèmes ou des questions qu’une personne ne pose. Et c’est un service universel, qui veut à lui seul répondre à toutes les problématiques.
Rien ne peut concurrencer ça. Il n’y a pas une personne humaine qui puisse fournir un service équivalent. Le service qui peut exister, c’est un⋅e expert⋅e dans un domaine qui répond à vos questions. Ça ne va pas être gratuit, ni tout le temps, ni immédiat.
C’est même pour ça que les experts et expertes produisent des contenus. Ça leur permet diffuser leur savoir sans fournir un service, sans être là non-stop. Les chatbots IA pillent les contenus des autres pour fournir un service qu’il serait irréaliste de demander à des humains.
Une illusion agréable
En réalité, le chatbot génère des réponses statistiquement probables. C’est l’inverse d’un contenu personnalisé, mais le dispositif fait illusion. On n’est pas loin des escrocs de la voyance : leur discours semble coller exactement à votre situation personnelle, alors qu’il est juste passe-partout.
Mais le dispositif est agréable. Il ne demande pas beaucoup d’efforts et de réflexion en amont. Si la réponse ne va pas, on pourra reformuler et retenter ensuite. Si la réponse suffit, c’est gagné. En plus tout se passe au même endroit, dans une seule interface, quel que soit le problème qu’on veut résoudre.
Les gens qui détestent l’IA sous-estiment à quel point ils ont l’habitude de chercher sur Internet et de résoudre des problèmes. Ça ne leur coûte rien d’ouvrir 10 onglets, 5 sites web, d’évoluer dans 5 interfaces différentes, de scanner des pages, cliquer des filtres de recherche, cocher des cases d’option, tout ça pour réfléchir par eux-mêmes à la fin.
Ces personnes savent naviguer dans un océan de contenu. C’est pas le cas de tout le monde. Pour beaucoup de gens, le chatbot IA fournit un service clairement intéressant. C’est rapide, ça demande un coût cognitif très bas, ça tolère très bien les erreurs, les demandes répétées, et c’est conçu pour toujours donner un résultat et nous laisser contents.
Oui, mais c’est faux
Qu’importe si le résultat est médiocre ou à moitié faux. Le risque n’est pas moindre sur un site web choisi au hasard ou sur Wikipédia. Les gens sont déjà habitués à s’appuyer sur des sources faillibles. Iels lisent l’horoscope, tirent le tarot et font les lignes de la main. Iels écoutent des gens incompétents interroger des menteurs à la TV et la radio.
Les gens ne demandent pas aux chatbots IA d’avoir la fiabilité d’un⋅e expert⋅e. Iels veulent un truc qui fait l’affaire et permet de résoudre leur problème, pas qui soit vrai. Si c’est à moitié faux, ça résout déjà 50% du problème.
Bref, j’aime pas les chatbots, je pense qu’ils ont 200 défauts, mais je comprends qu’il y a des raisons objectives de les apprécier. D’un point de vue théorique, c’est une escroquerie. Concrètement, ça fait un job suffisant, pour un coût minime. Et c’est pas moins une escroquerie que la démocratie représentative ou la concurrence libre et non-faussée.
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