En surface, le logiciel libre défend le partage, la transparence, la liberté. Les valeurs cools. Pourtant, les principes du libres semblent fondés sur une idée assez sombre : “On ne peux pas vraiment faire confiance, et on devrait être méfiant par principe”.
Pouvoir exécuter soi-même un programme (0). Pouvoir disséquer intégralement un logiciel grâce à son code source (1). Pouvoir le distribuer (2–3) ou le modifier (1) sans avoir à rendre de compte à personne. Les 4 libertés du logiciel libre crient la méfiance. Le message semble pouvoir être lu ainsi :
la liberté d’exécuter le programme comme vous voulez
= je ne fais confiance qu’à moi-même pour faire tourner un programme
la liberté d’étudier le fonctionnement du programme (+ accès à la source)
= je ne fais confiance ni au code ni à celui qui l’écrit
la liberté de redistribuer des copies (y compris modifiées)
= je ne fais pas forcément confiance à ceux qui le distribuent
Au-delà des valeurs positives véhiculées par le logiciel libre, le fondement de la démarche semble tenir dans une méfiance envers l’autre et une forte sensibilité au danger qu’il représente. Si le logiciel doit-être libre, c’est parce que ceux qui le produisent sont dangereux.
Leurs logiciels peuvent être malveillants et nuisibles à mes intérêts. Je dois les démonter et comprendre comment ils fonctionnent : c’est une question de sécurité pour moi et pour ceux à qui je propose de les utiliser. Je dois être en mesure de les exécuter moi-même : faire confiance à une machine extérieure est un risque inconcevable.
La liberté de distribuer est moins axée sur la méfiance, mais elle reste présente. Si je distribue la copie dont j’ai le code, c’est aussi parce qu’une autre copie, distribuée ailleurs, n’est pas forcément digne de confiance. Elle peut avoir été modifiée et ne pas être la version sûre et vérifiée par mes soins dont je dispose.
Sans accuser de paranoïa ou rejeter les pratiques cool du monde libriste, je trouve intéressant (et assez ironique) qu’elles émergent d’une défiance profonde envers les autres. Le logiciel libre paraît né d’un monde hobbesien, au bord d’une guerre de tous contre tous, où chacun reste prêt à tuer l’autre à tout instant.
Dans ce contexte, la liberté du logiciel est un gage de non-agression, une garantie de sécurité. On goûte un plat devant son ennemi pour prouver qu’il n’y a aucun poison. On libère son logiciel pour prouver qu’il n’est pas dangereux. Mais l’univers émotionnel et l’imaginaire latent reste un monde guerrier, hostile, où la confiance n’est pas acquise un instant.
Que le logiciel soit libre, c’est alors un minimum. Reste encore à voir ce qu’il fait, comment il le fait, avec quel légitimité par rapport à son but annoncé. Parce que le logiciel, même libre, reste une menace.