Le zéro déchet ne sert-il à rien ?

Une étude influente sur l’im­pact des éco­gestes estime que le zéro déchet ne per­met d’é­vi­ter que 90 kg de CO2 par Français et par an. Un chiffre insi­gni­fiant, mais qui s’ap­puie sur une défi­ni­tion erro­née du zéro déchet. Explications.

En juin 2019, le cabi­net de conseil Carbone 4 publiait une étude sur l’im­pact des “petits gestes du quo­ti­dien” et des chan­ge­ments indi­vi­duels dans l’empreinte car­bone des Français et Françaises. Depuis, les conclu­sions de ce docu­ment de 21 pages ont été reprises de façon régu­lière dans les médias fran­çais – y com­pris après que le 6e rap­port du GIEC a pro­po­sé des chiffres dif­fé­rents sur le même sujet début 2022. Ce qui m’intéresse ici, c’est l’in­com­pré­hen­sion presque totale que Carbone 4 mani­feste vis-à-vis de la démarche “zéro déchet, zéro gas­pillage”.

Selon ce cabi­net spé­cia­li­sé en stra­té­gie cli­mat, le zéro déchet cor­res­pon­drait uni­que­ment à la sup­pres­sion des embal­lages ména­gers (étude Faire sa part ?, p. 8). La contri­bu­tion du zéro déchet à la baisse des émis­sions de CO2 indi­vi­duelles serait alors de 0,09 tonne de CO2 équi­valent par per­sonne et par an (soit 90 kg).

Cela ferait du zéro déchet l’a­vant-der­nier éco­geste en termes d’im­pact, juste après l’u­ti­li­sa­tion d’am­poules LEDs dans le loge­ment (moins 0,02 tCO2/pers/an). Par com­pa­rai­son, l’é­co­geste le plus effi­cace serait d’a­dop­ter un régime végé­ta­rien (moins 1,12 tCO2e), ce qui contri­bue­rait pour près de la moi­tié à la baisse des émis­sions impu­tables aux “petits gestes du quo­ti­dien” (2,8 tCO2e en tout).

Deux graphiques.
Figure 1 : Réductions de CO2 induites par les gestes indi­vi­duels, en tonne de CO2 équi­valent (Faire sa part ?, p.9)

Graphique n°1 : Total de la baisse (2,8 tonnes de CO2 équi­valent), agré­gé par postes. Alimentation : 46% de la baisse totale. Mobilité : 31%. Biens et ser­vices : 17%. Logement : 7%.

Graphique n°2 : Détail de la baisse pour les 10 actions prises en compte, en tonne de CO2 équi­valent par per­sonne et par an : 

  • Régime végé­ta­rien (1,12)
  • Vélo pour les tra­jets cours (0,32)
  • Covoiturage sur tous les tra­jets (0,27)
  • Ne plus prendre l’a­vion (0,27)
  • Moins de vête­ment neufs (0,22)
  • Manger local (0,17)
  • Thermostat (0,16)
  • Électroménager et hi-tech d’oc­ca­sion (0,16)
  • Zéro déchet et gourde (0,09)
  • LEDs dans loge­ment (0,02)

Chaque action est de plus rat­ta­chée à un poste :

  • Alimentation : régime végé­ta­rien, man­ger local
  • Mobilité : vélo, covoi­tu­rage, et ne plus prendre l’avion
  • Biens et ser­vices : moins de vête­ments neufs, élec­tro­mé­na­ger et hi-tech d’oc­ca­sion, zéro déchet
  • Logement : ther­mo­stat, LEDS

Pourtant, l’é­tude de Carbone 4 évoque plu­sieurs actions qui relèvent du zéro déchet sans les iden­ti­fier comme telles : ache­ter trois fois moins de vête­ments de neufs (moins 0,22 tCO2e), ou ache­ter tout son élec­tro­mé­na­ger et sa high-tech d’oc­ca­sion (moins 0,16 tCO2e). Réduire sa consom­ma­tion de neuf fait par­tie inté­grante de la démarche zéro déchet, qui défend le réem­ploi et l’al­lon­ge­ment de la durée de vie des objets. L’association phare sur le sujet, Zero Waste France, pro­pose d’ailleurs depuis 2018 un défi “Rien de neuf” cen­tré sur l’u­sage de pro­duits d’occasion.

Au regard de cela, la par­ti­ci­pa­tion du zéro déchet à la réduc­tion des émis­sions de CO2 devrait au mini­mum être de 0,47 tCO2/pers/an. Ce qui en ferait le 2e pôle de réduc­tion selon les chiffres de Carbone 4, der­rière le végé­ta­risme, mais devant l’a­dop­tion du vélo pour les tra­jets courts (moins 0,32 tCO2e).

Version modifiée de l'image précédente (Figure 1).
Figure 2 : Baisse des émis­sions, modi­fiée pour agré­ger les actions zéro déchet 

Graphique n°1 : inchangé. 

Graphique n°2 : les trois actions zéro déchet ont été agré­gées sous “zéro déchet recons­ti­tué”. Elles cor­res­pondent à 0,47 tCO2 de baisse des émis­sions. On constate que le poste Biens et ser­vices s’i­den­ti­fie désor­mais au zéro déchet.


Une double incompréhension délétère

Le suc­cès de l’é­tude de Carbone 4 n’est peut-être pas étran­ger à la double incom­pré­hen­sion du zéro déchet qu’on retrouve par­tout dans la presse fran­çaise et chez les influen­ceurs.

D’abord, faire du zéro déchet un éco­geste, quand il s’a­git d’a­bord d’une démarche poli­tique axée sur la réor­ga­ni­sa­tion de nos modes de pro­duc­tion. Et à sup­po­ser qu’on défi­nisse – à tort – le zéro déchet par la simple sup­pres­sion des embal­lages, on ne peut pas, comme Carbone 4, limi­ter la démarche aux embal­lages ména­gers (Faire sa part ?, p. 8 note 9).

Le zéro déchet s’in­té­resse aux embal­lages sur toute la chaîne de pro­duc­tion. On peut citer le pro­jet HubVrac du Réseau Vrac, pour réduire les embal­lages en amont des maga­sins grand public. L’entreprise Pandobac, qui pro­pose des solu­tions logis­tiques zéro déchet aux pro­fes­sion­nels. Ou encore le Réseau Consigne, qui pro­meut un retour géné­ra­li­sé de la consigne du verre. À ce titre l’angle de Carbone 4 les conduit à invi­si­bi­li­ser une par­tie consé­quente du zéro déchet.

Ensuite, en dis­so­ciant zéro déchet et pré­fé­rence pour les pro­duits d’oc­ca­sion, le cabi­net co-fon­dé par Jean-Marc Jancovici ampute le mou­ve­ment d’un ces prin­cipes cen­traux. Le zéro déchet pro­meut en effet la réuti­li­sa­tion et la mutua­li­sa­tion, qui per­mettent d’é­vi­ter que des objets au lourd “sac-à-dos éco­lo­gique” ne servent fina­le­ment que très peu. La réuti­li­sa­tion se retrouve d’ailleurs dans la méthode des 5R, qui résume l’es­prit du mouvement :

  1. Refuser ce dont on n’a pas besoin
  2. Réduire sa consom­ma­tion de ressources
  3. Réutiliser ce qui existe déjà
  4. Recycler les matières
  5. Rendre à la terre les déchets organiques

En pro­po­sant une vision extrê­me­ment par­tielle du “zéro déchet, zéro gas­pillage”, l’é­tude Faire sa part ? de Carbone 4 contri­bue mal­heu­reu­se­ment à dif­fu­ser le cli­ché d’un mou­ve­ment cen­tré sur l’in­di­vi­du, le quo­ti­dien et l’alimentaire.

Si une part de cette pré­sen­ta­tion est due au thème de l’é­tude en tant que tel, il est regret­table que même l’as­pect indi­vi­duel du zéro déchet ne soit pas com­pris dans sa glo­ba­li­té. Quant à son aspect col­lec­tif, struc­tu­rel et poli­tique, c’est en fait le cœur du mou­ve­ment, comme je l’ex­pli­quais dans un dans un billet pré­cé­dent.