J’ai vu 50% de films de femmes pendant un an

Qu’est-ce que ça chan­ge­rait si un film sur deux que je regar­dais était réa­li­sé par une femme ? En 2025, j’ai tes­té. Pourquoi ? Comment ? Et qu’est-ce que j’en ai appris. On fait le bilan, après plus de 240 films.

Une fois qu’on en prend conscience, il n’y a plus de retour en arrière. L’histoire du ciné­ma est l’his­toire des mecs. Ouvrez 1001 films à voir avant de mou­rir : le livre indexe envi­ron 600 cinéastes. Dans mon édi­tion, je compte à peine 30 réa­li­sa­trices – envi­ron 5% du total1. Prenez des listes qui conseillent des films sur Internet (top 10, top 100, etc.). Combien dans le lot sont réa­li­sés par des femmes ? Probablement pas beaucoup.

Depuis plu­sieurs années, j’es­saie de faire atten­tion à voir plus de films de femmes. Clairement ça ne suf­fit pas. En 2024, j’ai com­men­cé à comp­ter : j’ai vu 207 films, dont 48 réa­li­sés et 7 coréa­li­sés par une femme. Un gros quart du total (26,5%), mais le chiffre tombe à 21,4% si j’exclus les coréa­li­sa­tions et les courts-métrages (168 longs, dont 36 stric­te­ment réa­li­sés par une femme). Bref, entre 3/43/4 et 80% des films que j’ai vus en 2024 don­naient une place de pou­voir cen­trale à un homme. Et ça, c’é­tait en “fai­sant attention”.

En 2025, j’ai déci­dé d’al­ler plus loin. Pour toute l’an­née, j’ai appli­qué la règle :

Voir au moins autant de films réa­li­sés par des femmes que de films réa­li­sés par des hommes.

C’est rela­ti­ve­ment facile de faire une semaine ou un mois “sans homme” au ciné­ma. Mais sur un an, on y apprend sûre­ment plus de choses.

Pourquoi faire ça ?

Dans son livre Le génie les­bien, Alice Coffin dit qu’en s’ex­po­sant sans cesse à des pro­duc­tions faites par des hommes, on s’in­toxique à des ima­gi­naires sexistes et patriar­caux. Pour s’en libé­rer, elle sug­gère de consa­crer son temps à des œuvres pro­duites par des femmes. J’ajoute qu’au-delà de l’ef­fet sur soi, il y en a un sur les autres. Voir des films de réa­li­sa­trices, c’est en par­ler autour de soi, les visi­bi­li­ser… et les sou­te­nir économiquement.

Comment s’y prendre ?

Appliquer une règle pari­taire sup­pose de savoir quels films sont réa­li­sés par des femmes. Pour ça, j’ai appli­qué la méthode la plus simple : est-ce que la cinéaste a un nom expli­ci­te­ment fémi­nin ? Si oui, ça compte pour une femme. Et pour limi­ter les erreurs, direc­tion LetterBoxd (qui a des pho­tos), TMDB (qui pré­cise le genre), IMDB ou Wikipédia.

Ça pose des pro­blèmes évi­dents pour les cinéastes non-binaires, qui se retrouvent bina­ri­sés et invi­si­bi­li­sés au pas­sage. Ça pro­longe aus­si l’i­dée qu’on peut déter­mi­ner le genre par l’ap­pa­rence phy­sique ou le pré­nom (contes­table). Mais je ne vois pas de méthode réa­liste pour trou­ver le genre reven­di­qué de chaque cinéaste avant de voir un film.

En atten­dant une clé de tri par genre sur Letterboxd ou IMDB, c’est un bri­co­lage. Et puis l’ob­jec­tif est de voir moins de films d’hommes, pas de caté­go­ri­ser au mieux toutes les per­sonnes qui n’en sont pas (des hommes, pas des films).

Garder le compte

Pour gar­der le compte, j’ai ins­tal­lé une appli et créé trois comp­teurs. Un pour les films de femmes, un pour les films d’hommes et un pour ceux coréa­li­sés H/F. En paral­lèle, j’ai noté tout ce que j’ai vu dans mon Letterbox, en taguant les films woman-direc­tor ou woman-codi­rec­tor.

Faute d’a­voir réflé­chi, j’ai mélan­gé courts et longs métrages dans mes comp­teurs. Ça a intro­duit un biais : voir 10 courts de femmes et 10 longs d’hommes, c’est pas exac­te­ment pari­taire. Mais comme Letterboxd connaît la durée des films, j’ai pu trier à pos­te­rio­ri. En y repen­sant, j’au­rais aus­si pu comp­ter non pas les films (pari­té à l’u­ni­té), mais le temps pas­sé (pari­té tem­po­relle). Ç’aurait été un assez différent.

Quand j’ai fait les cal­culs à l’au­tomne, j’ai com­pris que mélan­ger courts et longs avait créé un écart invi­sible. Je pen­sais avoir vu 10 films de femmes de plus au total, mais c’est parce que j’a­vais bin­gé des courts. En regar­dant uni­que­ment les longs métrages, j’a­vais neuf films de retard. Un retard que j’ai rat­tra­pé sur la fin d’an­née, en comp­tant courts et longs à part d’oc­tobre à décembre.

Trouver des films

C’est plus dur que ce qu’on croit. L’interface des pla­te­formes n’est pas faite pour qu’on trie par genre. Fouiller les détails d’un film sur Amazon, Netflix ou Disney+ est presque tou­jours long et pénible. Si on regarde les sor­ties ciné­ma, il y a peu de films de femmes (au doigt mouillé 1,5 par semaine)… Et c’est pas tou­jours ceux qu’on veut voir.

J’ai rapi­de­ment com­pris qu’il fal­lait iden­ti­fier des films à l’a­vance, voire sto­cker des films où pio­cher. Pour ça, plu­sieurs méthodes, que j’ai décou­vert tout au long de l’année :

  • creu­ser une filmographie
  • uti­li­ser des listes
  • s’ap­puyer sur les catégories
  • les pod­casts et sites spécialisés

Creuser la filmo d’une réalisatrice

Ça per­met de ne pas juger l’ar­tiste à par­tir d’une seule œuvre. Et si on creuse, c’est sou­vent qu’on a aimé. Limite : j’ai croi­sé beau­coup de cinéastes avec une car­rière très courte2, dont les titres n’é­taient pas faciles à se pro­cu­rer. Un pro­blème qu’on retrouve aus­si pour des réa­li­sa­trices plus éta­blies, qui ont réus­si à durer. Alors que creu­ser les fil­mos n’é­tait pas ma méthode pré­fé­rée, j’ai beau­coup tenu là-des­sus, regar­dant sou­vent au moins deux films d’une même artiste.

Utiliser des listes de films

C’était ma méthode de pré­di­lec­tion, mais j’ai mis du temps à trou­ver cer­taines listes. Ma pre­mière bouée de sau­ve­tage a été Stuff by women, about women, qui recense des films avec des femmes à des posi­tions de pou­voir. Pour y figu­rer un film doit à la fois avoir des femmes comme :

  • actrice ou co-actrice prin­ci­pale, ou sujet du film
  • réa­li­sa­trice ou coréalisatrice
  • scé­na­riste ou cos­cé­na­riste (script, his­toire ou maté­riau source)

La liste est inépui­sable (plus de 5000 films) et mise à jour tout le temps. Limite : si on uti­lise qu’elle, on passe à côté de films qui ne cochent pas les toutes les cases. Par exemple Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, dont le scé­na­rio est écrit par un homme.

Au prin­temps, j’ai décou­vert Women Directors : The Official Top 250 Narrative Feature Films, qui intègre des films dont les (co)réalisatrices n’ont pas tou­jours été offi­ciel­le­ment cré­di­tées. Bizarrement, l’i­dée de voir les films cités dans 1001 films ne m’est venue qu’au bout de six mois… Pour décou­vrir qu’au­cun film d’Alice Guy n’y figu­rait, peut-être parce que mon édi­tion (2013) date d’a­vant sa redécouverte.

Ma copine m’a sug­gé­ré des listes en plus : 21 pre­miers films de réa­li­sa­trices qui ont débu­té après 2011(lien en anglais) ; ou bien 10 pre­miers films fran­çais de réa­li­sa­trices (en anglais) ; ou encore une liste des coming-of-age écrits ou réa­li­sés par des femmes du ciné­ma muet à nos jours (en anglais). Elle a aus­si trou­vé le site Women and Hollywood, mal­heu­reu­se­ment fer­mé et dis­po­nible uni­que­ment dans sa ver­sion archi­vée.

Utiliser les taxonomies

Pour com­pen­ser les limites des listes, j’ai fouillé les tags sur plu­sieurs sites, en regar­dant notam­ment le tag woman-direc­tor ou women-direc­tor sur LetterBoxd… Et sur des pla­te­formes de télé­char­ge­ment3. Encore une fois, il m’a fal­lu six mois pour pen­ser à consul­ter Wikipédia… qui a une caté­go­rie Réalisatrice de ciné­ma dis­po­nible en 27 langues.

Les podcasts et sites spécialisés

J’écoute quelques pod­casts de ciné de façon très aléa­toire. Je pense à Sorociné, du média fémi­niste du même nom, et à L’esprit cri­tique de Mediapart. Cinérameuf d’Alice Creusot m’a aus­si beau­coup ins­pi­ré, même s’il s’é­tait arrê­té en 2024. Pendant long­temps, c’é­tait ses recos qui m’en­voyaient décou­vrir des meufs au ciné.

Alice, si par miracle tu passes là : j’ai ado­ré ton tra­vail sur Cinémareuf. Genre j’ai don­né à ton Tipeee jus­qu’à la fin.

Les méthodes qui ne marchent pas

Un mot sur des méthodes que je n’ai pas uti­li­sées, parce qu’elles m’ont sem­blé inef­fi­caces. Creuser des genres conno­tés “fémi­nins”, comme la comé­die roman­tique : ça marche mal, car les films qui s’a­dressent à un public fémi­nin sont sou­vent réa­li­sés par des hommes.

Autre méthode reje­tée : faire la liste des films pri­més. Il y’a tel­le­ment peu de femmes récom­pen­sées que c’est une perte de temps. À la rigueur, j’au­rais pu fouiller les pal­ma­rès du Festival inter­na­tio­nal de films de femmes sur son site… mais c’est très chro­no­phage, et j’ai eu l’im­pres­sion que les films étaient mécon­nus et impos­sibles à se procurer.

Au bout de huit mois j’ai décou­vert l’ar­ticle Wikipédia anglais sur les femmes nom­mées aux Oscars hors caté­go­rie gen­rée, et je me suis dit que j’a­vais eu tort de pas creu­ser les films récom­pen­sés… Seulement pour décou­vrir que j’a­vais presque déjà tout vu dans Meilleure réa­li­sa­tion et Meilleur film d’animation.

Se procurer les films

J’ai dit trou­ver des films. Ça ne veut pas se les pro­cu­rer. Malgré une carte de ciné illi­mi­té dans Paris, un accès à plu­sieurs pla­te­formes4 et au pira­tage, j’ai régu­liè­re­ment échoué à trou­ver cer­tains titres. En par­ti­cu­lier ceux qui ne sont pas en anglais ou qui sont anciens.

J’aurais pu aller au Forum des images ou à la Cinémathèque pio­cher dans leurs col­lec­tions per­ma­nentes, mais euh, non, voi­là. J’ai pas non plus loué de films en média­thèque ou en vidéo­club (oui), alors que c’é­tait une pos­si­bi­li­té. Enfin, j’ai rien emprun­té à mes am⋅ies, là encore j’au­rai pu.


Anecdote : ma copine a cher­ché une salle de ciné indé pour orga­ni­ser une séance pri­vée entre potes. Dans ces cas-là, on pioche dans le cata­logue du ciné le film qu’on veut voir. L’un des cinés contac­té n’a­vait que DEUX films de femme à son cata­logue, sur une cen­taine de titres… On a donc fini à l’Archipel, connu pour sa ligne édi­to­riale féministe.


Ce que ça a changé au quotidien

J’ai moins été au ciné­ma et j’ai vu beau­coup de choses à la mai­son. Même à Paris, avec tous les ciné­mas et les rétros­pec­tives, les films pro­je­tés sont mas­si­ve­ment réa­li­sés par des hommes. Je suis aus­si deve­nu (encore) plus pénible que d’or­di­naire pour choi­sir un film. À chaque film, j’ai dû me deman­der si j’é­tais en retard, en avance, ou l’é­qui­libre pour main­te­nir les 50/50. Épuisant, sur­tout pour les autres.

Au début, j’ai été plus regar­dant sur les films d’hommes. Ça m’a ame­né à cher­cher plus du côté de films issus de mino­ri­tés : réa­li­sa­teurs non-blancs, cinéastes queer, etc. Ça n’a pas été une révo­lu­tion, et ça n’a pas duré. Notamment parce que j’ai pro­fi­té des films d’hommes pour voir des choses… que les gens autour de moi vou­laient voir.

Ce qui a vrai­ment évo­lué, c’est que j’ai qua­si arrê­té de regar­der des films de mecs quand j’é­tais seul. Histoire de sim­pli­fier le choix d’un film quand on est en groupe, j’ai eu ten­dance à regar­der plus de films de femmes dans mon coin, pour “gar­der de l’a­vance”. Pour main­te­nir mon compte, j’ai sou­vent renon­cé à voir cer­tains films de mecs au ciné.

Aspect impor­tant, la répar­ti­tion genre films que j’ai vu a chan­gé. En début d’an­née, les films d’ac­tions, les thril­lers ou la science-fic­tion ont lar­ge­ment dis­pa­ru. Pendant un temps, ma pas­sion pour l’hor­reur a aus­si pris un coup. Et puis à un moment j’ai lâché l’af­faire : je suis allé voir des block­bus­ters cré­tins à la pelle au ciné, et j’ai rat­tra­pé ensuite.

Voir des films réa­li­sés par des femmes a fait explo­ser le nombre de drames regar­dé à la mai­son, au point où j’ai eu des plaintes. J’ai vu plus de romance, d’hor­reur, de SF et de docu­men­taires qu’en 2024… Et moins de films d’ac­tions, de thril­ler, de films d’a­ven­ture ou d’a­ni­ma­tion. C’est aus­si cli­ché que ça.

Comment j’ai triché

Qui dit objec­tif chif­fré dit sys­tème de triche. Pour atteindre 50%, j’ai conscien­ti­sé beau­coup de façon de tri­cher. Un film qui n’est pas vu en entier n’est pas décomp­té… donc si je ne vois pas le début, si je fais autre chose pen­dant, ou si j’ar­rête en cours, ça ne compte pas5. Si j’ai du retard sur l’ob­jec­tif, je peux revoir un film de femme que j’ai déjà vu. Et de jan­vier à octobre, un court métrage pou­vait “com­pen­ser” un long métrage. Mais comme j’ai dit, j’ai chan­gé cette règle sur la fin de l’année.

Ces arran­ge­ments illus­trent la limite des défis chif­frés, mais aus­si la dif­fi­cul­té à res­ter à 50/50 dans une offre de films mas­si­ve­ment domi­née par les hommes. Pour avoir la paix, j’ai ten­té de prendre 10 films d’a­vance et de main­te­nir cet écart. Une stra­té­gie qui s’est écrou­lée quand j’ai com­pris que j’a­vais de l’a­vance sur les courts, mais du retard sur les longs. 

En fin d’an­née, j’a­vais com­plè­te­ment arrê­té de tri­cher, mais j’é­tais aus­si épui­sé par les contraintes du défi. Je lan­çais des films comme un zom­bie, sans aucune idée de leur conte­nu, juste pour gar­der la parité.

Un constat amer

Durant cette expé­rience j’ai vu des films de femmes parce qu’ils étaient faits par des femmes, alors que j’ai vu des films d’hommes parce qu’ils me fai­saient envie. Sans le défi, j’au­rais clai­re­ment vu autre chose.

J’ai aus­si vu moins de bons et très bons films. Un film réa­li­sé par une femme peut être moins bien appré­cié, voire des­cen­du à tort à cause du sexisme. J’ai donc pio­ché des films par­fois moins bien notés, quitte à ce qu’ils soient… vrai­ment moins bien. Après, il y a un effet méca­nique : les excel­lents films sont rares, les films de réa­li­sa­trices sont aus­si… Les excel­lents films de réa­li­sa­trices sont donc encore plus rares.

Cela dit, l’ob­jec­tif était de voir des choses dif­fé­rentes, et ça a mar­ché. J’ai vu plus de réa­li­sa­trices que jamais dans ma vie. Des cinéastes dont pour beau­coup je n’a­vais jamais enten­du par­ler… Ou dont j’a­vais jamais pris la peine de me sou­ve­nir du nom. 

J’avais vu Ladybird (2017) et Little Women (2019) à leurs sor­ties, mais il a fal­lu Barbie (2023) pour que j’ap­prenne le nom de Greta Gerwig, qui réa­lise les trois. J’ai l’im­pres­sion que quand un homme fait un film, il ajoute une entrée à sa car­rière ; quand une femme fait un film, au mieux on se sou­vient du film. Même si les cinq der­nières années ont vu ça chan­ger : Julia Ducournau, Céline Sciamma, Coralie Fargeat, ou Audrey Diwan sont désor­mais des noms qu’on suit.

Des différences de genre ?

Est-ce que le genre du cinéaste change vrai­ment quelque chose ? J’aimerais dire non. Mais toute cette expé­rience part du pré­sup­po­sé que oui, puisque l’i­dée était de se dés­in­toxi­quer des ima­gi­naires mas­cu­lins. La posi­tion sociale des per­sonnes affecte leur façon de voir, ce qu’elles veulent mon­trer et com­ment elles le font. Donc, oui, on ne voit pas la même chose quand on regarde mas­si­ve­ment des films de femmes.

Les films d’hommes ne parlent pas autant de trau­ma, du fait de ne pas être écou­té, ou de la bêtise du genre mas­cu­lin. Ils bana­lisent plus faci­le­ment la vio­lence, qu’il semble impé­ra­tif de mon­trer à l’é­cran et qui est sou­vent phy­sique. Sans par­ler de la sexua­li­sa­tion gra­tuite des per­son­nages fémi­nins. Les films de réa­li­sa­trices que j’ai vu cette année ne fai­saient glo­ba­le­ment pas tout ça. Par exemple, la vio­lence y était sou­vent latente : on par­lait de ses consé­quences, sans for­cé­ment la montrer.

Ce qui m’a vrai­ment mar­qué, c’est que les films de réa­li­sa­trices témoignent d’un rap­port au corps dif­fé­rent. Les corps ne sont pas fil­més de la même façon. Et c’est pas sur­pre­nant, tant le corps des femmes et le corps des hommes n’a pas la même place sociale et n’est pas sou­mis aux mêmes injonc­tions. À ce titre le retour du body hor­ror dans des films por­tés par de femmes n’est pas un hasard com­plet (Ducournau, Fargeat, etc.).

En repen­sant aux cri­tères du regard fémi­nin d’Iris Brey, je retombe un peu sur cette idée que les corps ne sont pas éro­ti­sés incons­ciem­ment, que le plai­sir ciné­ma­to­gra­phique n’est pas lié au fait de mater (Brey parle de “pul­sion sco­pique”). Même si Brey pré­cise qu’il ne suf­fit pas d’être une femme pour avoir un “regard fémi­nin”, et que tous les films que j’ai vu n’ex­pri­maient pas un female gaze (quoi qu’on pense de la notion).

Autre dif­fé­rence, le par­cours des cinéastes fémi­nines. J’ai l’im­pres­sion que les réa­li­sa­trices ont des par­cours plus riches que les hommes (pour ne pas dire “plus heur­tés”). J’ai croi­sé beau­coup d’au­trices qui cumulent les fonc­tions pen­dant leur car­rière, ou même dans leur film : scé­na­riste, actrice, réa­li­sa­trice… Devenir réal (et le res­ter) n’a pas l’air aus­si évident que pour des hommes. On voit sou­vent les mecs faire leur car­rière dans un seul métier. Pour les femmes, on sent que c’est plus compliqué.

Les chiffres

En un an, j’ai réus­si à me mélan­ger dans mes chiffres. Mon Letterboxd liste 242 films en tout (+35 par rap­port à 2024), dont 125 de femmes (+77), 117 d’hommes (-42) et 13 coréals6 (+3). Mon appli de comp­teur, elle, dit 227, dont 119 de femmes, 98 d’hommes et 10 coréa­li­sa­tions. Bravo Guillaume.

On va prendre les chiffres Letterboxd. Au moment où j’ar­rête ces chiffres (5 décembre), j’ai vu 173 longs métrages (+5 par rap­port à 2024) et 69 courts (+30). Sur les 125 films de femmes, je compte 87 longs (+51) et 38 courts (+26). Je fais pas les pour­cen­tages, c’est trop compliqué.

Au final, je suis à l’é­qui­libre sur les longs métrages, mais à peine (seule­ment un film d’a­vance). Par contre j’ai 31 courts de réa­li­sa­trices de plus, pro­ba­ble­ment parce qu’à un moment j’ai vu des courts en masse. Je pense que cher­cher un équi­libre m’a fait voir plus de films que d’ordinaire.

Sur un autre plan, je constate qu’en 2024, il y avait 12 cinéastes dont j’a­vais vu au moins 2 films dans l’an­née. C’était presque tous des hommes (10 sur 12) et tous des blancs (9 sur 10). En 2025, c’est dif­fé­rent. Il y a 26 cinéastes dont j’ai vu 2 films ou plus : 16 femmes et 10 hommes. Même si ça reste très blanc (20 sur 26).

Réalisateurs les plus vus.

Alice Guy-Blaché
7 films

Brian De Palma
3 films

Peter Jackson
3 films

Georges Méliès
3 films

Choi Dong-hoon
2 films

Paul Verhoeven
2 films

Eduardo Casanova
2 films

David Leitch
2 films

Phil Lord
2 films

Christopher Miller
2 films

Susan Seidelman
2 films

Denis Villeneuve
2 films
En 2024, presque tous les cinéastes dont j’ai vu plus de deux films étaient des mecs, blancs pour la plupart.
Réalisateurs les plus vus.

Alice Guy-Blaché
7 films

Lana Wachowski
4 films

Victoria Vincent
3 films

Lilly Wachowski
3 films

Ana Lily Amirpour
2 films

Karen Maine
2 films

Jon M. Chu
2 films

Halina Reijn
2 films

Céline Song
2 films

Nora Ephron
2 films

Susan Seidelman
2 films

Denis Villeneuve
2 films
En 2025, c’est un peu dif­fé­rent (même si l’i­mage ne montre pas tout). Et oui, j’ai revu tout Matrix.

Le palmarès

On a vu quoi ? Voici la liste des films de réa­li­sa­trice vus en 2025 et celle des films coréa­li­sés (par­fois coréa­li­sés F/F). Là-dedans, il y a en 10 qui res­tent sur mes favo­ris 2025. En par­ti­cu­lier : Cow, de Andrea Arnold, et First Cow de Kelly Reichardt. C’est l’an­née du film de vache. C’est aus­si l’an­née de Céline Song, avec Materialists et Past Lives dans mon top 2025, mal­gré tout ce que j’ai détes­té dans Materialists. Enfin j’ai ado­ré le nanar inter­si­dé­ral qu’est Madame Web, et que je ne peux que conseiller à chaque per­sonne actuel­le­ment en vie sur Terre.

Bilan

C’était bien. C’était vrai­ment com­pli­qué. Le ciné­ma reste un milieu extrê­me­ment patriar­cal. Essayer de voir des films de réa­li­sa­trices, c’est presque jouer contre les règles du jeu. Il faut se débrouiller, fouiller, réus­sir à se pro­cu­rer les films. Tout en se deman­dant si on ne trouve pas parce qu’il n’y a pas grand-chose… Ou si c’est le résul­tat d’un tra­vail d’in­vi­si­bi­li­sa­tion des réals pas­sées et de silen­cia­tion de celles qui vou­draient réa­li­ser plus aujourd’­hui (spoi­ler : oui).

L’idée d’Alice Coffin de se dés­in­toxi­quer des ima­gi­naires mas­cu­lins marche vrai­ment, et c’é­tait apai­sant par bien des aspects. Ça été l’oc­case de décou­vrir des autrices cools… Et ça aiguise le regard sur le sexisme au ciné­ma. Y’a des his­toires ou de façon de les racon­ter qui me sont deve­nus pénibles, que j’ai plus envie de voir. Un des trucs repo­sant cette année, c’é­tait de pas voir des viols, ou qu’ils ne soient pas mon­trés à l’é­cran avec un regard mas­cu­lin, de façon voyeu­riste et complice.

Coté néga­tif, le dis­po­si­tif invi­si­bi­li­sait par construc­tion les per­sonnes non-binaires, et ren­for­çait l’i­dée d’une bina­ri­té de genre. Ça excluait aus­si de fait les cinéastes trans­masc, même si en vrai, j’en connais qua­si­ment aucun. Et fina­le­ment, ça a dis­cri­mi­né toutes les coréa­li­sa­trices : quand un film était cosi­gné par un homme, ça ne chan­geait pas mon compte, donc j’a­vais pas d’in­té­rêt à le voir.

En 2026, j’ar­rê­te­rai d’ap­pli­quer cette règle. Ça per­met­tra de voir ce que ça change de reve­nir à plus de films d’hommes… Et si cette expé­rience pro­duit des effets durables sur ma ciné­phi­lie (ou pas).

Notes

  1. Décompte fait par moi, à par­tir de l’é­di­tion 2013 du livre. Il est pos­sible que j’en ai oublié cer­taines par mégarde. La liste des “réa­li­sa­teurs” (p. 944–946) fait 12 colonnes d’en­vi­ron 50 noms cha­cune, soit à la louche 600 noms. ↩︎
  2. C’est peut-être un pur biais de sélec­tion de ma part. ↩︎
  3. Cherchez “keyword:woman direc­tor” sur YTS. ↩︎
  4. J’ai notam­ment uti­li­sé Amazon Video, Universciné, Disney+, Filmo, Netflix, et Arte TV. Parfois avec des codes par­ta­gés, par­fois en pre­nant l’a­bo gra­tuit une semaine. ↩︎
  5. C’est ma façon habi­tuelle de comp­ter si j’ai vu un film ou pas. Ce qui change, c’est que là je l’ai ins­tru­men­ta­li­sée. ↩︎
  6. Tout le monde s’en fout, mais je le note pour moi : c’est parce qu’il y a 2 coréals F/F et une série dans le lot. Donc c’est bien 10 coréal H/F sur l’an­née. Au moins j’ai UN chiffre cor­rect. ↩︎

Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le par­ta­ger pour faire chaud à mon petit cœur quand je lirai les stats d’au­dience micro­sco­piques du site 🔬. Ou juste à le résu­mer à autour de vous en disant “J’ai lu un truc trop bien, tu vois [et là c’est toi qui conti­nues la phrase]”. No com­ment que j’ai com­men­cé en vou­voyant et là je tutoie.

3 réponses à “J’ai vu 50% de films de femmes pendant un an”

  1. Franchement mer­ci pour ce bilan qui n’est pas tout feu tout flammes, on sent la las­si­tude et la com­plexi­té ! Je m’as­treints pour la lec­ture à faire atten­tion depuis un an (mais là je ne lis plus que des autrices et ça a clai­re­ment eu des consé­quences, je ne peux plus lire d’au­teurs 😑) je vais donc ten­ter de mixer pour la vidéo ! Merci encore !

  2. Merci, super intéressant !
    Suite à la lec­ture du Génie Lesbien je m’étais fait 2024 avec que des livres et des expos d’autrices et actrices femmes. Mais j’avais assez vite renon­cé pour le ciné et les séries devant la dif­fi­cul­té d’en trou­ver. Bravo d’avoir tenu !
    Les effets que tu décris entre dif­fé­rence de genre, female gaze, thé­ma­tiques, me sont clai­re­ment appa­rues aus­si en lit­té­ra­ture et arts plas­tiques. Et j’ai décou­vert tant d’autrices/artistes dont je n’avais jamais enten­du par­ler, ça a vrai­ment enri­chi et diver­si­fié ma culture.

  3. Bravo pour la démarche et d’a­voir tenu.

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