Peut-on offrir du temps de travail en cadeau ?

On m’a deman­dé ce que je vou­lais comme cadeau, j’ai répon­du “Un coup de main pour faire un truc pénible”. Ça n’a pas été bien pris. Réflexion sur ce qu’on peut offrir ou pas.

Les gens qui font du zéro gas­pillage ont un truc contre les cadeaux maté­riels et neufs. Ils pré­fèrent des cadeaux d’oc­ca­sion, ou qui ne se tra­duisent pas dans un objet maté­riel (un res­to, un concert, etc.). En réa­li­té, les cadeaux imma­té­riels n’ont pas for­cé­ment une empreinte matières plus faible qu’un cadeau phy­sique. Si on vous offre une place pour un fes­ti­val loin de chez vous, qu’on cumule le tra­jet, le loge­ment, la nour­ri­ture, l’im­pact du fes­ti­val, peut-être que vous offrir une bédé d’oc­ca­sion aurait été mieux.

Mais aus­si, ces cadeaux imma­té­riels s’ins­crivent tou­jours dans une logique de consom­ma­tion mar­chande. On consomme des “expé­riences” (des escape game, une visite inso­lite, etc.) et la per­sonne qui offre paie tou­jours quelque chose qui a une dimen­sion moné­taire. Offrir un cadeau, c’est dépen­ser de l’argent. Et c’est sou­vent dépen­ser de l’argent “pour quelque chose qui sort de l’or­di­naire”, qui “fait plai­sir” plus que ça ne répond à un besoin. C’est fon­da­men­ta­le­ment pen­sé comme un acte d’achat.

À mesure que je vieillis et que la plu­part de mes besoins cou­rants sont gérables par moi-même, je me retrouve sou­vent à ne pas vou­loir de cadeaux, parce que je n’en ai ni envie, ni l’u­ti­li­té. Mais j’ai encore un anni­ver­saire, une famille, et Noël existe. J’ai tes­té de deman­der aux gens autre chose. J’ai deman­dé du temps.

Tu veux vrai­ment m’of­frir un truc ? Viens m’ai­der à ran­ger ma biblio­thèque. Y’a plus de 400 livres, ça fait un an et demi qu’au­cun n’est plus ran­gé, on ne trouve plus rien, et jamais j’au­rais la motiv’ de m’y mettre. Mais si on s’y prend à plu­sieurs une aprem, ça me bou­ge­ra et ça pour­ra être un bon moment. Dit bru­ta­le­ment : je demande du tra­vail. Du tra­vail qui peut deve­nir un moment agréable entre proches, mais du travail.

Et per­sonne je vois bien que les gens détestent cette pro­po­si­tion. Personne n’a envie d’of­frir ça. C’est pas juste que c’est des efforts pénibles. Si vous offrez un gâteau trop bon que vous avez fait vous, y’a une part de tra­vail dans ce que vous offrez. Si vous offrez une œuvre d’art que vous avez fait, idem. Mais offrir du temps de tra­vail pur, ça ne passe pas.

Peut-être que ça maté­ria­lise la valeur d’un tra­vail gra­tuit qu’on four­nit d’or­di­naire sans réflé­chir. Si je peux offrir un coup de main en tant que cadeau, c’est que ça a de la valeur d’un tra­vail non per­çu comme tel et four­ni béné­vo­le­ment. Proposer d’of­frir du tra­vail, ça serait ni plus ni moins que l’ex­ten­sion d’une vision où tout peut deve­nir une marchandise.

Peut-être qu’à l’in­verse, deman­der du temps de tra­vail à un proche, c’est pré­ci­sé­ment quelque chose qu’il ou elle ne peut pas don­ner, parce que c’est ça être proche. Ne pas être dans un pur rap­port d’ex­ploi­ta­tion éco­no­mique, ou pas dans un rap­port d’ex­ploi­ta­tion éco­no­mique du tout.

En atten­dant, j’ai tou­jours pas ran­gé la bibliothèque.


Boîte noire : Ironiquement, cette réflexion vient d’une remarque comme quoi des per­sonnes (jeunes parents, mères iso­lées, aidants et aidantes, etc.) peuvent avoir moins besoin d’une aide en argent, en objets ou en cadeaux, que d’une aide maté­rielle, en temps et en sou­tien. Je sais plus qui disait qu’of­frir une peluche, c’est beau­coup moins bien que de gar­der les enfants pour libé­rer une aprem, ou de gérer un bout du ménage. C’est une ques­tion de care (soin). Intéressant de voir que c’est pas réver­sible : on peut pro­po­ser ou offrir du care, mais dif­fi­ci­le­ment en demander.

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