Cet article résume le livre La domination blanche des sociologues Solène Brun et Claire Cosquer (éditions Textuel, 2024, 160 pages). L’ouvrage traite des blancs et des blanches. Qui sont-ils ? Comment se positionnent-ils et elles vis-à-vis de leur blanchité ? Pourquoi l’idée de “privilège blanc” est un progrès par rapport à d’autres conceptions du racisme… et largement insuffisant par rapport à d’autres ?
Cette fiche est destinée (au choix) : à remplacer la lecture du livre, à donner envie de le lire, ou à permettre de retrouver des éléments sans tout relire. Elle est donc très longue (40 000 signes). Je conseille de la lire en plusieurs fois (j’ai divisé le texte en pages séparées, relativement rapides à lire chacune).
La fiche suit la structure du livre, à quelques exceptions où j’ai rajouté des intertitres pour aider à la lecture web. Mes commentaires personnels sont dans des encarts ou entre crochets.
Table des matières de tout l’article
Chapitre 1 : Qui sont les blancs et les blanches ?
La taille qu’on fait ou la forme de ses oreilles ne sont pas des éléments significatifs d’un point de vue de la race. Mais d’autres aspects de l’apparence physique le sont devenus. Pourquoi ? Pourquoi associe-t-on des différences culturelles et morales à des traits physiques ? Nos pratiques culturelles nous font percevoir certains corps comme blancs et pas d’autres. Comment l’expliquer ?
L’écrivain James Baldwin rappelle qu’il n’y a pas toujours eu des personnes noires et des personnes blanches : ce sont des catégories sociales qui ont une histoire, qui ont été construites… Même si les blancs et les blanches prétendent que ce sont des catégories naturelles (voir en anglais On Being white… and Others lies).
La genèse de la catégorie de “blanc” est liée à la colonisation (p. 23). Par exemple, les Irlandais et Irlandaises n’ont pas toujours été perçus comme des blancs. Précisément parce que l’Irlande a été colonisée par les Anglais. Sa population a été maltraitée, animalisée, et les Anglais ont parlé de traits physiques spécifiques des personnes d’Irlande, de leur race différente. Au point où quand les États-uniens s’en sont pris aux droits des personnes africaines-américaines, ils ont directement repris des termes utilisés par les Anglais pour parler des Irlandais et des Irlandaises.
À la fin du 18e siècle, la citoyenneté états-unienne est définie par rapport à la race. On peut être naturalisé si on est blanc·he et libre. Pour prouver leur blanchité, les personnes invoquent leurs origines raciales : par exemple en parlant d’une ascendance saxonne. À l’époque, on parle de race saxonne, celte, normande, etc.
L’identité blanche a permis dissoudre ces catégories raciales dans une seule race blanche (p. 26). Une race blanche perçue comme monolithique, et où les hiérarchies entre races européennes antérieures se sont effacées. L’apparition du terme “caucasien” est un moment fondateur : il permet de réunir des personnes sont une même étiquette [supposée scientifique].
Une identité blanche relationnelle et contextuelle
Mais cette identité blanche est relationnelle (p. 27). On est blanc ou blanche en se distinguant des personnes noires, en s’opposant à elles, et en participant à leur oppression. Pour gagner leur blanchité, les Irlandais et les Irlandaises vont se dissocier des noir·es et les violenter. On peut donc devenir blanc, ce n’est pas un statut figé.
Savoir qui est considéré comme blanc n’a donc de sens qu’au sein d’un contexte (p. 31). On est blanc ou blanche à un endroit donné, à un moment donné. Entre 1899 et 1950, le nombre de personnes blanches recensées à Porto Rico passe de 61,8% à près de 80%. Cela s’explique par une reconfiguration de la catégorie “blanc” : des personnes jugées “mulâtre” en 1899 sont désormais jugées “blanches” en 1950. D’un point de vue administratif, une personne algérienne peut être classée comme “blanche” aux États-Unis, sans être perçue comme telle en France.
On peut entrer et sortir de la catégorie “blanc” en fonction du contexte, mais aussi en raison de changements personnels. Se convertir à l’islam et en porter des attributs visibles (voile, barbe, etc.) affecte la blanchité. Des personnes anciennement perçues comme blanches se voient attribuer un accent étranger ou reçoivent des insultes racistes (“bougnoules”). On peut perdre sa blanchité aux yeux des autres.
Remarque : On parle souvent des stratégies pour rejoindre le groupe des blancs et des blanches. Des personnes travaillent à accéder au groupe dominant en changeant leurs attitudes. On parle moins des stratégies racistes de certains blancs pour faire rejoindre la blanchité à d’autres. Je ne sais plus où, je lisais que l’extrême-droite états-unienne travaillait à faire entrer les “asiatiques” dans la catégorie “blancs”. Objectif : casser les solidarités entre personnes racisées, et pouvoir mobilier les “asiatiques” contre les personnes noires.
Blanchité hégémonique ou en sursis
L’intégration à la race blanche peut être incomplète, voire fragile. Aux États-Unis, les juifs et juives sont perçus comme blancs, mais tous les stéréotypes les concernant ne se sont pas effacés… Et cette intégration au groupe “blanc” s’est faite au détriment des noir·es (cf. le film de 1927 Le chanteur de Jazz, où le personnage principal juif rejoint les dominants grâce au barbouillage). Et malgré cette intégration, l’antisémitisme demeure.
En France, la droite conservatrice invoque souvent les racines “judéo-chrétiennes” du pays. Mais cette expression est pleine d’ambiguïtés. Elle réduit l’héritage juif à l’Ancien Testament, occulte l’importance du Talmud et minimise l’antisémitisme chrétien. Aucun rabbin ne revendique cette formule. Elle permet surtout de faire l’unité entre judaïsme et chrétienté contre l’Islam. Avec l’idée d’une civilisation “judéo-chrétienne” on blanchit partiellement les juifs et juives et on stigmatise les musulmans, présentés à tort comme fortement antisémites (p. 39).
Autre blanchité en sursis, celle des personnes du Moyen-Orient (Syrie, Liban, Arménie, etc.). Aux États-Unis, on leur a souvent refusé la citoyenneté au nom de leur non-appartenance à la catégorie “blanc”. Pour contester ces refus, elles ont intenté des procès à l’administration. Elles y invoquaient des considérations historiques et se distanciaient des noir·es, pour attester de leur blanchité. Ces efforts ont réussi : les personnes du Moyen-Orient sont classées comme blanches.
Mais des voix s’élèvent désormais pour demander la création d’une catégorie administrative à part : Middle Eastern and North-African (Personnes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord). De nos jours, sortir de la catégorie administrative “blanc·he” permettrait à ces personnes d’accéder à des mesures de discrimination positive (p. 46). D’où un intérêt à reconfigurer leur identité autrement.
Je m’attarde sur un détail, mais il est juste parfait. Selon James Baldwin (cité au début du livre) il a fallu réécrire l’histoire pour que les pères fondateurs des États-Unis deviennent blancs (p. 20). Le même procédé est à l’œuvre pour Jésus, l’incarnation humaine du dieu des chrétien·nes. Admettre les personnes du Moyen-Orient dans le groupe blanc, c’est aussi renforcer l’idée que Jésus est blanc (p. 44).
On voit qu’il y a différentes conditions blanches. Il y a une blanchité hégémonique, sûre d’elle, insouciante, qui n’est pas forcément la plus importante en nombre, mais qui fait référence. Elle permet de penser différentes façon d’être blanc ou blanche, plus ou moins reconnues, plus ou moins légitimes. On peut reconnaître des positions différentes et une hiérarchie dans les blanchités.
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