Comment je me sens

#Disclaimer : Cette fois encore, j’é­cris pour moi. Certains seront peut-être cho­qués par ce que je res­sens et j’en suis déso­lé. J’ai déjà racon­té un bout de ma nuit au Bataclan le 13 novembre. Je conti­nue­rai plus tard. En atten­dant, le point sur mon res­sen­ti à J+7 de l’événement.

J’ai pas peur

J’ai eu peur. La nuit même des atten­tats, j’ai eu peur de sor­tir. De sor­tir de mon lit. De ma chambre. De ma mai­son. Mais plus main­te­nant. J’ai pris les trans­ports. J’ai mar­ché dans Paris. J’ai traî­né Gare Saint-Lazare, devant Notre-Dame et aux Grands magasins.

Je suis allé au res­to. J’ai vu des gens. Je ne compte pas arrê­ter. Je n’ai pas peur de vivre dans Paris. Pas peur de fré­quen­ter des lieux bon­dés, hypo­thé­tiques cibles d’im­pré­vi­sibles atten­tats. Après Charlie, je vivais nor­ma­le­ment. Après ce qui s’est pas­sé, je vais continuer.

Dans les médias, les spé­cia­listes du ter­ro­risme annoncent le pire. Le 13 novembre, c’est que le début. Alors d’ac­cord, c’est par­ti. Dans 1 an, ce qui s’est pas­sé ven­dre­di sem­ble­ra peut-être minime. On repar­le­ra de ces tue­ries comme des moins meur­trières d’une série qu’elles auront initié.

Peut-être. En atten­dant, j’ai pas peur. Ni d’al­ler dehors, ni des gens qui m’en­tourent. Ces gens que je croise par­tout, tous les jours, et qui forment la socié­té dans la quelle je vis.

Les craindre, ce serait avoir peur de moi-même. Ne plus leur faire confiance, les regar­der bizar­re­ment : ce serait renon­cer à vivre avec eux, ensemble. À vivre tout court.

J’en veux à personne

Je n’en veux à per­sonne pour ce qui s’est pas­sé le 13 novembre. Des types mal inten­tion­nés orga­nisent le mas­sacre d’in­no­cents. À qui la faute ? Aux types mal inten­tion­nés, juste à eux.

Je ne vais pas cher­cher les points com­muns qu’ils peuvent avoir avec les gens nor­maux et les inno­cents. Des points com­muns entre ces tueurs et nous, il n’y a presque que ça. Ce sont les dif­fé­rences qui importent.

Je refuse de mon­trer du doigt une culture, une reli­gion, un outil ou quoique ce soit que ces tueurs par­tagent avec d’autres gens qui n’y sont pour rien. Ce serait allon­ger, dif­fé­rem­ment, l’in­juste liste des victimes.

Je ne res­sens aucune haine, aucune colère, aucun désir de ven­geance envers ceux qui ont fait ça. Ceux qui m’ont tiré des­sus. Ceux qui ont tué Madeleine. Ceux qui ont tué le meilleur de pote de ce grand bar­bu roux croi­sé à la police et qui m’a fait un câlin.

À la place, je pense à tous les trucs cruches qu’on m’a tou­jours racon­té. Que la haine détruit celui qui la res­sent. Qu’il vaut mieux subir l’in­jus­tice que la com­mettre. Que les sen­ti­ments posi­tifs triomphent et qu’il faut aimer son pro­chain. #JeSuisCruche.

Je pense aux autres victimes

Moi, ça va. En vie, indemne, sans proche tou­ché. Je fais par­tie des plus chan­ceux de la tue­rie du Bataclan. Et si je peux écrire ain­si, c’est que je fais par­tie des plus chan­ceux par­mi les plus chanceux.

Je pense aux autres. À ceux qui sont bles­sés et à ceux qui sont morts. Ceux qui ont per­du leur enfant, leur conjoint, leurs amis. Ceux qui à l’heure où j’é­cris, sont encore sub­mer­gés par la dou­leur, les sou­ve­nirs, ou la crainte.

Je pense à eux, moi qui arrive à dor­mir. Moi qui ne me sens pas cou­pable. Qui n’en veux à per­sonne et qui compte aller de l’a­vant. Parce qu’a­près ça, je veux aller de l’avant.

Pour vous tous qui y étiez, j’es­père que ça va aller. Que vous aurez la chance que j’ai pour l’ins­tant. Que vous allez, non pas vous remettre, mais continuer.

C’est vos his­toires et votre dou­leur qui me touchent le plus. C’est quand je les entends que j’en viens à pleu­rer. Mais comme dit un des vigiles du Bataclan : « On va se revoir ».

J’oublie pas ce qu’il y a eu de bien

Jusqu’à 21h 40 ou quelque chose, il y a eu un concert au Bataclan le 13 novembre 2015. Un bon concert. Meilleur que la der­nière fois où EODM était passé.

Un concert où tout le monde est heu­reux, où les gens dansent et chantent ensemble un de mes groupes pré­fé­rés. Où le groupe fait rire la foule. Où Jesse Hughes peigne sa mous­tache en public et trinque une bière avec son bassiste.

Je ne vais pas l’ou­blier. Je ne lais­se­rai pas cette soi­rée deve­nir une pur drame, un moment inté­gra­le­ment sombre, domi­né par la peur et la mort. Pour ceux qui n’é­taient pas là, ça peut sem­bler bizarre. Pas pour moi.

Personne ne m’a pro­je­té hors de chez moi pour me jeter dans une fusillade. Je suis venu voir un concert. Passer un bon moment. Et des types sont venus nous tuer.

Mais si j’ou­blie les bons moments, est-ce qu’ils n’ont pas gagné ?

Don’t say a prayer for me now,
Save it ’til the mor­ning’ after
No, don’t say a prayer for me now
Save it ’til the mor­ning after