Aller mieux, ça m’a pris 2 ans et demi. Du 13 novembre 2015 au printemps 2018. À ce moment là, je suis vraiment passé à autre chose. J’ai lancé des projets, rencontré des gens, réussi des trucs que j’aurais jamais osé. Le Bataclan, j’en avais tiré des trucs bien. Et puis à l’automne, ça m’a rattrapé.
J’ai commencé à baliser à cause du procès en 2021. De février à juillet, il y aura le procès. Une demi-année à osciller entre le boulot et les audiences. À revoir les médias parler du sujet. Comment je vais encaisser ?
Et puis ça s’est aggravé. J’ai réalisé que A. n’était pas sortie du Bataclan aussi indemne que moi. Qu’elle en vivait encore des conséquences bien présentes. Que rien n’était fini.
On est quelque part en janvier 2020, j’écoute un épisode d’Émotions sur la culpabilité en faisant la cuisine. Ça parle des victimes de meurtres, de leurs familles qui ne les verront plus à Noël. Je pense à la famille de Madeleine. J’éclate en sanglots.
En fait ça part pas.
J’aurais pu m’en rendre compte.
PTSD
En avril, 5 mecs rentrent dans la séances d’Avengers Endgame alors que le film dure depuis déjà une heure. Ils remontent la salle pour chercher des places devant. Un d’entre eux porte carrément une trottinette à l’épaule. Au ciné ? Sérieux ?
Notre stress post-trau explose et on quitte la salle sans attendre. Je mets plus de 6 mois à ne plus y penser quand je retourne au cinéma. Je finis par éviter les MK2 parce que les sièges rouges me rappellent de Bataclan.
Un des trucs du stress post-traumatique, c’est d’éviter tout ce qui rappelle la source du trauma. Alors sans surprise, je suis jamais retourné au Bataclan. J’écoute plus EODM (même si la vérité, c’est que leur dernier album de reprises est bof). Et je checke les issues de secours dans les salles de concert. Ouais.
Motivations
Y’a quelques semaines, j’ai décidé d’aller voir quelqu’un pour parler de tout ça. Parce que, oui, 5 ans après, j’ai jamais vu un psy pour ça. Pas au long cours. Pas pour dénouer les problèmes.
J’ai fait quelques séances de respiration pour déculpabiliser d’avoir laissé A. derrière moi, d’avoir survécu aux autres, et puis presque voilà.
J’en parle avec A. d’aller voir quelqu’un. On compare nos façons de voir. Pour moi, les attentats sont devenus une sorte système de motivation. Le truc sur lequel tu retombes quand tu vas mal et que tu veux baisser les bras, et que tu te dis :
J’ai pas survécu pour ça. Et si moi je vais mal, si je me dépasse pas changer le monde qui m’entoure pour le mieux, pour être heureux à titre individuel, alors les autres sont morts pour rien. Alors Madeleine est morte pour rien.
A. trouve pas ça très sain. Difficile de lui donner tort. Mais en même temps, je peux déplacer des montagnes avec cette motivation… N’empêche… C’est pas pour les autres que je dois faire ça. Je leur dois rien, je le sais. Si je dois le faire, c’est pour moi.
Sortie de secours
Quand je parle de mon expérience des attentats, je dis souvent que j’ai l’expérience la plus “minimalement traumatique”. C’est une sorte de petite histoire que je ressors automatiquement. Ça dit :
En 10 minutes, j’étais sorti. En vie, non blessé, dans mon quartier, et à 1 km à peine de chez mes parents. En 30 min, j’étais entouré par des proches qui m’aiment, dans un appart où j’ai grandi.
Ce qu’on ne raconte pas dans cette histoire, c’est que j’ai manqué de mourir. Pour de bon. Que quand je lis la plaque dans le jardin Boulevard Richard Lenoir, je pense à où serait mon nom. Et que pendant des mois, des années, et peut-être encore maintenant, je me suis posé la question :
Est-ce que je suis vraiment sorti du Bataclan ?
Et si oui, qu’est-ce que j’y ai laissé ?
À part mes fucking lunettes.