En écologie, on parle beaucoup des “ressources”. Faut s’arrêter là-dessus, parce que le concept ne va pas. Une “ressource”, éventuellement une ressource “naturelle”, c’est juste un moyen. Quand on parle du manque de “ressources”, de la pollution des “ressources”, etc. la question n’est pas la destruction de la nature, des écosystèmes ou de la biodiversité. C’est la perte d’un moyen.
Moyens de quoi ? Jamais on n’en discute. Les ressources sont des moyens de réaliser des objectifs, mais lesquels ? Le mot “ressource” invisibilise les buts poursuivis. Il donne l’impression qu’il y aurait des choses qui seraient en elles-mêmes des “ressources” : l’eau, l’énergie, l’argent, etc. Mais si l’énergie est une ressource, c’est en référence à un objectif donné. L’eau est un moyen de s’hydrater, d’irriguer des cultures, de refroidir des centrales, sans référence à un objectif, elle n’est pas une “ressource”.
Parler de “ressources” permet à certaines écologies d’avoir un rapport ambivalent et superficiel à la production mondiale. D’un coté, elles affirment qu’il faut réduire et réorienter la production, assumer la sobriété ou la décroissance. Au nom de la rareté des ressources et de l’impact de leur extraction, elles contestent la finalité actuelle de la production. On comprend que les ressources sont des “moyens de production”.
De l’autre, en ne parlant pas explicitement de “moyen de production”, ces écologies esquivent la question des responsabilités et des rapports politiques. Qui décide de ce qu’on produit ? Est-ce que ça passe par une discussion collective entre égaux ? Ou par une décision autoritaire, imposée par la force à des subalternes (littéralement des “sous-autres”) ?
L’idée de ressource crée une séparation forte entre des sujets actifs et des objets passifs. Les sujets, ce sont les personnes qui décident, qui disent “Voilà l’objectif, voilà les moyens”. Par leur regard, ils convertissent des matériaux et des personnes en “moyen”. Des choses qui n’existent alors plus que par rapport à l’utilité qu’en tirent les décideurs, elles n’ont plus qu’une dimension : objet utile pour quelqu’un d’autre.
Appliquée à des êtres vivants et des personnes, l’idée de ressource va avec une négation de leur agentivité, de leur capacité à agir par et pour elles-mêmes. L’expression “ressources humaines” ne dit rien d’autre : les travailleurs et travailleuses sont un facteur de production dont l’existence est réduite à l’utilité de que la structure peut en tirer pour réaliser les objectifs qu’elle s’est fixée. Ils et elles sont des objets, la structure est le sujet.
Les écologies qui se focalisent sur les “ressources” véhiculent une vision utilitaire des choses, qui peut rapidement mal tourner. Quand elles parlent de ressources inertes (minerais, eau, etc.), ça semble OK. Quand elles parlent de ressources vivantes (des animaux, de la biodiversité), on peut tiquer.
Mais appliquée aux humains, la notion de “ressource” enclenche une déshumanisation : une transformation en matériau humain, voire en biens meubles. Elle empêche une relation politique d’égaux à égaux : entre les “moyens humains” et ceux pour qui réduisent les autres à des outils pour leurs propres ambitions.
L’approche écologique par les “ressources” prolonge les dynamiques de dominations capitalistes et coloniales qu’on vit malheureusement tous les jours. Pour s’en protéger, on peut chercher sans cesse les objectifs et les acteurs derrière les ressources. Qui veut faire quoi ? pour quelles raisons ? Au bénéfice et au détriment de qui d’autre ?
Bref, quitter une approche utilitaire pour mettre au jour les rapports sociaux, démêler les dominations, et arriver sur le terrain de l’organisation de la vie collective, de la coexistence entre personnes. Le terrain politique.
Cet article est tiré d’éléments évoqués dans ma série d’articles sur le zéro gaspillage, zéro déchet, qui dit tout ça plus longuement (et de façon plus éclatée). La série complète est aussi disponible en PDF (1 Mo, environ 140 pages).
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