Voyager (loin) sans avion – partie 1

J’ai tes­té d’al­ler au Maroc sans avion depuis la France. Dans cet article je fais un mini-retour d’ex­pé­rience sur mes moti­va­tions, la pré­pa­ra­tion du voyage et com­ment se sont pas­sés les tra­jets (aller et retour). Un article “par­tie 2” se foca­li­se­ra sur les détails et mon res­sen­ti lors du voyage.

Table des matières

Refuser l’avion pour l’écologie… ou pas

Commençons par une contra­dic­tion. Oui, je refuse l’a­vion pour des rai­sons prin­ci­pa­le­ment éco­lo­giques. Sauf que, non, je ne suis pas cer­tain que ce soit vrai­ment le choix le plus éco­lo­gique. Et je le sais depuis le début.

Avant de me déci­der, j’ai uti­li­sé un cal­cu­la­teur d’im­pact, pour connaître les émis­sions d’un vol entre ma ville de départ et ma ville d’ar­ri­vée. Résultat : 900 kg d’é­qui­valent CO2. Mais un tra­jet sans avion, c’é­tait 1,8 tonne d’é­qui­valent CO2, pour la par­tie bateau à elle seule.

Ça ne m’a pas plus sur­pris que ça, parce que j’a­vais enten­du dans un pod­cast que contre toute attente, c’é­tait le bateau le plus pol­luant. Malheureusement, je ne retrouve pas la source (ni l’é­pi­sode exact, ni le rap­port cité). En y réflé­chis­sant, c’est peut-être pas délirant.

Un fer­ry de trans­port de pas­sa­gers, ça tourne au pétrole aus­si, mais c’est plus gros et plus lourd qu’un avion ; pour un tra­jet qui dure plus long­temps. Le fer­ry trans­porte plus de gens par voyage, mais ces gens là ils ont 98% du temps leur véhi­cule moto­ri­sé dans leurs bagages… Véhicule qui est régu­liè­re­ment un camion ou une camion­nette de marchandises.

Reste que j’a­vais pas de source fiable, que le cal­cu­la­teur d’im­pact en fer­ry n’é­tait pas cadré pour mes besoins, que mon trans­por­teur mari­time annon­çait 1,8 tonne d’im­pact CO2. Soit pas loin des 2 tonnes maxi­mum qu’on devrait consom­mer par an et par per­sonne, pour res­pec­ter l’ac­cord de Paris et gar­der un monde vivable pour tous.

J’ai quand même pris le bateau. Parce qu’il n’y a pas que l’im­pact CO2 dans mon choix. L’aviation, c’est aus­si un sys­tème qui donne l’illu­sion qu’on peut aller à des mil­liers de kilo­mètres en 2h pour 40€. Un sys­tème qui sup­prime l’ex­pé­rience de la dis­tance et fabrique un ima­gi­naire le monde entier est au pire à 24h de tra­jet. Spoiler : tout ça relève d’une arnaque.

Les choses ne sont pas à côté. Ça coûte cher en temps, en thunes et en res­sources natu­relles de tra­ver­ser la pla­nète. Pour qu’une infime mino­ri­té fasse des tra­jets rapides et pas cher en avion, il faut de la triche à plein d’é­tapes de la chaîne de valeur. Par exemple quand on sous-taxe le kéro­sène des avions.

Donc j’ai signé pour un tra­jet de 48h.

Préparer le voyage

Mon objec­tif est de par­tir de Paris en France et d’ar­ri­ver à Rabat au Maroc. C’est plus de 2 200 km selon Google Maps (parce qu’OpenStreetMap n’ar­rive pas faire le tra­jet com­plet).

Contrainte : le tra­jet doit se faire avec le mini­mum de voi­ture. D’une part, j’ai ni de per­mis ni de véhi­cule ; d’autre part, je suis malade en voi­ture et en bus. Miracle, je tolère le train.

Construire un trajet

Aujourd’hui, les outils de recherche de tra­jets ne sont pas faits pour les tra­jets longs et com­plexes en train. Encore moins si vous ten­tez de com­bi­ner train et un autre moyen de transport.

Il y a quelques trains de nuit, il y a un pass pour faire plu­sieurs trains en Europe (Eurail.eu), mais c’est pas tou­jours adap­té. La demande est tel­le­ment faible que l’ac­cord entre la SNCF et la RNFE (son équi­valent espa­gnol) pour faci­li­ter les voyages inter­na­tio­naux a été dis­sous et son site sup­pri­mé.

Après avoir ima­gi­né des­cendre jus­qu’en Espagne et prendre un fer­ry d’une heure vers Tanger au Maroc, je me rends à l’é­vi­dence : c’est ingé­rable. Ça sup­pose de chan­ger de train plu­sieurs fois en Espagne, de ne pas lou­per ses connexions, et de dor­mir 2 nuits en Espagne. Long, hasar­deux et très cher.

Conclusion : il faut mini­mi­ser le nombre d’é­tapes et de chan­ge­ments. Ça veut dire moins de tra­jets inter­mé­diaires, mais des tra­jets plus longs.

Je me résigne à faire 40h de bateau pour réduire mon nombre de connexions au minimum :

  1. Paris – Marseille en TGV (3 h 30)
  2. Marseille – Tanger Med en fer­ry (40 h)
  3. Tanger Med – Tanger Ville en taxi (50 min)
  4. Tanger Ville – Rabat Agdal en TGV (1 h 20)

À quoi s’a­joutent les tra­jets entre mon domi­cile et la gare pari­sienne, puis entre la gare de Rabat et le domi­cile de ma famille. Ça semble tri­vial, mais je suis par­ti entre deux grèves (vive la grève !) et les trans­ports en com­mun en Île-de-France sont très dégradés.

Anticiper la partie en bateau

D’abord regar­dez les tra­ver­sées qui existent et leurs fré­quences. Pour moi, il y avait des Sète-Tanger et des Marseille-Tanger. Mais la fré­quence n’est pas folle, donc pour mes dis­po­ni­bi­li­tés c’é­tait uni­que­ment départ de Marseille. Et encore, il n’y avait qu’une tra­ver­sée par semaine.

Une fois que vous avez un billet de bateau, infor­mez-vous sur le bateau en ques­tion (son nom devrait être sur le billet). Le site de votre com­pa­gnie le pré­sente pro­ba­ble­ment en détails, mais sinon il y a des sites qui pré­sentent les navires.

C’était très utile avant le départ de savoir que ma cabine avait 4 cou­chettes, des draps, une douche et des toi­lettes inté­grées. Idem, je savais déjà qu’il y avait un bar, un res­tau­rant, un che­nil, du Wi-Fi payant, etc. Tout ça per­met d’a­dap­ter sa valise. Perso, j’ai choi­si l’op­tion cabine par­ta­gée avec vue sur la mer. Plus cher que sans fenêtre, mais plus facile à vivre.

Sur la tra­ver­sée Marseille-Tanger, la plu­part des gens prennent une cabine. Il y a une option “Filez-moi juste un siège incli­nable pour 50 €”, mais c’est mino­ri­taire. Ça implique de lais­ser ses valises à la consigne, de se laver dans les douches com­munes (prendre des tongs) et de dor­mir mal, avec un sac de cou­chage à ame­ner soi-même.

J’ai choi­si de ne pas prendre de repas à bord : 15 € par ser­vice pour une qua­li­té can­tine et pas vegan, c’est non. J’avais donc pré­vu pour 4 repas “pique-nique” : un par demi-jour­née sur le bateau. L’essentiel est d’a­voir des choses qui se conservent sans fri­go et de l’eau. Au pire, la cabine a de l’eau potable et le bar prend la carte bleue, donc pas de souci.

À la réser­va­tion, il est aus­si pos­sible de payer pour avoir du Wi-Fi pen­dant la tra­ver­sée. Mon conseil : pre­nez soit le Wi-Fi pour tout le tra­jet (envi­ron 20 €) soit juste 1h si vous devez contac­ter des gens sur place en avance. L’heure ache­tée est à consom­mer en une fois, donc n’es­pé­rez pas l’é­co­no­mi­ser et la consom­mer par petits bouts.

Attention aus­si à bien véri­fier d’où part et arrive votre bateau. J’ai décou­vert tar­di­ve­ment que mon fer­ry accos­tait à Tanger Med, le port inter­na­tio­nal avec tous les car­gos… Qui est en fait à 50 km de la ville de Tanger.

Le voyage en lui-même

J’ai choi­si de res­ter 8,5 jours sur place, pour 6 jours pré­vus de tra­jet. Une demi-jour­née pour arri­ver à Marseille, un départ pré­vu à 15h pour une arri­vée le sur­len­de­main, puis le temps de faire Tanger-Rabat. Si on compte en heures, ça ne fait que 48h, mais en vrai on passe 3 jours en tran­sit. Le jour du départ, le jour sur le bateau et le jour de l’arrivée.

J’avais pris beau­coup de lec­ture et des pod­casts, ça s’est bien pas­sé. Si vous êtes du genre social, vous pou­vez aus­si dis­cu­ter avec les autres “pié­tons”, les per­sonnes qui prennent le bateau sans voi­ture, et avec qui vous allez for­cé­ment pas­ser quelques heures. Si mes aven­tures détaillées vous inté­ressent j’ai com­men­cé un second article (à paraître) axé sur mon expé­rience subjective.

Le bateau

La com­pa­gnie va vous deman­der de vous poin­ter à la gare mari­time plu­sieurs heures avant le départ. En tant que pié­ton ou pié­tonne, vous allez attendre très long­temps, jus­qu’à ce qu’une navette vous amène au bateau. Ne vous foca­li­sez pas trop sur les horaires que vous donne la com­pa­gnie : ils sont calés pour ceux et celles qui voyagent avec une voiture.

Il n’y a que 2 vraies contraintes : le départ de la navette (qui dépend de si tous les pié­tons et pié­tonnes sont arrivé·es à la gare mari­time) et la fer­me­ture de l’en­re­gis­tre­ment (pas­se­port, déli­vrance des billets). 

Étant don­né qu’il n’y a pas beau­coup de “pié­tons”, ces horaires res­tent assez souples. De toute façon, la com­pa­gnie sait que vous devez arri­ver et a votre télé­phone pour vous appe­ler. Vu qu’il y a des dizaines de voi­tures à embar­quer en plus de vous, vous n’êtes pas le plus com­pli­qué à gérer. Ceci dit, j’ai voya­gé hors sai­son (février) : peut-être qu’en été c’est différent.

Une fois à bord, vous êtes à l’hôtel. Si vous aviez pris le train vers l’Espagne, vous auriez for­cé­ment payé une nuit d’hôtel ; ben là, vous dor­mez à bord. Ça a une consé­quence posi­tive : comme à l’hô­tel, la com­pa­gnie ne vous met­tra pas dans une chambre par­ta­gée sauf cas de néces­si­té ultime. Vous pou­vez donc réser­ver une chambre par­ta­gée… et voya­ger seul·e, tran­quille, tant que la capa­ci­té du bateau per­met d’é­vi­ter de mettre des incon­nus dans la même cabine.

Si vous avez le mal de mer, croi­sez les doigts pour ne pas avoir une cabine trop à l’a­vant. Et n’hé­si­tez pas à sor­tir vous aérer sur le pont. Personne ne vous incite à le faire et il fau­dra pas­ser une porte “Évacuation d’ur­gence”, mais l’ac­cès au pont exté­rieur est bien autorisé.

Les dernières étapes de l’aller

Arrivé à Tanger Med, j’ai pris un taxi. C’est à ce moment qu’a­voir déjà récu­pé­ré des dirhams maro­cains à Paris a été utile. Mais au pire, il y avait un bureau de change à Tanger Med (c’est mar­qué sur leur site). Là, le vrai truc c’est que ma famille sur place m’a­vait déjà fixé un taxi, avec un prix déjà vali­dé en amont. Donc zéro sur­prise et plu­tôt pas cher (300 dh pour 50 bornes, soit 30 €).

Arrivé à la gare fer­ro­viaire de Tanger Ville, il y a un train à grande vitesse toutes les heures vers Rabat et Casablanca. La suite est tri­viale : ache­ter un billet (200 dh en 2e classe), rejoindre le hall d’at­tente du Al Boraq, puis mon­ter à bord. Le train Al Boraq est fabri­qué par Alstom, c’est exac­te­ment comme un TGV.

Le retour (et les soucis)

Le retour consiste à refaire la même chose dans l’autre sens. Les mêmes conseils s’ap­pliquent, en par­ti­cu­lier celui de ne pas s’ac­cro­cher trop aux horaires d’embarquement.

Au retour, on nous deman­dait d’être là 6h avant le départ, mais j’ai croi­sé une fille qui a débou­lé 4h avant sans pro­blème. On lui a dit qu’elle était en retard, mais elle est passée.

J’en par­le­rai peut-être en détails dans un autre billet : le retour a été apo­ca­lyp­tique. Le bateau a eu 9h de retard au départ et 18h à l’ar­ri­vée. Un cas excep­tion­nel, mais pas impossible.

Pendant près de 7h, les gars de la gare mari­time n’ont aucune info à nous don­ner et nous disent que ça fini­ra par aller. Seule l’ap­pli­ca­tion Marine Traffic et le Wi-Fi de la gare nous per­met­tait de savoir où était notre bateau.

Une fois par­tis, on n’a pas pu rat­tra­per com­plè­te­ment notre retard. Mais sur­tout, la police aux fron­tières a refu­sé qu’on accoste le ven­dre­di soir. On a donc dû attendre le same­di matin pour débarquer.

Concrètement, ça veut dire chan­ger mes billets de train vers Paris, avec du Wi-Fi médiocre, depuis un Fairphone 2, sur un bateau. Et comme les SMS ne passent pas en pleine mer, le paie­ment sécu­ri­sé avec vali­da­tion en 2 étapes ne marche pas.

Tout ça pour apprendre plu­sieurs jours plus tard que la com­pa­gnie (La Méridionale) ne rem­bourse rien (même pas les frais sup­plé­men­taires induits). Motif : c’est un retard dû à la météo, donc ils sont exo­né­rés de remboursement. 

Une expli­ca­tion qui marche à tous les coups, vu l’ab­sence d’in­fo. Mais qui marche moins bien quand on a pas­sé des heures à regar­der d’autres navires accos­ter à Tanger Med et en repar­tir – grâce à l’ap­pli Marine Traffic – alors que notre navire était au large immobile.

Le budget

Combien tout ça a coû­té ? Je vais détailler uni­que­ment les dépenses de trans­ports et celles de nour­ri­ture pen­dant les trajets. 

Je ne peux pas me pro­non­cer sur les coûts d’hé­ber­ge­ment, de repas sur place et d’é­ven­tuels achats divers. Pour cause : j’é­tais logé et nour­ri dans ma famille.

Dépenses de trans­portsCoûtTotal
TGV Ouigo entre Paris et Marseille75 € × 2150 €
Navire entre Marseille et Tanger Med500 €500 €
Taxi entre Tanger Med et Tanger 30 € × 260 €
Train entre Tanger et Rabat20 € × 240 €
Total750 €

Dans le détail, le billet de bateau aurait pu me coû­ter moins cher. J’ai pris un billet annu­lable, une cabine avec fenêtre, et une option Wi-Fi.

Pour le train retour, je note le prix du billet ini­tial. En vrai, j’ai eu dû chan­ger ma réser­va­tion et payer la dif­fé­rence, plus des frais (+70 € en plus).

Dépenses de nour­ri­tureCoûtTotal
Pique-nique “4 repas” (aller)25 € 25 €
Bar du navire5 × 630 €
Repas à Marseille après arrivée15 €15 €
Total70 €

Si on s’en tient au pique-nique, on peut vrai­ment réduire les dépenses de nour­ri­ture. Mais j’a­vais envie de boire chaud et de sucre : je suis pas­sé au bar une fois par jour prendre du thé et des jus.

Tout addi­tion­né ça donne 820 €. Mais je n’a­vais pas d’hé­ber­ge­ment et pas de nour­ri­ture à payer, pour 8,5 jours sur place. Et j’ai pas ajou­té les frais impré­vus liés au retard du navire. En vrai, tout ça m’a plu­tôt coû­té entre 900 et 1 000 €.

Conclusion

Est-ce que je le refe­rais ? Oui. J’ai de la famille au Maroc et pas le choix si je veux les voir chez eux. La rai­son de mon voyage, c’é­tait d’al­ler voir ma famille, après plus de 10 ans où c’est tou­jours eux qui avaient fait le déplacement.

Est-ce que j’i­rais si loin pour des vacances ? Même pas en rêve. Y’a des endroits magni­fiques à voir beau­coup plus près et beau­coup moins cher. Et puis quoi, les gens veulent par­tir au bout du monde et ils connaissent sou­vent même pas la fou­tue ville où ils vivent. Presque toutes les semaines je découvre un coin de Paris où j’ai jamais mis les pieds.

On peut vivre sans prendre l’a­vion pour le loi­sir. On a des tech­nos qui nous per­mettent de tra­vailler avec des gens à l’autre bout du monde. L’avion est un luxe dont on peut se passer.

Cela dit j’ai­me­rais bien avoir des sources sérieuses sur sa com­pa­rai­son avec un bateau, et à quelles condi­tions l’un serait à pré­fé­rer à l’autre. Pas pour choi­sir de prendre l’a­vion : pour ma curio­si­té personnelle.