Les élections arrivent, faut-il voter ? Faut-il s’abstenir ? Il y a de bons arguments des deux cotés. Mais j’ai du mal à croire qu’ils vaillent dans l’abstrait, indépendamment d’un type d’élection donné et d’une élection particulière. Alors, faut-il voter à la présidentielle française de 2017 ? Rappel pour moi-même.
Le programme n’a aucune importance
Le programme n’a aucune importance. C’est un document marketing destiné à susciter l’intérêt, la sympathie, voire l’adhésion. Il est conçu à partir des attentes de la cible, qui est elle-même choisie pour positionner le candidat au sein d’une offre politique. Le programme n’est pas là pour être réaliste, pour correspondre à des convictions du candidat ou pour donner un aperçu de ce qu’il fera vraiment pendant son mandat. François Hollande est là pour nous le rappeler.
Le programme n’engage à rien. C’est un document publicitaire. Entre une pub Coca-Cola et un programme politique, la seule différence, c’est la quantité de texte. Marque de son caractère totalement futile, le programme est condamné à évoluer pendant une campagne. Quand Jadot se rallie à Hamon, le programme d’Hamon se transforme. Ce n’est pas un “écart” : Hamon ne “renonce” pas, ou ne fait de “concession”. Il adapte son trac publicitaire à la nouvelle audience à qui il s’adresse.
Parce que l’objectif est de convaincre le plus grand nombre, groupe par groupe, le programme a depuis toujours vocation à être changé. On commence avec un petit groupe soudé, on élargit en ajoutant / supprimant des choses pour plaire hors du groupe, et ainsi de suite. La seule contrainte est communicationnelle. Il ne faut pas qu’on ait l’air “à ce point” de se foutre du monde et de son programme. Quand Hamon abandonne le revenu de base, il risque d’aliéner des gens qui étaient avec lui pour ça, et parce qu’il était le seul à en faire un thème principal de son discours.
Mais tout est calculé. D’abord, on s’appuie sur le revenu de base et ses soutiens pour se développer médiatiquement. Ensuite, quand ça devient un poids qui risque de freiner l’adhésion de nouveaux soutiens, on renonce à cet aspect du programme. On va perdre des soutiens pour en gagner d’autres, plus utiles à ce stade de l’élection. Le contenu du programme n’est pas idéologique, il est stratégique.
Voter pour un programme est donc une aberration. En fait, même lire le programme est peu intéressant. Personne ne forcera l’élu à l’appliquer. L’élu pourra dire “Ah mais en fait, c’était inapplicable. Je ne pouvais pas le savoir : c’est en découvrant la réalité des choses une fois au pouvoir que j’ai compris qu’on ne pouvait pas”. Et puis, passé la campagne, tout le monde aura oublié complètement ses promesses. Bref, le programme est un flyer publicitaire à vocation récréative.
Le candidat est un mensonge
Le type qui candidate, bien sûr, c’est un humain comme les autres. Il y a une histoire personnelle, des proches, des convictions, des objectifs, etc. Ça, l’électeur en connaît peu de choses. Ce que l’électeur connaît, c’est en grande partie l’image médiatique qui constitue le candidat. Comme pour le programme, cette image est construite et vise un objectif électoral. La sympathie qu’on éprouve pour un candidat est largement conditionnée par cette image.
Les plus attentifs vont aller creuser le passé du candidat. Ils vont essayer de voir si l’image qu’il se donne correspond bien à ses pratiques antérieures. Ils vont confronter la construction électorale “candidat” avec le gars qui endosse le costume, qui joue le rôle. Le malheur de François Fillon, c’est d’avoir choisi un storytelling sur l’honnêteté alors qu’il ne pouvait pas être crédible. Mais sans le Canard et Médiapart, sans scandale qui révèle un mensonge éclatant, que sais-je au fond d’un candidat ?
Pas grand chose, sauf à passer un temps long et fastidieux à me documenter. Heureusement, des assos comme Regards Citoyens permettent de simplifier ça, et de donner accès à des infos (via Nosdéputés par exemple). Mais si ça donne un faisceau d’indices, ça ne donne pas tout. Et le candidat a un intérêt direct à entraver l’accès à des informations qui ne collent pas avec son positionnement marketing. Pour lui, l’effort est limité dans le temps. Il doit réussir à cacher ce qui le décrédibilise juste assez longtemps pour être élu. Faisable.
Bref, voter, c’est presque toujours voter pour quelqu’un qu’on connaît mal, ou de façon très déformée. Au cinéma, on se souvient toujours que l’acteur n’est pas son rôle. Qu’il ait l’air sympa ou méchant dans le film, ça ne dit rien sur la personne. Mais aux élections, on tend à oublier que le candidat n’est pas son rôle. Qu’il joue son texte, mais qu’il n’en croit pas forcément un mot.
Que se passe-t-il quand on vote ?
Qu’est-ce que je fais quand je vote à la présidentielle ? Je choisis au sein d’une liste fermée de candidats, et je décide du candidat auquel donner un point dans le décompte final. C’est une sorte de jeu, où l’ensemble des joueurs correspond aux inscrits sur les liste électorales. Le principe du jeu présidentiel est “donnons des points pour sélectionner un vainqueur unique”. Chacun dispose d’un point.
Pourquoi je donne mon point est sans importance. Si cela avait la moindre importance, cela ferait partie du jeu. On pourrait exprimer les raisons de son vote sur son billet, cela sera noté, dépouillé, et transformé en données publiques passionnantes. Ce n’est pas le cas. L’objectif du candidat est donc uniquement de convaincre suffisamment de joueurs de lui donner un point. C’est-à-dire de jouer un coup valable, qui comptera comme un suffrage exprimé (pas un vote blanc ou nul).
Les candidats n’ont pas à se préoccuper des non-inscrits, des abstentionnistes ou des gens qui votent blanc. Ces gens-là ne jouent pas. Ils sont plus ou moins hors du jeu selon leur situation, mais leur “coup” n’est pas valable. Il est sans impact pour le candidat. Quelles que soient les raisons de ne pas jouer, les non-joueurs sont traités – à raison – comme sans importance.
Même constat du coté des institutions. La diminution de la quantité de joueurs n’affecte pas les organisateurs du jeu. Le jeu peut se poursuivre même si plus personne ou presque n’y participe. Certes, les grands discours sur l’intérêt général, le peuple, la nation et touti sonnent moins bien quand seul 30% de la population participe au jeu. Mais ça n’arrête pas la machine. La légitimité des institutions est complètement décorrélée du nombre de personnes qui participe aux jeux électoraux.
L’élection est une procédure de légitimation. En démocratie, plus le nombre de joueurs est important, plus le gagnant et l’institution peuvent se dire légitimes. Mais ça reste symbolique. Il n’y a pas de procédure qui arrête une élection à laquelle personne ne participe. Il n’y a pas de réforme obligatoire des institutions lorsqu’un grand nombre de joueurs potentiels refusent de produire un coup valable. Sym-bo-lique.
Que se passe-t-il après le vote ?
Une fois l’élection remportée, le vainqueur devient “président de tous les français”. Il est censé s’élever au-dessus de la minorité de la population qui l’a élu (les joueurs qui ont voté pour lui). À partir de là, il dispose d’une immunité pendant 5 ans et peu agir sans contraintes venant de l’opinion ou de ses anciens électeurs. L’élection est passée, le produit a été vendu, mais il n’y a pas de service après vente. Le produit n’est ni garanti ni retournable. L’électeur n’a plus aucun moyen d’action.
Le programme n’était pas contractuel. On ne peut donc même pas dire que le produit “dysfonctionne” ou ne marche pas “comme prévu”. En fait, il marche toujours comme prévu. Le deal électoral est toujours “donnez-moi vos voix, et je ferai ce que veux ensuite”. Les moins cyniques diront “je ferai ce qui m’est autorisé par les institutions et par la loi”.
Participer aux élections ne garantit jamais d’influer réellement sur la politique menée par la suite. Les discours et les actes qui permettent d’orienter le choix de l’électeur ne sont pas fiables pour déterminer quelle sera cette politique. François Hollande est une fois encore là pour nous le rappeler.
Un candidat sorti de nulle-part, qui ne penserait pas poursuivre une carrière politique aurait les mains totalement déliées. Parti pour un mandat unique, il n’aurait pas à se préoccuper de son avenir politique dans d’autres élections. Il pourrait faire à peu près ce qui lui plairait, au mépris de l’opinion et de ses promesses électorales. La prudence qu’impose une stratégie à long terme n’étant pas nécessaire pour lui, il pourrait agir encore plus librement qu’un politicien “de carrière”.
Voter ou pas
Dans un contexte aussi engageant, voter à la présidentielle n’est presque pas un acte politique. En fait, si votre seule participation à la vie politique se résume à voter pour un candidat aux élections, j’ai peine à voir en quoi vous vous impliquez dans la vie commune. En quoi vous vous intéressez vraiment à l’intérêt de tous (ou même au votre). En quoi vous avez des convictions politiques, qui vous importent et qui influent sur vos actions.
La politique n’est pas un truc discontinu. C’est pas quelque chose qu’on pratique au hasard du calendrier électoral. Ça n’est pas non plus un truc qui se passerait principalement à la télé ou dans les médias (y compris sociaux). C’est quelque chose qui change nos comportements, ceux de tous les jours. Ça s’inscrit dans nos vies, et l’action politique est une tentative de changer nos vies.
Dès fois, ça suppose de l’argent, du droit, de la technique et de l’investissement militant. Dès fois non. Souvent, la politique c’est un truc que tu fais au supermarché, en choisissant un produit local, bio, halal, cacher, ou végétarien. D’autres fois, c’est en parlant autour de toi d’une asso qui fait des trucs bien, même si t’as pas l’argent pour les soutenir personnellement.
Le vote, comme moyen d’expression politique, ça semble franchement faiblard. C’est presque aussi inefficace que de porter un t‑shirt “Vive le bio” ou “Solidaire des réfugiés”. Si tu fais rien d’autre que porter un t‑shirt, t’aides pas vraiment. Surtout quand le t‑shirt a été fabriqué en Chine dans des conditions déplorables.
Alors pourquoi voter ? Il y a 1001 moyens de faire de la politique sans voter, de façon plus efficace, plus concrète, plus engageante et moins factice. Culpabiliser les abstentionnistes, les voteurs blancs, ceux qui ne votent pas “utile”, c’est bon pour les gens qui jouent aux élections. Qui ont un intérêt personnel à y jouer et à inciter les autres à le faire.
Conclusion
Aux présidentielles 2017, je vote pas. Ça ne veut pas dire que je ne voterai pas à d’autres élections, ou que j’ai un truc contre le vote dans toutes les situations. Mais pour la présidentielle, dans l’état des choses, je ne vois pas pourquoi le faire. Les causes politique qui m’intéressent, celles où je pense que je peux faire quelque chose d’utile, je fais déjà quelque choses pour elles. J’ai rien à attendre d’un gars qui prétend s’intéresser à moi pour que je lui donne un point dans un jeu. Surtout quand le gars n’offre aucune garantie de rien et n’est pas redevable envers quiconque par la suite.