Peut-on faire du zéro déchet sans devenir végétalien ?

La démarche “zéro déchet” vise d’a­bord à réduire le gas­pillage de res­sources natu­relles et à la pré­ser­va­tion de la matière. Dans ce contexte, il semble cohé­rent de refu­ser l’é­le­vage, la pêche et les autres méthodes qui poussent à gas­piller des res­sources et de l’éner­gie pour main­te­nir une ali­men­ta­tion car­née dont on peut (sou­vent) se passer.

Mais repre­nons les bases, c’est quoi le “zéro déchet” ? La démarche zéro gas­pillage, zéro déchet vise à réduire le gas­pillage à la source afin de réduire la quan­ti­té de déchets à la sor­tie du pro­ces­sus de pro­duc­tion. Il s’a­git de s’op­po­ser à l’ex­trac­ti­visme, c’est-à-dire l’ex­trac­tion effré­née de matière pre­mières (pétrole, mine­rais, eau, bois, etc.) pour fabri­quer sans cesse des pro­duits qui ali­mentent la socié­té de consom­ma­tion et de gaspillage.

Quand on la pré­sente de façon sym­pa­thique, la démarche zéro gas­pillage nous pro­pose de faire avec ce qu’on a déjà. Au lieu de sol­li­ci­ter l’ex­trac­tion de res­sources natu­relles pour faire du neuf, on uti­lise ce qui a déjà été pro­duit et qui peut faire l’af­faire. On modi­fie, on adapte à nos besoins, mais on part d’un exis­tant qu’on va faire durer, entre­te­nir et conser­ver long­temps — au lieu de lui pro­mettre le pla­card ou la poubelle.

Mais c’est la ver­sion sym­pa­thique. Si on suit la logique du zéro gas­pillage, il faut aller plus loin. Il s’a­git de refu­ser la pro­duc­tion de cer­tains biens et ser­vices. On conteste la légi­ti­mi­té à exis­ter de cer­taines choses : les objets à usage unique par exemple, qui sont dans l’im­mense majo­ri­té des cas rem­pla­çables par du réuti­li­sable. La démarche zéro gas­pillage n’a pas peur de dire : “Ces trucs ne devraient pas exis­ter. Les pro­duire est en soi une forme de gaspillage”.

Si vous pen­siez que le zéro gas­pillage était un truc d’ur­bain qui s’en­nuie, reli­sez le para­graphe ci-des­sus. Le zéro gas­pillage est poli­tique. Il s’a­git bien d’un point de vue sur ce que notre socié­té doit pro­duire, sur la manière dont elle doit choi­sir d’u­ti­li­ser ou non cer­taines res­sources, et sur le type d’ac­ti­vi­tés qui doit exis­ter et occu­per le temps des êtres humains. Même France Culture le dit (écou­tez le 1er épisode).

Parce que c’est ça réduire le gas­pillage à la source. C’est s’in­ter­ro­ger sur ce dont nous avons besoin (per­son­nel­le­ment et en tant que socié­té). Ce n’est pas faire des man­teaux en plas­tique recy­clé. C’est se deman­der si on a vrai­ment besoin d’un nou­veau man­teau. Et fina­le­ment se deman­der si on a besoin d’un man­teau ou pas (comme vous l’au­rez devi­né, il fait doux à l’heure où j’é­cris ces lignes).

L’élevage, le grand gaspillage

Puisqu’on veut réduire le gas­pillage de res­sources et qu’on n’a pas peur de jeter l’a­na­thème sur des sec­teurs entiers de la pro­duc­tion, par­lons de l’é­le­vage pour l’alimentation humaine. Le gas­pillage est patent.

Au lieu de culti­ver des terres et d’u­ti­li­ser direc­te­ment leur pro­duit pour l’alimentation humaine, on ajoute un inter­mé­diaire. On cultive pour nour­rir des ani­maux, dont on va se nour­rir en suite. C’est pas magique : si je cultive du soja (au hasard hein) pour ali­men­ter une bête de 600 kg, il va me fal­loir beau­coup de soja. Si je cultive le même soja pour ali­men­ter une bête de 60–70 kg qui lit des trucs sur Internet, je vais ali­men­ter beau­coup plus de bêtes.

Il n’y a même pas à ren­trer dans les chiffres de l’im­pact désas­treux de l’a­gri­cul­ture. Le concept lui-même est foi­reux. Ça consiste à mul­ti­plier les étapes et à dépen­ser des res­sources dis­pro­por­tion­nées par rap­port au résul­tat atten­du (nour­rir des gens). Élever des ani­maux pour les man­ger, c’est du gaspillage.

En sui­vant ce fil de réflexion, la pêche relève aus­si d’un gas­pillage. La chasse éga­le­ment, dans la mesure où sa dimen­sion de régu­la­tion est une vaste farce, comme l’a admis le pré­sident des chasseurs.

Une démarche zéro gas­pillage devrait donc logi­que­ment nous ame­ner à pri­vi­lé­gier une ali­men­ta­tion végé­tale. Ou du moins une ali­men­ta­tion qui ne s’ap­puie pas sur le modèle de l’a­gro-indus­trie. Il y a peut-être des contextes où l’on pour­rait man­ger des ani­maux sans que ce soit un gas­pillage, mais ils sont anec­do­tiques à côté de l’am­pleur de l’agro-industrie.

Quid du gaspillage en rayon ?

Juste un mot sur l’i­né­vi­table gas­pillage qui arri­ve­rait si tous les citoyens et citoyennes arrê­taient de consom­mer des pro­duits issus des ani­maux. Oui, ça veut dire que des tonnes de pro­duits ne trou­ve­raient pas pre­neur, et qu’on aurait des ani­maux et des exploi­ta­tions indus­trielles sur les bras. Ce serait un évé­ne­ment unique, tem­po­raire, et le gas­pillage pro­vo­qué serait sans com­mune mesure avec celui bien réel, per­ma­nent et renou­ve­lé, que consti­tue la per­pé­tua­tion de l’é­le­vage pour l’alimentation.

Et je ne dis même pas que le zéro gas­pillage implique le végé­ta­lisme “par­tout et en tout lieu”. Je dis qu’il implique pro­ba­ble­ment la fin d’une viande pro­duite de façon agro-indus­trielle, dans le but de nour­rir des humains. Il y a pro­ba­ble­ment des contextes alam­bi­qués, fic­tifs, rares ou éloi­gnés où l’on peut bien man­ger de la viande pour évi­ter un gas­pillage. C’est pas le sujet.