Qu’est-ce que l’exploitation des animaux ?

Selon Wikipédia, le véga­nisme est “un mode de vie consis­tant à ne consom­mer aucun pro­duit ou ser­vice issu des ani­maux ou de leur exploi­ta­tion”. Mais c’est quoi, pré­ci­sé­ment, cette his­toire d’exploitation ?

Cette notion d’ex­ploi­ta­tion m’in­trigue. Je sens un truc louche. Quelque chose qui alerte mon sens phi­lo­so­phique de l’a­rai­gnée. Ouvrons les dic­tion­naires pour voir.

Exploitation (wiktionnaire)

  1. Action d’exploiter, de faire valoir une chose, d’en tirer le pro­fit du produit
  2. (Figuré) Action de tirer de quelque chose un pro­fit illi­cite ou excessif

Exploiter, c’est soit “tirer du pro­fit”, soit “tirer un pro­fit exces­sif”. Il y a une conti­nui­té entre les 2 sens : des deux cotés on extrait de la la valeur, on génère un profit.

Mais au sens figu­ré du mot, on parle d’un pro­fit illi­cite ou exces­sif. Il y a une forme d’a­bus, de dépas­se­ment d’une limite (légale ou autre). L’exploitation devient quelque chose de néga­tif, de condamnable.

La cri­tique de l’ex­ploi­ta­tion au sens figu­ré (sens 2) ne touche pas d’emblée l’ex­ploi­ta­tion au sens propre (sens 1). On peut s’op­po­ser à l’ex­ploi­ta­tion exces­sive des ani­maux (sens 2), sans être contre l’ex­ploi­ta­tion tout court (sens 1).

Exploitation (Larousse)

  1. Action de mettre en valeur quelque chose en vue d’en tirer un pro­fit (un sol, un cinéma)
  2. Action d’as­su­rer la pro­duc­tion d’une matière, d’un mine­rai, d’un pro­duit, etc. (une mine, un puits de pétrole)
  3. Lieu où l’on met en œuvre les moyens maté­riels néces­saires à la pro­duc­tion (une petite exploitation)
  4. Mise à pro­fit métho­dique de quelque chose (exploi­ta­tion du succès)
  5. Action de tirer un pro­fit abu­sif de quel­qu’un ou de quelque chose (exploi­ta­tion de la jeunesse)

Là encore, on retrouve une divi­sion entre l’ex­ploi­ta­tion comme mise à pro­fit (sens 1, 2, 4) et l’ex­ploi­ta­tion comme mise à pro­fit abu­sive (sens 5). La défi­ni­tion du Larousse apporte aus­si de nou­veaux éléments :

l’exploitation comme objet concret

On dit d’une ferme qu’elle est une “exploi­ta­tion agri­cole”. C’est un sens tri­vial, mais ça va mieux en le pré­ci­sant. Il y a un sens d’ex­ploi­ta­tion qui désigne un objet concret du monde. L’exploitation est le lieu où est réa­li­sée l’ex­ploi­ta­tion, la production.

l’exploitation – production

Alors que le Wiktionnaire réunis­sait l’ex­ploi­ta­tion comme mise à pro­fit / pro­duc­tion / extrac­tion de valeur en un seul sens, le Larousse divise. La per­ti­nence à sépa­rer les sens (1), (2) et (4) ne saute pour­tant pas aux yeux.

Quelle dif­fé­rence entre l’ex­ploi­ta­tion du sol pour le blé et celle d’une mine pour le mine­rai ? Pourquoi réser­ver l’as­pect métho­dique au sens (4) ? Faute de réponse saillante, je pré­fère gar­der ces accep­tions fusionnées.

On a donc pour l’ins­tant 3 sens d’ex­ploi­ta­tion : l’ex­ploi­ta­tion-pro­duc­tion, l’ex­ploi­ta­tion-abus, et l’ex­ploi­ta­tion-lieu. Les ani­maux sont exploi­tés aux 2 pre­miers sens, et ils vivent sou­vent dans une exploi­ta­tion au 3e (qu’on l’ap­pelle zoo, cirque, ferme ou animalerie).

Exploitation (TLF)

On retrouve encore dans le Trésor de la Langue Française une sépa­ra­tion binaire, mais cette fois ci entre l’ex­ploi­ta­tion au sens “indus­triel, agri­cole, com­mer­cial” et au sens figuré.

  1. INDUSTR., AGRIC., COMM.
    1. Action d’ex­ploi­ter, de faire valoir en vue d’une production
    2. Bien, affaire exploité(e) ; lieu où se fait la mise en valeur ; ensemble des moyens maté­riels néces­saires à la production.
  2. Au figu­ré
    1. Mise à pro­fit, uti­li­sa­tion de quelque chose
    2. (Péjoratif) Action de tirer abu­si­ve­ment pro­fit de quel­qu’un ou de quelque chose

Par rap­port au Wiktionnaire, c’est plus pré­cis. Par rap­port au Larousse, c’est un plus orga­ni­sé. Mais on est glo­ba­le­ment dans le même type de des­crip­tion que plus haut. Le TLF pré­cise ensuite 2 sous-sens par­ti­cu­liers de l’ex­ploi­ta­tion B2, liés à la théo­rie marxistes.

Je ne les reprends pas ici, vu qu’ils ne sont pas expli­ci­te­ment liés à l’ex­ploi­ta­tion des ani­maux. Ils parlent de l’ex­ploi­ta­tion de l’homme par l’homme.

En quels sens exploite-t-on les animaux ?

Maintenant qu’on voit un peu mieux ce qu’est l’ex­ploi­ta­tion, en quoi les ani­maux sont-ils exploi­tés ? Et est-ce que ça pose un problème ?

Au sens exploi­ta­tion-abus, l’ex­ploi­ta­tion est d’emblée condam­nable. C’est une pra­tique exces­sive, qui va au-delà d’une limite. L’exploitation-abus, exploite “trop”. Elle fait pas­ser d’une exploi­ta­tion accep­table à une injus­tice, à un com­por­te­ment illé­gi­time. Quelque soit l’ob­jet exploi­té, l’ex­ploi­ta­tion-abus est mora­le­ment contestable.

Il n’y a aucun doute que les ani­maux sont exploi­tés ain­si. Le sys­tème concen­tra­tion­naire des éle­vages, la tue­rie à la chaîne dans les abat­toirs, les scru­pules absents ou feints à faire souf­frir les ani­maux pour les motifs les plus futiles : les ani­maux sont exploi­tés abusivement.

Là où ça devient coton, c’est pour l’ex­ploi­ta­tion-pro­duc­tion. On sait tous que les ani­maux sont exploi­tés pour pro­duire (che­val de trait, lapin de labo, ani­maux de cirque, etc.). Mais est-ce que c’est illé­gi­time ? Est-ce qu’il y a de solides rai­sons de refu­ser l’ex­ploi­ta­tion des animaux ?

La ques­tion se pose si on veut uti­li­ser des ani­maux pour les faire tra­vailler. Pas pour les faire tra­vailler façon agri­cul­ture indus­trielle. Pour les faire tra­vailler tout court. Y‑compris en les trai­tant au mieux.

La ques­tion se pose aus­si si on veut vivre avec des ani­maux. Par exemple en rédui­sant la liber­té d’un ani­mal afin qu’il reste chez nous, ou pas trop loin. Et sur­tout qu’il se ramène quand on veut lui faire des caresses.

Les écueils à éviter

Si on cherche des rai­sons “solides” pour ou contre l’ex­ploi­ta­tion, ces rai­sons doivent répondre à cer­tains cri­tères. Sans quoi on débi­te­ra inévi­ta­ble­ment des conne­ries. Exemple :

L’exploitation-pro­duc­tion des ani­maux est illé­gi­time, parce que toute exploi­ta­tion-pro­duc­tion est illégitime

C’est une super conne­rie. Parce qu’on vient d’im­pli­quer qu’il était illé­gi­time 1) de faire tra­vailler quel­qu’un ; 2) de cueillir des fruits tom­bés d’un arbre ; 3) d’ex­ploi­ter des com­po­sants informatiques .

De façon géné­rale, on vient de s’op­po­ser à l’u­ti­li­sa­tion de notre envi­ron­ne­ment et de nous mêmes pour en faire des choses. Y com­pris pour satis­faire nos besoins. #FAIL.

Si vrai­ment l’ex­ploi­ta­tion des ani­maux est indé­fen­dable, elle doit l’être pour des rai­sons qui per­mettent de comprendre :

  • pour­quoi l’ex­ploi­ta­tion des humains par les humains est acceptable
  • pour­quoi l’ex­ploi­ta­tion des non-humains par les humains ne l’est pas
  • si cer­tains rap­ports entre ani­maux consti­tuent ou non de l’ex­ploi­ta­tion (para­si­tisme, mutua­lisme, com­men­sa­lisme)
  • si une exploi­ta­tion des ani­maux par d’autres ani­maux serait acceptable

Conclusion

Le che­min intel­lec­tuel pour s’op­po­ser à l’ex­ploi­ta­tion des ani­maux ne s’an­nonce vrai­ment pas facile. Le mot exploi­ta­tion recouvre une réa­li­té très vaste, et il est peut-être impos­sible de “ne pas exploi­ter” d’une façon ou d’autre.

D’un point de vue rhé­to­rique, “l’ex­ploi­ta­tion des ani­maux” fait un bon slo­gan. Mais phi­lo­so­phi­que­ment, j’ai du mal à y croire. Sauf à res­treindre la for­mule à son aspect le plus bateau : “arrê­tons d’ex­ploi­ter abu­si­ve­ment des animaux”.

Si on en reste là, c’est vrai que l’ex­ploi­ta­tion des ani­maux est à pros­crire. Parce que l’ex­ploi­ta­tion-abus, c’est mal de toute façon. Intellectuellement, ça tourne en rond.

Le fait de défi­nir le véga­nisme par l’ex­ploi­ta­tion intro­duit une ambi­guï­té. Selon l’in­ter­pré­ta­tion, le véga­nisme se bat contre :

  • un abus en tant que tel condam­nable, indé­pen­dam­ment de son objet
  • un des élé­ments fon­da­men­taux de notre rap­port au monde

Ça vend pas du rêve philosophique.