Faut-il jeter le zéro déchet à la poubelle ?

Mal com­pris et oublié du grand public, le “zéro déchet, zéro gas­pillage” est main­te­nant cri­ti­qué par propres mili­tants et mili­tantes. On fait le tri de ce qui mérite d’être gardé.

Au sein du mou­ve­ment, des voix s’é­lèvent pour aller “au-delà” du zéro déchet. Le sujet serait trop niche, trop limi­té : coin­cé à par­ler déchet, recy­clage ou inci­né­ra­tion, il nous blo­que­rait pour dis­cu­ter bio­di­ver­si­té, jus­tice glo­bale, ou “tran­si­tion” au sens large. D’autres pro­posent d’a­ban­don­ner le zero waste, per­çu comme inef­fi­cace, pas­sé de mode et peu mobi­li­sa­teur. Mal com­pris, enser­ré dans des conno­ta­tions indi­vi­dua­listes et des confu­sions sur son mes­sage, ce serait un outil obso­lète, bon pour la casse. J’ai moi-même cri­ti­qué le zéro gas­pillage dans les articles pré­cé­dents : j’ai ques­tion­né ses défauts concep­tuels, sa socio­lo­gie blanche bour­geoise, sa colo­nia­li­té latente, et sa capa­ci­té à fédé­rer.

Après une phase de suc­cès visible et une appa­rente dis­pa­ri­tion, le zéro déchet semble aujourd’­hui en dif­fi­cul­té auprès de celles et ceux qui d’or­di­naire le défendent. De quoi le mettre à la pou­belle ? Pour le savoir, je vais pré­sen­ter six façons de défi­nir le zero waste et les confron­ter aux trois cri­tiques ci-dessus.

“Zéro gas­pillage” désigne au moins cinq choses : un pro­jet de socié­té, des méthodes pour le réa­li­ser, des pra­tiques qui les concré­tisent, une idéo­lo­gie qui struc­ture l’en­semble, et un mou­ve­ment qui pro­meut le tout. J’en ajoute un sixième : le zero waste est un prin­cipe d’u­ni­té. Il crée de la cohé­rence entre des mou­ve­ments, des pra­tiques et des pro­jets qui n’en auraient pas sinon.

Je vais détailler, mais on peut déjà voir les connexions entre chaque sens dans le tableau suivant.

SignificationDescription
Le zéro gas­pillage comme pro­jet politiqueProjet de construire un modèle de socié­té sobre et éman­ci­pa­trice, par l’é­li­mi­na­tion du gas­pillage systémique.
Le zéro gas­pillage comme de méthodesProcédés qui struc­turent l’ac­tion vers la socié­té zero waste et aident à choi­sir les pra­tiques à adop­ter selon le contexte.
Le zéro gas­pillage comme pratiquesEnsemble d’ac­tions habi­tuelles qui illus­trent une méthode zero waste et font concrè­te­ment avan­cer le pro­jet politique
Le zéro gas­pillage comme idéologieEnsemble d’i­dées arti­cu­lées entre elles qui donnent une struc­ture intel­lec­tuelle au pro­jet et aux méthodes.
Le zéro gas­pillage comme mouvementEnsemble de per­sonnes qui pro­meuvent le pro­jet poli­tique, les méthodes, des pra­tiques, et l’idéologie.
Le zéro gas­pillage comme prin­cipe d’unitéFaçon de voir qui rend expli­cite en quoi un pro­jet, une méthode, une pra­tique ou un mou­ve­ment per­met de réduire le gas­pillage à la source.

1. Un projet de société

Le zéro gas­pillage est d’a­bord un pro­jet poli­tique de chan­ge­ment pro­fond les socié­tés contem­po­raines : des normes aux fon­de­ments, des pra­tiques col­lec­tives aux actions indi­vi­duelles. Il pro­pose une socié­té idéale et une façon géné­rale d’y arri­ver. Son approche consiste à réduire le gas­pillage à la source, en regar­dant la fina­li­té et les étapes de la pro­duc­tion sur tout le cycle de vie.

Arrêtons-nous sur la socié­té idéale. On insiste sur le vrac, le réem­ploi, le com­post, la seconde main ou la répa­ra­tion quand on la pré­sente, parce que ce sont les élé­ments les plus expli­ci­te­ment zéro déchet. Mais cette vision va plus loin et aborde des thèmes sou­vent jugés plus struc­tu­rants. Par exemple, une socié­té zéro gas­pillage va avec une relo­ca­li­sa­tion de la pro­duc­tion, une réorien­ta­tion de celle-ci, et un rap­port dif­fé­rent au travail.

Une socié­té zero waste relo­ca­lise la pro­duc­tion agri­cole et indus­trielle. Importer des kiwis de Nouvelle-Zélande, ou des vête­ments de Chine, quand on sait en pro­duire plus près, c’est aus­si gas­piller. Les pro­duits ne tra­versent pas le monde entier sans impact et le font lar­ge­ment grâce au jetable. Flore Berlingen rap­pelle que sans les films plas­tiques, le poly­sty­rène, les car­tons, les palettes et les conte­nants jetables, beau­coup de pro­duits ne sur­vi­vraient pas au trans­port sur des mil­liers de kilo­mètres. Rapprocher lieu de pro­duc­tion et de consom­ma­tion réduit les déchets et le gaspillage.

Une socié­té zéro gas­pillage réoriente aus­si la pro­duc­tion vers des pro­jets et des façons de faire qui ne sapent pas les bases du vivant. Elle géné­ra­lise l’a­gri­cul­ture bio­lo­gique et éli­mine les pol­lu­tions qui menacent la san­té et la bio­di­ver­si­té (pes­ti­cides, plas­tiques, etc.). Elle cherche à pré­ve­nir plu­tôt qu’à gué­rir : à faire plus solide, plus simple et plus sain. Éviter des catas­trophes pré­vi­sibles éco­no­mise des res­sources, de l’éner­gie, du temps. Réduire le gas­pillage passe par la prévention.

Enfin une socié­té zero waste revoit la place du tra­vail. On y tra­vaille peut-être moins, sûre­ment pas au même rythme, et orga­ni­sé autre­ment. Le zéro gas­pillage rap­pelle qu’on tra­vaille pour satis­faire des besoins : le but n’est pas de pro­duire sans cesse, à tout prix, au mépris des consé­quences humaines et éco­lo­giques. Travailler sans gas­piller, c’est aus­si favo­ri­ser la coopé­ra­tion ouverte, la cocons­truc­tion des choses. La concur­rence et le mar­ché ne sont pas effi­caces par­tout, par défaut, sans prise en compte de la spé­ci­fi­ci­té du terrain.

2. Une série de méthode

En un deuxième sens le zero waste est une série de méthodes : des pro­cé­dés qui per­mettent d’a­van­cer vers la socié­té idéale. Je les ai déjà évo­qués : par­tir du déchet pour prendre conscience du gas­pillage sys­té­mique, prio­ri­ser les actions avec les 5R, apprendre à renon­cer avec le test BISOU

Ces pro­cé­dés forment une boite à outils pour agir sur ce qui nous entoure et sur nous-mêmes. Ils per­mettent de choi­sir les pra­tiques les plus éco­nomes en res­sources, à titre indi­vi­duel et col­lec­tif, domes­tique et pro­fes­sion­nel. Ils ne disent pas quoi faire pré­ci­sé­ment, mais aident à prendre des décisions.

Les méthodes zero waste nous donnent le pou­voir d’a­mé­lio­rer nos vies dès main­te­nant. Sans attendre une révo­lu­tion qui n’arrive jamais, une vic­toire élec­to­rale qui déçoit tou­jours, ou d’être sau­vé par un acteur faus­se­ment bien­veillant. On résiste à l’a­gres­sion consu­mé­riste par nous-mêmes, avec des outils faciles à s’approprier.

3. Une infinité de pratiques

Le zéro gas­pillage désigne aus­si un ensemble de pra­tiques qui découlent des méthodes pré­cé­dentes. Ça peut être recoudre un vête­ment, rame­ner un conte­nant consi­gné, jeter ses bio­dé­chets à part… La liste est infi­nie, car il n’y a pas d’ac­tion zero waste en soi, indé­pen­dam­ment d’un contexte et du lien avec les méthodes précédentes.

Manger moins de viande, par exemple. Le zéro déchet n’est pas la rai­son que donnent les gens pour végé­ta­li­ser leur ali­men­ta­tion. Pourtant il y a une jus­ti­fi­ca­tion “zéro gas­pillage” à cette pra­tique ali­men­taire. Terres fer­tiles, fabri­ca­tion d’in­trants, bâti­ments et machines agri­coles spé­cia­li­sées, médi­ca­ments : la quan­ti­té de res­sources mobi­li­sée est immense et sans pro­por­tion au besoin. Il y a plus opti­mal que de culti­ver des végé­taux, pour nour­rir des ani­maux, pour nour­rir des humains. Réduire ou refu­ser la viande relève alors d’une action “zéro gaspillage”.

Des rai­son­ne­ments simi­laires s’ap­pliquent à un nombre infi­ni de pra­tiques. Dès qu’elles aident à réduire le gas­pillage à la source et incarnent une méthode citée plus haut, ces actions peuvent être éti­que­tées “zéro gas­pillage”. Ça ne veut pas dire qu’elles ne sont que ça, ou prin­ci­pa­le­ment : il y a par­fois des ten­sions entre des idéo­lo­gies qui pro­meuvent la même pratique.

Ça ne veut pas dire non plus que tout peut deve­nir “zéro gas­pillage” et qu’il n’y a pas de hié­rar­chie. Il y a des choses qui vont presque tou­jours contre le pro­jet de socié­té (le jetable) et d’autres qui sont “moins” zéro déchet que d’autres (le recy­clage).

4. Une idéologie

Au qua­trième sens, le zéro gas­pillage est une idéo­lo­gie, c’est-à-dire un ensemble plus ou moins cohé­rent d’i­dées qui oriente vers l’ac­tion. Il pro­pose une repré­sen­ta­tion géné­rale du monde axée sur les concepts de “res­source”, “besoin” et “gas­pillage”. C’est une pen­sée des moyens maté­riels de la pro­duc­tion mondiale.

Le zero waste aborde le réel sous l’angle de la ratio­na­li­té éco­no­mique. Il dénonce les façons de pro­duire et d’al­louer les res­sources qui ignorent les limites pla­né­taires et s’op­posent à une vie décente pour toustes. Il y voit des choix inef­fi­caces, qui gas­pillent des choses rares et fini­ront par nous empê­cher de répondre à nos besoins.

En tant qu’i­déo­lo­gie, le zéro gas­pillage struc­ture le pro­jet de socié­té et les méthodes citées plus haut. Elle leur donne une toile de fond, une archi­tec­ture intel­lec­tuelle et des modèles men­taux. Sans l’i­déo­lo­gie, il y a des pro­jets de socié­té sobre, mais ils ne sont pas zero waste ; il y a des méthodes d’ac­tion, mais elles ne sont pas “zéro déchet”.

5. Un mouvement politique

En un cin­quième sens, le zéro gas­pillage est un mou­ve­ment poli­tique : un ensemble de per­sonnes qui veulent réa­li­ser une socié­té éco­lo­gique, mettent en œuvre les méthodes pour le faire, les tra­duisent dans des pra­tiques, et adhèrent à une idéo­lo­gie. Cet ensemble est plus ou moins fédé­ré, avec des dif­fé­rents pro­fils, liés ou pas à plu­sieurs types de struc­tures. On y trouve des indi­vi­dus (des plus engagé·es aux simples sympathisant·es), des relais poli­tiques et média­tiques, des asso­cia­tions, des entre­prises, voire des institutions.

Comme tout espace social, le mou­ve­ment zéro gas­pillage a une com­po­si­tion par­ti­cu­lière, une socio­lo­gie. Cette der­nière influence les pra­tiques mises en avant par le mou­ve­ment. Celles-ci semblent légi­ti­me­ment hors-sol ou excluantes à d’autres groupes sociaux, qui per­çoivent comme des pri­vi­lèges le fait de pou­voir les mettre en œuvre.

D’où l’in­té­rêt de com­prendre le zéro déchet à la fois comme un groupe de per­sonnes, de pra­tiques et de méthodes. Si des pra­tiques ne sont pas acces­sibles à cer­taines per­sonnes dans leur contexte géo­gra­phique, éco­no­mique, etc. les méthodes res­tent lar­ge­ment appli­cables. Comme elles ne sont pas stric­te­ment liées à un milieu social, elles peuvent être réap­pro­priées, réin­ter­pré­tées ou adap­tées par des per­sonnes diverses, qui créent leurs propres pra­tiques à par­tir de ces méthodes.

La socio­lo­gie actuelle du mou­ve­ment n’est donc pas une fata­li­té. On peut ima­gi­ner plu­sieurs mou­ve­ments zéro gas­pillages, avec dif­fé­rentes socio­lo­gies et approches, qui adap­te­raient les méthodes et les pra­tiques selon leur com­po­si­tion sociale et leurs enjeux propres. Ils n’au­raient même pas besoin d’être liés entre eux, ou au zéro déchet his­to­rique por­té par Zero Waste France.

6. Un principe d’unité

Enfin le zéro gas­pillage est un prin­cipe d’u­ni­té. Il agit comme un liant théo­rique qui donne de la cohé­rence à des pro­jets, des pra­tiques et des com­mu­nau­tés dis­pa­rates. Pensez à l’a­chat d’oc­ca­sion et au com­pos­tage. Ce sont des champs qui ont leur propre his­toire, leurs propres publics, des professionnel⋅les iden­ti­fiées : ils ont leur auto­no­mie et n’ont pas atten­du le zéro déchet pour exister.

Mais le zéro gas­pillage les insère dans une vision d’en­semble et leur trouve des points com­muns. Il les oriente dans la même direc­tion. Aussi bien la seconde main que le com­pos­tage per­met de pré­ser­ver des res­sources. Ce sont des pra­tiques qui font avan­cer vers une socié­té éco­lo­gique. Elles incarnent des méthodes zéro gaspillage.

Bien sûr, leurs bases sociales res­pec­tives ne les voient pas comme ça. Mais c’est jus­te­ment l’ap­port du zéro gas­pillage. Il ajoute une rai­son d’a­dop­ter ces pra­tiques. Il sou­ligne qu’elles peuvent s’in­té­grer dans un même pro­jet et sont com­plé­men­taires pour le faire pro­gres­ser. On s’i­ma­gi­nait faire des bonnes affaires avec l’a­chat d’oc­ca­sion, on découvre qu’on par­ti­cipe à rendre nos modes de vie soutenables.

Comme prin­cipe d’u­ni­té, le zéro gas­pillage est capable de tis­ser des liens même entre des domaines qui semblent très éloi­gnés l’é­co­lo­gie. Prenons l’exemple de la pro­prié­té pri­vée. Après tout, j’ai dit que le zero waste n’é­tait pas capi­ta­liste sans jamais détailler.

La propriété privée comme gaspillage

La pro­prié­té “pri­vée” n’est la seule moda­li­té pour s’ap­pro­prier des choses. Il a exis­té à d’autres époques des façons de pen­ser la pro­prié­té qui ne cor­res­pondent pas à ce que nous appe­lons “pro­prié­té pri­vée” aujourd’­hui. Et pour­tant, les gens avaient des choses à eux, tout n’é­tait pas pos­sé­dé par un État tota­li­taire, et tout le monde savait recon­naître ses affaires de celles des autres. Les cadres de pen­sée étaient sim­ple­ment dif­fé­rents, parce que notre concept de “pro­prié­té pri­vée” n’a­vait pas encore été inventé.

La notion de pro­prié­té pri­vée pose qu’une per­sonne a des droits abso­lus et exclu­sifs sur ce qui est à elle. Elle peut faire tout ce qu’elle veut de ses res­sources : y com­pris les détruire ou les sto­cker sans jamais s’en ser­vir. Elle dis­pose d’une exclu­si­vi­té totale sur ces res­sources, aus­si rares et utiles qu’elles puissent être. En théo­rie, rien ne m’empêche d’a­che­ter La Joconde et de la mettre à brû­ler. Elle serait à moi. Celui ou celle qui pos­sède une res­source peut en pri­ver tous les autres.

Dit autre­ment, la pro­prié­té pri­vée ins­taure un droit au gas­pillage. Rien n’empêche les pro­prié­taires de jeter des res­sources utiles, de mettre en dan­ger de mort celles et ceux qui en ont besoin. Il faut inter­ve­nir après coup, pour dire aux super­mar­chés ne pas jeter la nour­ri­ture, aux entre­prises de ne pas broyer les inven­dus, aux par­ti­cu­liers de revendre ou don­ner plu­tôt que jeter. Tout arrive tou­jours trop tard, parce que la pro­prié­té pri­vée fait du gas­pillage des res­sources l’ex­pres­sion légi­time d’un droit humain fondamental.

Abandonner la pro­prié­té pri­vée et pri­vi­lé­gier une autre façon de s’ap­pro­prier les choses relève alors d’une action zéro gas­pillage. Changer nos outils concep­tuels, même struc­tu­rants, peut être une façon d’éliminer le gâchis à la source. Il y a d’autres types de pro­prié­tés, ni abso­lues ni exclu­sives, qui méritent d’être explorées.

Le zéro gas­pillage est donc un prin­cipe d’u­ni­té extrê­me­ment puis­sant, capable de lier entre eux des pro­jets poli­tiques et des idéo­lo­gies. La cri­tique de la pro­prié­té pri­vée n’est qu’un exemple, qu’on peut dis­cu­ter. Mais on pour­rait citer d’autres pro­jets : jus­tice répa­ra­trice, éthique du care, éco­lo­gie de la fer­me­ture ou encore connais­sance libre… La liste n’est pas fermée.

Deux critiques du zéro déchet

Revenons main­te­nant à la pre­mière cri­tique du zéro gas­pillage, qui veut aller “au-delà” d’un pro­jet pen­sé comme très limi­té. Elle s’ap­puie sur une incom­pré­hen­sion et réduit le zéro déchet à quelques pra­tiques. Elle passe à côté de l’am­pleur du pro­jet poli­tique, des méthodes, et la diver­si­té infi­nie des pra­tiques zero waste. Elle ignore aus­si le zéro déchet comme prin­cipe d’unité.

Les choses sont dif­fé­rentes avec la deuxième cri­tique, qui voit dans le zéro déchet un terme démo­dé, inef­fi­cace, et dont les conno­ta­tions sont impos­sibles à cor­ri­ger auprès du grand public. Elle est juste, mais elle ne parle pas vrai­ment du zéro déchet. Dire qu’un mot est usé et mal com­pris, c’est évo­quer sa récep­tion sociale, pas les réa­li­tés qu’il désigne. À elle seule, cette cri­tique ne suf­fit pas à reje­ter le zéro gas­pillage comme pro­jet, méthodes, pra­tiques ou idéologie.

Jeter le zéro gas­pillage serait se pri­ver d’un outil puis­sant, quel que soit son nom. L’abandonner rédui­rait la diver­si­té des voix éco­lo­gistes : elle nous ferait perdre une cer­taine façon de pen­ser la décrois­sance, une approche par­ti­cu­lière que les zero­was­ters sont les seul·es à por­ter. Cette cri­tique jus­ti­fie qu’on retra­vaille la com­mu­ni­ca­tion, en uti­li­sant d’autres mots, mais pas qu’on renonce au zéro gas­pillage dans toutes ses dimensions.

Une pensée des moyens de production insuffisante

Arrivons enfin aux der­nières cri­tiques du zéro gas­pillage. Elles cor­res­pondent à ce que j’ai détaillé dans les articles pré­cé­dents. 1) Le zéro déchet est une approche pro­fon­dé­ment uti­li­taire et anthro­po­cen­trée, en conti­nui­té avec l’extrac­ti­visme 2) Le dis­cours qui incite à la sobrié­té volon­taire est construit par et pour des per­sonnes riches, à l’é­chelle locale et inter­na­tio­nale. 3) Le “point de vue zéro déchet” est impré­gné de blan­chi­té et de colo­nia­li­té, c’est-à-dire de supré­ma­tie blanche.

Pour résu­mer, le zéro gas­pillage pense les moyens maté­riels de la pro­duc­tion, mais pas les rap­ports de domi­na­tion entre les acteurs et actrices de la pro­duc­tion. Il dis­cute de quoi pro­duire, dans quels objec­tifs, mais pas de qui orga­nise et réa­lise la pro­duc­tion. Il parle de res­sources, mais pas de qui les pos­sède, com­ment, et au détri­ment de qui.

Les sys­tèmes d’op­pres­sion, les rap­ports de forces et les dyna­miques de pou­voir au cœur du sys­tème pro­duc­tif sont mis au second plan. Ils sont adres­sés d’une façon qui pro­longe les domi­na­tions, pas qui les fait ces­ser. Compliqué dès lors de tis­ser des liens solides entre groupes et mou­ve­ments sociaux, pas juste entre idéologies.

Dans ces cri­tiques, on garde le pro­jet poli­tique d’une socié­té sobre et juste, sou­te­nable et éman­ci­pa­trice. On conserve aus­si les méthodes, les pra­tiques et le prin­cipe d’u­ni­té du zéro gas­pillage. Par contre on s’in­quiète de la socio­lo­gie blanche bour­geoise du mou­ve­ment, et de l’ar­chi­tec­ture de cette idéologie.

Une position qui pose problème

Au risque de déce­voir, je ne vais pas y répondre plus que ce qui a été fait dans les articles pré­cé­dents. Tenter d’é­va­luer ou de contrer ces cri­tiques pro­dui­rait un mau­vais résul­tat, car ma posi­tion m’empêche de pro­duire un tra­vail de qua­li­té et d’être crédible.

En tant qu’au­teur de ces cri­tiques, mon avis sur leur por­tée est sujet à cau­tion. En tant que mili­tant zero waste, mon impli­ca­tion idéo­lo­gique, sociale et émo­tion­nelle rendent ma réponse sus­pecte, quelle qu’elle soit. Enfin, ma posi­tion de blanc issu d’une famille aisée risque de me faire mino­rer la dimen­sion clas­siste et raciste de l’i­déo­lo­gie et du mouvement.

À ce titre, il y a pro­ba­ble­ment du recul à prendre la vision du zéro gas­pillage que j’ai pro­po­sée et sur mes cri­tiques. Elles sont par­ti­cu­liè­re­ment mas­cu­lines et témoignent de ma posi­tion de genre, dans un mou­ve­ment fon­dé, pen­sé et ani­mé prin­ci­pa­le­ment par des femmes1. L’analyse que j’ai four­nie mérite d’être inter­ro­gée au prisme du genre.

Mes cri­tiques jus­ti­fient-elles d’en­ter­rer le zéro déchet ? Peut-on répa­rer les défauts que je pointe ? Ou réuti­li­ser le zero waste tel quel mal­gré ses pro­blèmes ? Ai-je tout sim­ple­ment oublié cer­tains aspects du sujet de par ma posi­tion ? Faute de pou­voir répondre, j’ai ten­té de four­nir des élé­ments, en don­nant à voir l’am­pleur de la lutte contre le gas­pillage et en dis­tin­guant ses dimen­sions. Le meilleur gas­pillage est celui qu’on évite, et ce serait peut-être un gâchis de ne pas exploi­ter le zero waste dans tout son potentiel.


Notes

  1. J’ai par exemple mino­ré la dimen­sion fémi­niste du zéro déchet, alors que les femmes sont les pre­mières vic­times de la socié­té de gas­pillage et que Zero Waste France lie expli­ci­te­ment fémi­nisme & zero waste. ↩︎

Photo de cou­ver­ture : CC-BY 2.0 Jeanne Menjoulet via Flickr.

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