Si on pense Mastodon comme un réseau social, on n’y comprend rien. Mastodon est un outil de création de communautés locales qui communiquent entre elles, mais sans aucune unité. Un système qui ressemble fortement… à la sociabilité hors-ligne.
C’est quoi un réseau social ?
Depuis 20 ans, on s’est mis à appeler “réseau social” des plateformes numériques qui ont en gros 3 caractéristiques.
Un. Elles sont opérées de façon centralisée par une entreprise qui contrôle leur code, leur modèle économique, leurs conditions d’utilisation et la façon de les faire respecter (modération).
Deux. On peut y créer un compte qui permet de publier des contenus et de s’abonner aux flux de contenus produits par d’autres comptes. Tous les comptes peuvent communiquer entre eux, car ils sont partagent un même espace global (la plateforme).
Trois. Tout sous-groupe ou sous-communauté qui se crée sur la plateforme reste soumis aux règles générales décidées et contrôlées par la structure qui opère la plateforme. Il peut y avoir une tolérance, mais il n’y a pas d’autonomie.
Avec l’effondrement de Twitter et la mise au pas de Reddit, même les plus réfractaires ont fini par admettre les limites de ce modèle. L’insatisfaction globale a conduit à des “migrations” et provoqué l’éclatement de certaines communautés en “diaspora”. On note au passage le lexique, pas tout à fait neutre, hein ?
Mastodon n’est pas un réseau social
Au milieu de tout ça, on présente souvent Mastodon comme une alternative à Twitter. Mastodon serait un réseau social concurrent de Twitter, à la manière de BlueSky (toujours pas ouvert) ou de Threads (pas encore fermé).
C’est une erreur complète. Mastodon n’est pas un réseau social. Il ne correspond pas au modèle décrit précédemment. Le modèle mental qu’on a quand on pense “réseau social” ne fonctionne pas pour Mastodon (et plus largement le Fediverse).
Beaucoup de critiques de Masto viennent du fait qu’on lui applique la mauvaise grille de lecture. À commencer par parler de “Mastodon”, comme si c’était une seule plateforme, unifiée, avec une réelle cohérence.
Un outil de création de communauté
On oublie presque toujours que les plateformes sociales sont d’abord des logiciels, des applications. Mastodon nous force à revenir sur cet oubli. S’inscrire sur un serveur, c’est s’inscrire sur… un serveur… qui fait tourner… une version du logiciel Mastodon (pas forcément la plus à jour).
La fragmentation du “réseau” Mastodon existe dès le départ, parce que Mastodon n’est pas un réseau. C’est un outil de création de communautés locales. S’inscrire sur un serveur n’est pas “Rejoindre Mastodon” : c’est rejoindre ce serveur, opéré par telles personnes, selon telles règles, et avec telle population. C’est un espace social particulier.
Dans la vie hors ligne, on sait qu’on n’est pas les bienvenu·es partout : tous les espaces sociaux ne nous sont pas ouverts. Certains ne nous seront jamais ouverts, d’autres pourront l’être à certaines conditions. Eh ben ça, c’est le “réseau” Mastodon.
L’idée d’un espace radicalement commun à toute la société est un leurre. Twitter était un mensonge. C’était souvent marrant, pratique ou nécessaire professionnellement, mais c’était pas la société. Ça ne l’a jamais été, ça n’a jamais pu l’être.
L’interconnexion est assurée (ou pas)
Hors-ligne, la connexion entre des espaces sociaux différents se fait par… des gens. Ce sont des amis, des collègues ou des connaissances qui nous invitent et nous font découvrir d’autres personnes et d’autres espaces sociaux. Sur Mastodon, c’est pareil.
Le serveur sert de communauté de rattachement : c’est notre point de départ, comme notre immeuble. Mais en s’abonnant à des comptes situés ailleurs, sur d’autres serveurs, on peut aller dans d’autres immeubles et d’autres quartiers.
C’est tout le principe de la fédération : les serveurs Mastodon sont des communautés locales qui communiquent avec d’autres communautés locales. Et des communautés transverses peuvent aussi se créer, autour d’un hashtag par exemple.
Entre le forum et la boucle Telegram
Par l’aspect serveur, Mastodon ressemble à un forum de discussion. On a des habitué·es, des règles locales, des modérateurices… et une infrastructure qui nous relie. Quand on partage un serveur, on peut se plaindre ensemble que l’admin n’a pas mis à jour Mastodon, ou qu’on trouve la modération est aux fraises. La vie quoi.
Mais Masto ressemble aussi un peu à une boucle de messagerie, façon Telegram. Les boucles sont des espaces sociaux fermés, accessibles sur cooptation. Il faut l’adresse pour entrer, parfois être validé… et on peut se faire bannir.
La différence sur Mastodon, c’est qu’on est accepté par défaut. On peut lire les messages venant des membres d’un autre serveurs. On peut rentrer sans être coopté : l’adresse est publique. Il n’y a pas de validation au départ : c’est a posteriori qu’on se fait exclure.
Le défaut, c’est que si vous avez un·e ami·e sur un serveur, peut-être que globalement, votre comportement et vos propos ne seront pas acceptés par la communauté de son serveur. Ça veut dire qu’il y a un risque qu’on vous interdise l’entrée. Comme si le gardien de l’immeuble vous bloquait l’accès à l’appart de votre pote, et ça c’est nul.
Un espace partagé plus apaisé ?
Si vous avez été bloqué par un serveur, vous avez peut-être déconné. Vous vous êtes peut-être mal comporté. Mais c’est peut-être aussi que l’espace social qui vous a bloqué est juste extrémiste, dans ses valeurs ou dans ses pratiques. C’est complètement possible, parce que (spoiler), les gens sont faillibles, pas hyper rationnels, parfois nuls et surtout grave différents dans leurs attentes et leurs comportements.
Sur Masto, on croise des gens. Qui disent des conneries (moi par exemple), qui s’expriment à la va vite, qui font des choix discutables. La vie n’est pas exempte de drama. Au moins, là, il se passe sans l’intermédiaire d’une firme qui cherche en plus, à exploiter ce drama à des fins politiques et économiques.
Une des conséquences, c’est que les espaces partagés (entre gens non bloqués) pourraient être plus apaisés sur Masto. Ça n’empêche pas les communautés qui veulent s’ignorer de s’ignorer et de vivre dans leur coin. On peut avoir la paix. Après tout, on bloque bien massivement les nazis, et pourtant, ils utilisent le même logiciel que nous.
Bien sûr tout ça était au départ un thread :